Le secteur agroalimentaire doit relever les défis climatiques
Le courrier des lecteurs|Publié le 24 novembre 2023«Accroître la résilience du secteur et limiter la contribution au réchauffement climatique: voilà des défis qui vont transformer les systèmes alimentaires.» (Photo: 123RF)
Un texte de Jean-Michel Couture, président et associé au Groupe AGÉCO, avec la collaboration de Sofia Condes, responsable de la sensibilisation auprès des investisseurs pour FAIRR (Farm Animal Investment Risks and Return)
COURRIER DES LECTEURS. À la veille de la 28e conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP28), le secteur agroalimentaire apparaît comme une priorité essentielle alors que le monde est confronté à la perspective d’un scénario de réchauffement de 3 degrés.
Selon le plus récent Indice des producteurs de protéines de l’organisme FAIRR, la difficulté des grandes entreprises du secteur à réduire leurs émissions souligne la nécessité urgente d’accorder une plus grande attention au secteur de l’alimentation et de l’agriculture. Les émissions du système alimentaire méritent une place à table, aux côtés de l’énergie et des transports, car elles représentent environ un tiers des émissions de gaz à effet de serre et 40% des émissions de méthane. FAIRR, qui réunit un réseau d’investisseurs dont les actifs sous gestion de ses membres investisseurs représentent 70 000 milliards de dollars, espère que la publication, pour la première fois, d’une feuille de route pour l’alimentation et l’agriculture par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), lors de la COP28 catalysera la transition vers 1,5 degré et un système alimentaire plus durable.
FAIRR indique que le secteur privé, financier en particulier, peut jouer un rôle déterminant pour permettre au secteur agroalimentaire de relever le défi climatique tout en diminuant le risque de la transition pour les entreprises du secteur. Le secteur doit notamment se pencher sur des solutions technologiques, sur la promotion de meilleures pratiques, sur une plus grande diversité de cultures, mais aussi sur des instruments financiers innovants à moyen et long terme pour l’allocation de capitaux permettant de contribuer tant aux progrès en matière de climat, que pour la biodiversité et la sécurité alimentaire.
Non seulement le secteur contribue significativement aux émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle mondiale, il est particulièrement vulnérable aux conséquences des changements climatiques. Accroître sa résilience et limiter sa contribution au réchauffement climatique: voilà des défis qui vont transformer les systèmes alimentaires.
Toutefois, cette transformation ne peut être réalisée que par une approche holistique et collaborative du changement et avec l’appui de mécanismes financiers innovants. Les entreprises et organisations agricoles et agroalimentaires québécoises et canadiennes sont-elles prêtes et outillées pour relever ce défi?
Trois vecteurs de changement face auxquels se positionner
Les organisations du secteur, quelles que soient leur taille et la nature de leur activité, sont appelées à agir sur trois fronts:
• S’adapter au changement climatique, en tenant compte des nouvelles conditions de production qui émergent avec leur lot de risques et d’incertitudes;
• Répondre aux attentes des marchés vis-à-vis leurs acteurs, en termes de performances extrafinancières (aussi dit critères ESG – environnemental, social et de gouvernance) et démontrer leur résilience climatique;
• Maintenir la confiance du public et des actionnaires des grandes entreprises qui s’attend à ce que des engagements climatiques soient pris et respectés, tant par les gouvernements que les entreprises privées.
Ces nouvelles exigences se traduisent aujourd’hui dans les cadres de reddition de comptes extrafinancière. En première ligne se trouvent les travaux de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), pilotés par le Bureau international des normes comptables. S’y ajoutent de nombreuses autres plateformes, incluant celles du CDP (Carbon Disclosure Project) et du TCFD (Task Force on Climate-Related Financial Disclosure). Ces cadres ont pour dénominateur commun d’exiger des organisations une plus grande transparence et rigueur dans la façon dont elles gèrent leurs risques climatiques et démontrent leur engagement aux plans environnemental, humain et financier.
Les critères «ESG»: similaires à la «salubrité alimentaire»?
Aujourd’hui volontaires, la participation et la conformité à ces cadres sont appelées à devenir une exigence, soit des acheteurs ou bailleurs de fonds dans le cadre de relations commerciales, soit des autorités publiques à travers la réglementation. Ainsi, l’Union européenne exigera, dès 2024, que les entreprises se conforment aux normes européennes d’information en matière de durabilité.
Pour le secteur agroalimentaire, cela rappelle l’émergence des normes de salubrité alimentaire au cours des années 1990: nouvelles exigences à l’échelle des entreprises, se traduisant en normes harmonisées à l’échelle internationale, puis devenant une condition d’accès aux marchés.
Hier comme aujourd’hui, il s’agit d’une occasion de différenciation pour les pionniers. Mais, pour le secteur dans son ensemble, une réflexion s’impose sur la posture à adopter et le rythme de cette transition.
«Gouverner, c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte»
Cette citation datant du 19e siècle n’a rien perdu de sa pertinence et interpelle plus que jamais les décideurs, tant gouvernementaux que ceux en entreprise.
La majorité des organisations du secteur agroalimentaire sont dotées de plans stratégiques leur permettant de guider leurs décisions et leurs actions sur un horizon de 3 à 5 ans. Toutefois, le contexte d’affaires actuel appelle à réfléchir l’avenir différemment. D’abord, en reconnaissant que l’incertitude croissante requiert de penser en termes de « scénarios » et de miser sur son agilité à y répondre. Ensuite, en acceptant que la résilience et la capacité de répondre aux attentes croissantes liées aux défis climatiques passent nécessairement par une approche collective – intrasectorielle, intersectorielle et/ou territoriale, puisqu’aucune organisation n’a seule la capacité à relever ces défis.
Agir de façon concertée pour diminuer le risque de la transition
Pour les entreprises, et pour les entreprises agricoles en particulier, cette transition comporte de très grands risques. Aux investissements requis, s’ajoute l’incertitude quant aux résultats, tant économiques qu’environnementaux. La confiance est également cruciale, car collaborer exige de partager des données sur ses opérations avec des acteurs aux intérêts qui diffèrent. Innover comporte des risques qui devraient d’être partagés équitablement entre les intervenants.
Ces défis ressortent clairement à travers les initiatives fondées sur les outils de marché (crédits compensatoires, programmes d’assurance et autres mécanismes issus de la finance responsable). Celles-ci suscitent un engouement particulier dans le secteur agroalimentaire, comme en témoignent les nombreuses initiatives en matière d’agriculture régénératrice par exemple.
La COP28: une occasion d’introspection
La présidence de la COP28 a placé la transformation des systèmes alimentaires au cœur de l’agenda de la conférence avec le plus vaste programme de sessions liées au secteur agroalimentaire. Une retombée certaine de la COP28 sera de rappeler l’urgence d’agir afin de relever les défis climatiques et d’engager une réflexion sur les changements requis dans le secteur agroalimentaire d’ici et d’ailleurs. Ces considérations affectent déjà la façon dont les marchés opèrent et cela ne va que s’accélérer. Au-delà de la responsabilité individuelle des organisations, il importe de se questionner sur l’action collective nécessaire de la part de toutes les parties prenantes, y compris les gouvernements, les entreprises, les ONG et la société civile.
Dès lors la question: prêt, pas prêt, partez ?