L'efficacité d'une application de traçage de la COVID-19 dépend du nombre de personnes qui la téléchargent et l'utilisent. (Photo: 123RF)
VILLES INTELLIGENTES. Même si elle peut présenter des occasions d’affaire attrayantes, la cueillette de données personnelles n’est pas toujours bien vue du public. Devant les questionnements éthiques à ce sujet, Québec a d’ailleurs renoncé à demander aux citoyens d’installer une application de traçage de la COVID-19.
À Toronto, un ambitieux projet de villes intelligente signé Google vient d’être abandonné.
En juillet, le gouvernement fédéral a lancé l’application Alerte COVID, dont l’implantation a notamment été autorisée en Ontario. Au Québec, le rapport consensuel de la commission parlementaire chargée d’étudier ce type d’applications – tenue à la mi-août – a remis en question leur fiabilité et leur efficacité.
«Il y a des craintes que ces applications deviennent trop intrusives. C’est notamment pour cette raison que celle proposée par le gouvernement fédéral fonctionne seulement avec Bluetooth, sans permettre la géolocalisation», souligne Marie-Pascale Pomey, professeure titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.
L’acceptabilité sociale est cependant cruciale, puisque l’efficacité d’une application de traçage de la COVID-19 dépend du nombre de personnes qui la téléchargent et l’utilisent. «Cela montre bien qu’elle ne devra pas remplacer d’autres outils qui ont fait leurs preuves, comme les tests de dépistage et les enquêtes standardisées sur le terrain», prévient Marie-Pascale Pomey. Elle ajoute toutefois que l’application pourrait gagner en utilité si elle ne servait pas seulement à tracer les infections, mais aussi à diffuser de l’information sur la maladie, par exemple au sujet des symptômes et des gestes barrières.
Droits de la personne
Le déploiement d’une application de traçage menace par ailleurs de fragiliser certains droits. Le gouvernement fédéral offre présentement son application sur une base volontaire, «mais que se passerait-il si un employeur décidait d’imposer son téléchargement et son utilisation à tous ses employés ?» demande Karine Gentelet, professeure agrégée à l’Université du Québec en Outaouais et titulaire de la Chaire Abeona-ENS-OBVIA en intelligence artificielle et justice sociale.
Elle souligne que les technologies développées pour élaborer les applications de traçage sont transférables à d’autres usages. Ainsi, Amnistie internationale, un organisme qu’elle conseille, a dénoncé le danger pour le respect de la vie privée que représentent les applications de traçage lancées au Bahreïn, au Koweït, mais aussi en Norvège. Les trois effectuent une localisation en direct ou quasiment en direct des utilisateurs et envoient fréquemment leurs coordonnées GPS à un serveur central. Ces informations sont facilement rattachables à une personne précise. On imagine les risques de dérive, en particulier – mais pas seulement – dans les régimes autoritaires.
«La technologie n’est jamais neutre. Son usage reste toujours lié à un contexte socioéconomique et politique, rappelle Karine Gentelet. La peur de la maladie peut diminuer notre vigilance par rapport à la protection de nos droits.»
Rester ouverts
De son côté, Jocelyn Maclure, professeur titulaire en philosophie à l’Université Laval, se montre assez satisfait de la décision prise par le gouvernement du Québec, mais un peu déçu de la teneur des débats pendant la commission parlementaire. «Les discussions ont beaucoup porté sur les risques, mais beaucoup moins sur les bénéfices que l’on pourrait tirer d’une telle application», déplore-t-il.
Il estime que l’on doit garder l’esprit ouvert, car la pertinence de déployer une application de traçage devrait toujours reposer sur un calcul entre les risques et les bénéfices. Présentement, l’utilité d’un tel outil n’aurait pas vraiment été démontrée, selon lui, ce qui justifie l’abandon de l’idée.
Une application de traçage de la COVID-19 ne joue un rôle qu’à partir du moment où un malade montre des symptômes. C’est donc dire qu’elle est inutile pour les patients asymptomatiques, ainsi que pendant la période où une personne déjà contagieuse ne montre pas encore de symptômes.
À l’inverse, certains risques sont manifestes. «Les données sensibles en circulation ouvrent la porte à des piratages ou à des usages malveillants, même si elles restent stockées sur les téléphones intelligents», rappelle Jocelyn Maclure.
L’application peut également engendrer un faux sentiment de sécurité chez les citoyens qui ne reçoivent pas de notification. Au contraire, d’autres pourraient subir une grande anxiété causée par la multiplication des alertes. «Pensons aux gens qui travaillent dans les services, par exemple. S’ils reçoivent une notification chaque fois qu’une personne contaminée est passée près d’eux, ça peut devenir difficile à vivre», illustre le professeur. D’autant que l’application ne permet pas de savoir si la personne contaminée portait un masque, se trouvait derrière un panneau de plastique ou même de l’autre côté d’un mur.
«En ce moment, l’application a mauvaise réputation au Québec, mais nous devons pouvoir mener ce débat de manière rationnelle, affirme Jocelyn Maclure. En pesant le pour et le contre de ce qui pourrait constituer un outil parmi d’autres, si elle démontre son efficacité.»