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Le taxi ou l’art d’apprendre sans comprendre

Le courrier des lecteurs|Publié le 25 mars 2019

Le taxi ou l’art d’apprendre sans comprendre

Photo par Daniel Monteiro, Unsplash

COURRIER DU LECTEUR. En 1979, je voulais travailler à temps partiel afin de pouvoir me consacrer à mes examens de doctorat. Impossible. Il n’y avait malheureusement que du travail à temps plein.

Je ne me suis pas informé sur les prêts et bourses, je ne savais même pas que ça existait. La seule solution qui s’offrait à moi était du taxi. J’ai fait mes examens et j’ai obtenu mon permis, et tout était en place pour neuf mois d’aventure. Il y avait environ 6000 Permis à Montréal de telle sorte que le permis coûtait environ 13,500$, avec la voiture SVP.

Le gouvernement d’alors avait promis de racheter quelque 2000 permis, ce qu’il a fait. Entre-temps, la population a augmenté. La théorie économique nous dit que lorsque l’offre (fixe : le nombre de permis existants) diminue et la demande augmente (due à la croissance de la population), le prix augmente. Le prix du permis s’est mis à augmenter pour atteindre, il y a quatre ou cinq ans, jusqu’à 240 000$. Comme il est réglementé, le prix des courses n’a cependant pas augmenté aussi rapidement.

Des investisseurs locaux et étrangers se sont mis à acheter des permis pour investir ou pour travailler. C’était vrai surtout pour les professionnels étrangers dont les diplômes ne sont pas reconnus au Québec à cause, essentiellement, du corporatisme. D’ailleurs, la blague qui circulait à Montréal, à cause de la lourdeur administrative de notre système de santé, était que si tu voulais accoucher, tu étais mieux dans un taxi tellement il y avait de médecins étrangers qui œuvraient dans le domaine du taxi.

Il y a deux ou trois ans, le gouvernement libéral de Philippe Couillard, au nom de la libre entreprise, a autorisé Uber à opérer au Québec à quelques conditions. Le prix des permis de taxi existants s’est mis à dégringoler et le consommateur a appris à ses dépens le fonctionnement du libre marché où les prix fluctuent au gré de l’offre et de la demande. Ainsi une course qui ne coûtait guère plus que 10$ se pouvait se transiger aux alentours de 80$ avec Uber selon les conditions du marché. En période de pointe, Uber augmentait les prix de façon astronomique.

Les questions qui se posaient alors étaient d’ordre économique et moral : comment le gouvernement pouvait-il laisser une entreprise opérer dans une industrie réglementée, et ce sans aucun permis. Uber payait-elle les taxes et les retenues à la source? Combien payait-elle ses employés? Pire encore, Uber déclarait-elle tous les revenus encaissés et payait-elle les impôts dus sur ces revenus? D’ailleurs, comment pouvons-nous percevoir ces impôts tant que la compagnie mère exploite la filiale? Je ne vous apprendrais rien en vous disant qu’il s’opère entre la filiale et la compagnie mère des transactions qui peuvent être facturées à gros prix pour sortir l’argent d’un pays où les impôts sont moins élevés vers une autre juridiction où la fiscalité est moins lourde.

Le gouvernement Legault se targue d’avoir mis de côté 500 M$ pour dédommager les propriétaires de taxi. Ce qu’il ne dit pas c’est que cette somme ne compense que les détenteurs de permis montréalais qui forment 60% de l’ensemble des détenteurs de permis de taxi et ce à hauteur de 100 000$ chacun. Que fait-on de ceux qui ont payé 240 000$ et des autres détenteurs de permis ailleurs dans la province?

Vers le 20 mars, dans sa grande sagesse, notre ministre des Transports François Bonnardel nous a annoncé une grande nouvelle : dorénavant, on n’aura plus besoin de permis pour opérer un taxi. Un simple permis de conduire de classe 5 plus une formation de 7 heures (!) et le tour est joué. Il appelle ça réduire la paperasse et la bureaucratie, je suppose.

Ce que cette annonce fait c’est d’augmenter considérablement l’offre de taxis et de chauffeurs. Cela voudra dire qu’au lieu d’avoir 8 300 permis de toutes catégories dans la province, nous en aurons plus, mais vraiment beaucoup plus. Au lieu d’avoir 8 950 chauffeurs qui gagnent un salaire décent, nous en aurons beaucoup plus qui gagneront un salaire misérable. Le nombre de clients n’augmentera pas aussi vite que le nombre de chauffeurs, alors ils seront plus nombreux à se partager la tarte.

La réforme fait en sorte que les propriétaires existants de permis de taxi ne peuvent plus compter sur la revente de ce permis pour la retraite.

Cette réforme est réalisée au nom de la libre entreprise et du libre marché. Notre ministre a certainement entendu parler de capitalisme et de libre entreprise, mais je crains qu’il n’y a rien compris. Il aurait dû dérèglementer cette industrie sur un horizon de 20 ou 25 ans, puis introduire de nouvelles mesures. Il aurait dû donner, aux acteurs actuels, le temps de s’ajuster. Notre ministre est assez vieux pour se rappeler ce que la dérèglementation hâtive et brutale du système a fait : les crises de 1987, 2000 et 2008. S’il est trop jeune pour s’en souvenir, qu’il s’informe avant d’agir.

L’exemple le plus concret d’une industrie laissée à elle-même est l’industrie des dépanneurs. Ces petits commerces poussent comme des champignons un peu partout. N’importe qui a le droit d’opérer un dépanneur, mais personne ne gagne grand-chose, et ce, même en travaillant jusqu’à 16 heures par jour l’année durant, seul ou en famille. À Montréal, il y a des arrondissements qui songent à limiter le nombre de dépanneurs sur leur territoire. La théorie économique avait prévu tout â dans le chapitre sur la concurrence monopolistique. Tout le monde le comprend sauf notre ministre des transports.

Le ministre devrait réfléchir un peu plus à sa réforme et consulter un peu plus.

Tahar Mansour, Ph. D., Économiste.