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Les «quêteux» milliardaires

Raphaël Melançon|Publié le 17 Décembre 2021

Les «quêteux» milliardaires

(Photo: Chris Chow pour Unsplash)

BLOGUE INVITÉ. Entre deux points de presse sur la pandémie et les rassemblements des Fêtes, il a beaucoup été question de baseball au cours des deux dernières semaines, tant à Québec qu’à Montréal.

Après que le très hypothétique retour de « nos Amours » ait donné lieu à des échanges plutôt corsés en pleine fin de session à l’Assemblée nationale, l’homme d’affaires Stephen Bronfman poursuivait son opération charme du côté de l’hôtel de ville de Montréal, cette semaine, avec une rencontre au sommet très médiatisée avec la mairesse Valérie Plante.

Son objectif : convaincre nos hauts dirigeants d’injecter des centaines de millions de dollars (M$) de notre argent collectif dans son projet de stade de baseball au centre-ville de Montréal. Une condition sine qua non, selon lui, en vue du retour d’une équipe de baseball professionnelle dans la métropole.

 

Un cadeau à 300 M$

C’est tout un changement de ton par rapport aux dernières années pour le groupe de M. Bronfman, qui répétait jusqu’à récemment sur toutes les tribunes que son projet serait entièrement financé par le secteur privé.

Ainsi, à l’approche de Noël, l’héritier de l’empire Seagram est allé cogner aux portes de Montréal et de Québec avec une demande pour le moins onéreuse ; un cadeau pouvant nous coûter jusqu’à 300 M$.

Cependant, on nous promet que cet appui financier se ferait « à coût nul » pour l’État, grâce à une formule de « prêts pardonnables » — nouveau mot à la mode pour éviter de parler de subventions — qui prendrait en compte les retombées économiques et fiscales de la venue d’une équipe de baseball majeur.

Sur cet aspect, on peut remettre en question l’ampleur du retour sur investissement promis. Si les résidents de l’ouest de l’île de Montréal avaient de la difficulté à se déplacer jusqu’au Stade olympique, jugé trop loin à l’est à l’époque des Expos, qui croit vraiment qu’une nouvelle équipe parviendrait à stimuler le tourisme au point d’attirer des visiteurs de l’Ontario et de l’État de New York par milliers chaque année ?

Et comme dans toute chose en économie, chaque décision a son coût d’option. Choisir d’injecter des centaines de millions de deniers publics dans un stade de baseball, c’est aussi renoncer à investir ces mêmes sommes dans l’amélioration de notre système de santé, dans le soutien aux PME ou dans la construction de nouvelles écoles, par exemple. 

Comme société, on a assurément d’autres priorités plus urgentes en ce moment.

 

Un air de déjà-vu

Vous souvenez-vous de la dernière fois qu’un richissime homme d’affaires est venu nous promettre la venue d’une équipe professionnelle si on construisait une infrastructure sportive de haut niveau à grands coups de fonds publics ?

C’était il y a maintenant 10 ans et cela a donné naissance à la désormais infâme saga du Centre Vidéotron à Québec. Un amphithéâtre qui nous a collectivement coûté la bagatelle de 400 M$ et qui est aujourd’hui vide et déficitaire la majorité du temps. Une décennie plus tard, le retour tant espéré des Nordiques ne s’est finalement jamais réalisé, pas plus que les retombées économiques promises ne se sont concrétisées.

On a donc déjà entendu la chanson ; les contribuables doivent assumer les risques financiers d’investir dans le béton, la portion rarement rentable de tels projets, et les investisseurs déjà bien nantis empocheront les profits liés aux droits de diffusion et aux commandites s’ils réussissent à attirer une équipe une fois l’infrastructure complétée. 

Pour le groupe de Bronfman, à partir du moment où la construction du stade est financée en tout ou en partie par des fonds publics, le risque financier reste minime. D’autant que le projet prévoit aussi l’aménagement d’édifices commerciaux et de tours à condos autour du futur stade, mais les contribuables ne seront sans doute pas invités à prendre part aux bénéfices pour cette portion. En somme, là où il y a vraiment de l’argent à faire, l’État ne sera pas invité à investir.

Et ça, c’est seulement si — et je dis bien SI — une équipe finit véritablement par s’y installer, ne serait-ce qu’à temps partiel entre Montréal et Tampa Bay. Si le projet avorte en cours de route, que pourra-t-on bien faire d’un stade de baseball vide, utilisable seulement six mois par année, en plein centre-ville de Montréal ?

L’histoire nous a démontré que les belles promesses ne se réalisent pas toujours comme prévu. Là-dessus, le disque des retombées économiques est passablement rayé.

 

Les deux mains dans nos poches

Alors qu’ils promettaient initialement que leur projet se réaliserait sans l’aide des gouvernements, pourquoi Stephen Bronfman et ses acolytes se retrouvent-ils soudainement à devoir aller quêter des millions à Québec et à Montréal ?

Comment se fait-il qu’un groupe dont font partie certaines des plus grandes fortunes du Québec — Alain Bouchard, Eric Boyko, Mitch Garber, pour ne nommer que ceux-là — avec toutes ses entrées dans les milieux financiers mondiaux n’ait pas encore été en mesure de boucler son montage financier avec la participation du secteur privé ? L’argument de la pandémie ne suffit pas à répondre à cette épineuse question.

Et puisqu’ils pèsent tous ensemble plusieurs dizaines de milliards de dollars, pourquoi ne pas tout simplement investir leur propre argent dans ce fameux stade ? Après tout, 300 millions, c’est pratiquement du « petit change » pour des chefs d’entreprises aux reins aussi solides. Leur plan d’affaires serait-il à ce point peu viable qu’ils n’y croiraient pas eux-mêmes ?

Que l’opération se fasse à coût nul ou non pour eux, les contribuables québécois et montréalais ne devraient jamais avoir à subventionner à coups de millions la réalisation des fantasmes d’une poignée de milliardaires. Comme pour le Centre Bell dans les années 1990, le risque d’un tel projet devrait être assumé à 100% par le privé.

À moins d’un an des élections, il serait d’ailleurs hautement surprenant de voir le gouvernement Legault s’embarquer dans une aventure aussi controversée. Stratégiquement, le risque serait beaucoup trop grand pour la CAQ, qui a déjà si peu à gagner sur l’île de Montréal.

Même le père Noël a un budget à respecter. S’ils veulent vraiment se payer le « trip » de posséder une équipe de baseball professionnelle, Stephen Bronfman et ses actionnaires devront probablement faire l’effort de piger un peu plus dans leurs propres poches.

 

Entre deux points de presse sur la pandémie et les rassemblements des Fêtes, il a beaucoup été question de baseball au cours des deux dernières semaines, tant à Québec qu’à Montréal.
Après que le très hypothétique retour de « nos Amours » ait donné lieu à des échanges plutôt corsés en pleine fin de session à l’Assemblée nationale, l’homme d’affaires Stephen Bronfman poursuivait son opération charme du côté de l’hôtel de ville de Montréal, cette semaine, avec une rencontre au sommet très médiatisée avec la mairesse Valérie Plante.
Son objectif : convaincre nos hauts dirigeants d’injecter des centaines de millions de dollars (M$) de notre argent collectif dans son projet de stade de baseball au centre-ville de Montréal. Une condition sine qua non, selon lui, en vue du retour d’une équipe de baseball professionnelle dans la métropole.
Un cadeau à 300 M$
C’est tout un changement de ton par rapport aux dernières années pour le groupe de M. Bronfman, qui répétait jusqu’à récemment sur toutes les tribunes que son projet serait entièrement financé par le secteur privé.
Ainsi, à l’approche de Noël, l’héritier de l’empire Seagram est allé cogner aux portes de Montréal et de Québec avec une demande pour le moins onéreuse ; un cadeau pouvant nous coûter jusqu’à 300 M$.
Cependant, on nous promet que cet appui financier se ferait « à coût nul » pour l’État, grâce à une formule de « prêts pardonnables » — nouveau mot à la mode pour éviter de parler de subventions — qui prendrait en compte les retombées économiques et fiscales de la venue d’une équipe de baseball majeur.
Sur cet aspect, on peut remettre en question l’ampleur du retour sur investissement promis. Si les résidents de l’ouest de l’île de Montréal avaient de la difficulté à se déplacer jusqu’au Stade olympique, jugé trop loin à l’est à l’époque des Expos, qui croit vraiment qu’une nouvelle équipe parviendrait à stimuler le tourisme au point d’attirer des visiteurs de l’Ontario et de l’État de New York par milliers chaque année ?
Et comme dans toute chose en économie, chaque décision a son coût d’option. Choisir d’injecter des centaines de millions de deniers publics dans un stade de baseball, c’est aussi renoncer à investir ces mêmes sommes dans l’amélioration de notre système de santé, dans le soutien aux PME ou dans la construction de nouvelles écoles, par exemple. 
Comme société, on a assurément d’autres priorités plus urgentes en ce moment.
Un air de déjà-vu
Vous souvenez-vous de la dernière fois qu’un richissime homme d’affaires est venu nous promettre la venue d’une équipe professionnelle si on construisait une infrastructure sportive de haut niveau à grands coups de fonds publics ?
C’était il y a maintenant 10 ans et cela a donné naissance à la désormais infâme saga du Centre Vidéotron à Québec. Un amphithéâtre qui nous a collectivement coûté la bagatelle de 400 M$ et qui est aujourd’hui vide et déficitaire la majorité du temps. Une décennie plus tard, le retour tant espéré des Nordiques ne s’est finalement jamais réalisé, pas plus que les retombées économiques promises ne se sont concrétisées.
On a donc déjà entendu la chanson ; les contribuables doivent assumer les risques financiers d’investir dans le béton, la portion rarement rentable de tels projets, et les investisseurs déjà bien nantis empocheront les profits liés aux droits de diffusion et aux commandites s’ils réussissent à attirer une équipe une fois l’infrastructure complétée. 
Pour le groupe de Bronfman, à partir du moment où la construction du stade est financée en tout ou en partie par des fonds publics, le risque financier reste minime. D’autant que le projet prévoit aussi l’aménagement d’édifices commerciaux et de tours à condos autour du futur stade, mais les contribuables ne seront sans doute pas invités à prendre part aux bénéfices pour cette portion. En somme, là où il y a vraiment de l’argent à faire, l’État ne sera pas invité à investir.
Et ça, c’est seulement si — et je dis bien SI — une équipe finit véritablement par s’y installer, ne serait-ce qu’à temps partiel entre Montréal et Tampa Bay. Si le projet avorte en cours de route, que pourra-t-on bien faire d’un stade de baseball vide, utilisable seulement six mois par année, en plein centre-ville de Montréal ?
L’histoire nous a démontré que les belles promesses ne se réalisent pas toujours comme prévu. Là-dessus, le disque des retombées économiques est passablement rayé.
Les deux mains dans nos poches
Alors qu’ils promettaient initialement que leur projet se réaliserait sans l’aide des gouvernements, pourquoi Stephen Bronfman et ses acolytes se retrouvent-ils soudainement à devoir aller quêter des millions à Québec et à Montréal ?
Comment se fait-il qu’un groupe dont font partie certaines des plus grandes fortunes du Québec — Alain Bouchard, Eric Boyko, Mitch Garber, pour ne nommer que ceux-là — avec toutes ses entrées dans les milieux financiers mondiaux n’ait pas encore été en mesure de boucler son montage financier avec la participation du secteur privé ? L’argument de la pandémie ne suffit pas à répondre à cette épineuse question.
Et puisqu’ils pèsent tous ensemble plusieurs dizaines de milliards de dollars, pourquoi ne pas tout simplement investir leur propre argent dans ce fameux stade ? Après tout, 300 millions, c’est pratiquement du « petit change » pour des chefs d’entreprises aux reins aussi solides. Leur plan d’affaires serait-il à ce point peu viable qu’ils n’y croiraient pas eux-mêmes ?
Que l’opération se fasse à coût nul ou non pour eux, les contribuables québécois et montréalais ne devraient jamais avoir à subventionner à coups de millions la réalisation des fantasmes d’une poignée de milliardaires. Comme pour le Centre Bell dans les années 1990, le risque d’un tel projet devrait être assumé à 100% par le privé.
À moins d’un an des élections, il serait d’ailleurs hautement surprenant de voir le gouvernement Legault s’embarquer dans une aventure aussi controversée. Stratégiquement, le risque serait beaucoup trop grand pour la CAQ, qui a déjà si peu à gagner sur l’île de Montréal.
Même le père Noël a un budget à respecter. S’ils veulent vraiment se payer le « trip » de posséder une équipe de baseball professionnelle, Stephen Bronfman et ses actionnaires devront probablement faire l’effort de piger un peu plus dans leurs propres poches.