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Jean-Philippe Legault

Entre les lignes

Jean-Philippe Legault

Expert(e) invité(e)

Les suricates et l’effet de réseau

Jean-Philippe Legault|Publié le 19 août 2022

Les suricates et l’effet de réseau

Les suricates sont de petits animaux qui vivent dans le sud de l’Afrique, habituellement en groupes de 20 à 50 membres. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Si vous êtes un habitué des blogues de Philippe Leblanc, vous aurez probablement remarqué l’importance qu’il accorde aux modèles mentaux. Comme lui, je crois à l’importance de ces modèles, puisqu’ils servent à simplifier des concepts ou phénomènes abstraits.

Plus précisément, les modèles mentaux permettent d’utiliser des concepts provenant de domaines externes, tels que la psychologie et l’histoire, et de les appliquer à l’investissement. En effectuant de tels parallèles, l’investisseur sera en mesure de mieux comprendre et, surtout, d’anticiper le déroulement de certains événements.

Pour illustrer le propos, voici un exemple emprunté au domaine de la biologie. Il est inspiré d’un passage du livre d’Andrew Chen, The Cold Start Problem.

 

Les suricates

Les suricates sont de petits animaux qui vivent dans le sud de l’Afrique, habituellement en groupes de 20 à 50 membres. Pour se protéger, les suricates utilisent des sentinelles qui, en se dressant sur leurs pattes arrière, scrutent l’horizon à la recherche de prédateurs. À l’approche du danger, les membres du groupe sont avertis et courent se mettre à l’abri. En plus de se protéger, les suricates chassent également en collectivité.

Or, la taille de la colonie est cruciale pour la survie du groupe. En effet, une petite colonie de suricates ne sera pas protégée adéquatement. Un groupe de trois à six suricates, par exemple, court un plus grand risque de perdre un membre aux mains d’un prédateur. Une telle perte accélérera la destruction du groupe. Ainsi, le taux de survie d’un petit groupe est faible. La faiblesse de son réseau communautaire est illustrée dans la section A du graphique ci-dessous.

Ce n’est qu’à partir d’un certain seuil, disons entre 10 et 12, que l’effet de collectivité prend tout son sens. Étant maintenant bien protégée, la colonie pourra s’alimenter convenablement et se reproduire. L’arrivée de nouveaux membres dans une colonie bien établie améliorera considérablement la force de la collectivité et les perspectives de survie du groupe. Cette amélioration rapide est illustrée dans la section B du graphique.

À un certain point, l’efficacité de la colonie atteindra un sommet au-delà duquel la force du réseau pourrait décliner. Cette situation se produit lorsqu’il y a surpopulation. Un sommet pourrait être causé par un manque de nourriture ou d’espace dans l’environnement. Un groupe plus grand offre également de multiples cibles aux prédateurs. Le sommet est illustré dans la partie C du graphique.

 

L’effet de réseau

Ce concept simple tiré de la biologie permet de mieux comprendre le fonctionnement de l’effet de réseau qui s’opère dans plusieurs sociétés.

On associe généralement l’effet de réseau à des sociétés ou plateformes telles que Facebook (META), Uber (UBER), YouTube (GOOG), Dropbox (DBX), Bumble (BMBL) et eBay (EBAY) où l’ajout d’un membre supplémentaire améliore la force du réseau. À titre d’exemple, un réseau composé de 50 voitures Uber actives dans une région est beaucoup plus fort qu’un réseau comportant seulement deux voitures actives.

L’exemple des suricates est intéressant pour bien saisir la dynamique de l’effet de réseau, mais il l’est probablement encore plus pour anticiper la suite des événements.

L’investisseur qui comprend bien le phénomène réalisera qu’il est difficile pour un réseau embryonnaire de se développer. Le risque d’échec d’une société se retrouvant à ce stade est élevé.

Il comprendra également qu’à un certain point, la force du réseau pourrait rapidement prendre de la vigueur. Un réseau bien établi et en santé réduit le risque et améliore généralement les perspectives de croissance et de rentabilité.

Toutefois, à moins d’un changement, la force atteindra éventuellement un sommet avant de décliner. L’investisseur se rendra compte qu’une surpopulation n’est pas nécessairement bénéfique pour le réseau.

Il est également important de comprendre que l’effet de réseau fonctionne en sens inverse. Si un réseau perd graduellement des membres, sa force risque de s’effriter rapidement. BlackBerry, Nokia ou MySpace sont des exemples de sociétés qui ont subi ce sort.

S’il détient des sociétés bénéficiant d’un effet de réseau, l’investisseur boursier devrait surveiller de près les sociétés qui figurent dans la phase C du graphique. L’analogie avec les suricates pourrait potentiellement l’aider à identifier les réseaux en voie de se dégrader et à anticiper l’impact sur leur modèle d’affaires et leur rentabilité.

Outre l’effet de réseau, êtes-vous en mesure de faire d’autres parallèles entre la biologie et l’investissement?

Jean-Philippe Legault, CFA

Analyste financier chez COTE 100