(Photo: Gábor Molnár pour Unsplash)
Par Mohika Tremblay, PDG, Tred’si
Véritable pilier économique et social, l’industrie de la construction figure parmi les secteurs d’activités les plus importants du point de vue économique. Elle constitue également un important facteur de compétitivité. Sous cet angle, l’industrie de la construction est particulièrement bien positionnée pour amorcer la transition et prendre la voie de la construction durable. Mais par où commencer? Voici quelques pistes.
Une question de perception
Il y a une perception encore largement répandue que la croissance économique et la protection de l’environnement sont en contradiction. Autrement dit, la pensée populaire, tout autant que la vision traditionnelle des organisations, associent la mise en œuvre d’actions durables à des coûts additionnels, qui affectent la rentabilité. La croissance économique serait donc au détriment de la transition écologique. Mais qui a dit qu’être verts nous mènerait dans le rouge?
La grande majorité semble aujourd’hui s’entendre sur l’urgence d’agir en contexte de changements climatiques, et bon nombre d’experts estiment, au contraire, qu’il sera bien plus coûteux de poursuivre dans la voie actuelle que d’effectuer des changements en faveur du développement durable. Plusieurs indicateurs démontrent également la nécessité d’un changement de paradigme. Par exemple, la surexploitation des ressources et l’insoutenable vitesse à laquelle nous les sollicitons. Dans la mesure où la croissance repose en grande partie, sinon entièrement sur les ressources, il ne saurait y avoir de croissance si l’économie demeure au détriment des autres axes de développement.
Cette perception, particulièrement répandue en contextes de gouvernance étatique et d’entreprise, vient faire obstacle aux potentiels d’innovation en faveur du bien-être général. C’est alors qu’acculés au pieds du mur, nous irons d’une tentative de réconciliation entre l’humain et le bien-être, l’économique et l’environnement, la concurrence et la compétitivité, et s’engagerons dans la création de l’«économie verte». D’emblée, ce sont de beaux efforts de réconciliation des problématiques, mais il y a fort à parier qu’elles n’auront pas l’impact souhaité.
La clarté
Parce que les mots sont porteurs de sens, et que le mariage des termes utilisés tend à une interprétation erronée. D’abord, car l’économie verte est une approche pour mettre en œuvre le développement durable. Elle vise l’amélioration des conditions de vie en général, et à ce titre, elle est multidimensionnelle. Cela va au-delà de l’économique et du vert. Les termes qui composent le concept ignorent l’indispensable dimension sociale. Cette tendance d’actualité défavorise la cohésion, l’implication et l’engagement. Or, on ne saurait se permettre de telles ambiguïtés dans un contexte d’urgence climatique et de surexploitation des ressources. Les termes employés malmènent ainsi les priorités. Pour arriver à l’objectif souhaité, il ne suffit pas de teinter de vert un facteur auquel on veut redorer l’image. La durabilité sera issue d’une vision concertée des différents acteurs impliqués, ou ne sera pas.
Une question de volonté
Une saine gouvernance requiert les bons termes, aux bons endroits, énoncés dans l’ordre à privilégier. C’est pourquoi une fois les priorités définies, il est fondamental de les représenter comme telles et d’en assurer une traduction publique cohérente. Cette étape va bien au-delà du bon citoyen corporatif, du capitalisme humain et de la bonne volonté. Elle est une démarche «sine qua non» sans laquelle, «les bottines continueront de ne pas suivre les babines». Si telle est la volonté, le message doit être clair: pour demeurer compétitive, l’économie doit, dans tous les cas, tenir compte des externalités liées aux décisions. En commençant par celles de l’État, en tant que plus important donneur d’ordre public et en vertu de son devoir d’exemplarité. L’État cible, fixe les objectifs, donne le ton et doit maintenir le cap.
En contexte de construction, l’ampleur de l’industrie reflète notamment la part de ressources sollicitées, de même que celle des matières résiduelles générées. Le fait est qu’à l’échelle mondiale, 50% des déchets solides proviennent des matériaux de construction. Ces flux matières sont un défi pour l’un, alors que pour d’autres, elles représentent une occasion d’identifier, de créer des alternatives en faveur d’une industrie de la construction durable. Dans cette perspective, l’industrie a l’occasion de prendre position pour et au nom de nos ressources. Mais il y a un «mais». Entre autres, en ce qui concerne «le plus bas soumissionnaire conforme» et encore plus en ce qui a trait à la traduction en actions de cette volonté clamée haut et fort.
Que l’on pense aux lieux d’enfouissement techniques privés qui reçoivent leurs autorisations de l’État, mais qui ont le choix des matières recevables, bannissant ainsi certaines d’entre elles alors qu’elles sont leurs raisons d’être. Ou encore, à une société d’État qui empoche des bénéfices nets par milliards de dollars chaque année, mais arrive à justifier économiquement des décisions à très faibles rendements environnementaux et sociaux. Une situation qui propose de remettre en question l’éthique de notre gouvernance étatique, tant en ce qui concerne notre «énergie propre à nous» qu’en ce qui concerne nos reines de territoires. On a encore des croûtes à manger pour atteindre l’exemplarité.
La volonté émane de la culture, est source d’engagement et se traduit en actions. La culture de capitalisme pur et dur fait obstacle au développement durable. Quant aux résultats, ils ne sauront s’élever au-delà de la volonté dont ils proviennent.
Une question de détermination
C’est sur la volonté que repose la détermination. D’ambitieuses cibles environnementales ont été fixées dans un horizon 2030. Misant sur la responsabilisation, la bioénergie, la construction durable, l’innovation, etc. Or, on ne saurait faire reposer les résultats sur une transition à demi-mesure. Chaque geste compte.
C’est l’affaire de tous les acteurs de la chaîne de valeur, du petit et du grand, du début jusqu’à la fin. Il en va du donneur d’ouvrage public au consommateur, en passant par l’entrepreneur, ses fournisseurs et le secteur privé. Et il en va de chacun des dirigeants dans leur unicité, en tant que citoyen vivant en collectivité au sein d’une société. À ce titre, tout un chacun a le pouvoir de transcender les pratiques usuelles, d’apprivoiser la collaboration et de s’élever au-delà du travail en silo pour s’offrir une vision à 360 degrés.
Une industrie longue durée
Collaboration et conséquences externes des décisions sont les réflexes à adopter pour toutes industries qui aspirent à la compétitivité longue durée. Le développement durable mérite toute l’attention, tant pour la société que pour toute entreprise désireuse de prospérer dans une économie mondialisée. Le secteur de la construction ne fait pas exception. Bien au contraire. Cette industrie détient la force de sa grandeur.
Voici donc quelques pistes de solutions.
Adopter une posture d’avant-garde sollicitant la collaboration plutôt que la compétition. Favoriser la longévité, notamment en privilégiant des matériaux durables. Réviser, voire renouveler la chaîne logistique et les processus clés. S’attaquer au gaspillage. Se faire exigeants. S’offrir une vision à long terme et la concrétiser par des gestes posés à court terme. Voir cette entreprise de transition non pas comme un « sprint », mais comme un marathon. Et finalement, assurer aux matières une gestion saine et sécuritaire. Il nous faut harmoniser les dimensions environnementale, économique et sociale des ouvrages en posant un regard à 360 degrés sur la chaîne de valeurs de l’industrie.
Ainsi, lorsque le vent d’une volonté clairement définie soufflera, nous serons en mesure d’amorcer les travaux en érigeant de solides fondations à l’économie verte, et nous favoriserons l’émergence d’une industrie de la construction durable, pour et au nom d’une véritable compétitivité longue durée.