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La grappe d’ici qui voulait devenir la plus innovante au monde

Jean-François Venne|Édition de la mi‑juin 2019

La grappe d’ici qui voulait devenir la plus innovante au monde

Décarbone+ permet aux entreprises de réduire leur consommation d'énergie et de préserver leur accès aux marchés où l'on taxe de plus en plus le carbone. (Photo: Bombardier)

INDUSTRIE AÉROSPATIALE. L’aérospatiale québécoise continue d’occuper une place enviable dans le monde, mais pour la conserver, elle devra miser sur les nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle et la fabrication additive. Ce virage demande un changement de mentalité et une ouverture vers des joueurs qui évoluent à l’extérieur des cercles traditionnels de cette industrie.

Le nouveau plan d’Aéro Montréal présente un objectif ambitieux : devenir la grappe industrielle la plus innovante au monde. Déjà, 70 % des dépenses totales en recherche et développement (R-D) de l’industrie aérospatiale canadienne se font au Québec grâce à des investissements de grands joueurs comme Bombardier Aéronautique, Pratt & Whitney Canada, CAE et Thales. La R-D peut aussi compter sur des acteurs comme le Consortium de recherche et d’innovation en aérospatiale au Québec (CRIAQ), le Centre de technologie en aérospatiale, l’École de technologie supérieure (ÉTS), Polytechnique Montréal et l’Université McGill.

Jusqu’à maintenant, cela a aidé Montréal à conserver son titre de troisième pôle mondial de l’aéronautique, derrière Toulouse et Seattle, où l’on retrouve respectivement le siège opérationnel d’Airbus et la plus grande usine de Boeing. «Avec l’avènement de l’industrie 4.0, de l’intelligence artificielle et de la fabrication additive, l’aérospatiale québécoise doit renouveler sa démarche de l’innovation en s’ouvrant aux chercheurs et aux entreprises des nouvelles technologies», soutient Suzanne Benoît, PDG d’Aéro Montréal.

L’aérospatiale était le principal intervenant en R-D dans l’industrie manufacturière canadienne en 2017, avec 24 % de la R-D, selon Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Elle y a investi 1,7 milliard de dollars cette année-là.

Au Québec, la troisième phase du projet d’avion écologique SA2GE s’est amorcée il y a deux mois, assortie d’une aide financière de 25 millions de dollars du gouvernement du Québec. Le projet AERO21, un OBNL financé par l’industrie et le gouvernement pour appuyer l’usine 4.0, la fabrication additive et les technologies numériques, a aussi été lancé récemment.

Innover ensemble

Montréal doit absolument garder le cap sur le développement de son expertise en aérospatiale numérique pour conserver sa place de pôle mondial, selon Alain Aubertin, PDG du CRIAQ. Plusieurs pays tels la Chine, l’Inde et les Émirats arabes unis investissent beaucoup dans le développement de leur industrie aérospatiale. Rester en tête du peloton exigera beaucoup de collaboration entre les différents acteurs de l’aérospatiale, mais aussi avec d’autres secteurs.

Le CRIAQ s’emploie justement à soutenir l’innovation ouverte. Pour être financés par le CRIAQ, les projets doivent être menés en collaboration entre plusieurs entreprises, universités et centres de recherche. Ces projets peuvent intégrer des acteurs étrangers.

Parmi les grandes tendances en recherche dans l’industrie, M. Aubertin mentionne les systèmes autonomes. «Plusieurs PME et des start-up travaillent au développement de pilotes automatiques et de technologies embarquées pour la navigation des systèmes autonomes», illustre-t-il. La propulsion serait aussi un sujet en vogue, notamment pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre ou le bruit des avions. Une nouvelle vague de projets porte sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’aérospatiale.

«L’écosystème de la recherche et de l’innovation en aérospatiale est bien plus grand que les quelque 200 entreprises de ce secteur et va continuer à voir arriver de nouveaux joueurs», soutient M. Aubertin. Il croit que Montréal regorge d’atouts pour devenir la capitale de l’aérospatiale numérique, alors qu’elle compte plusieurs manufacturiers, un milieu des technologies numériques en plein essor et plusieurs sièges d’organismes internationaux comme l’Organisation de l’aviation civile internationale et l’Association internationale du transport aérien.

Une industrie encore conservatrice

Pour y arriver, l’industrie aérospatiale devra surmonter une certaine frilosité. Très réglementée, elle a la réputation d’être conservatrice. Comme ses entreprises produisent beaucoup moins d’unités que d’autres industries, comme l’automobile par exemple, les cycles d’innovation y sont plus longs. Et la sécurité demeure un enjeu crucial, qui s’incarne dans des processus de certification sévères. Le triste épisode des deux récents écrasements d’appareils Boeing 737 MAX 8 montre bien les conséquences dramatiques que peut avoir un processus de certification défaillant.

«C’est pour cette raison que l’industrie fait davantage d’amélioration de produits que d’introduction de nouvelles pièces ou de nouveaux équipements, résume François Garnier, directeur du regroupement AÉROÉTS. L’industrie 4.0 se concentre présentement beaucoup sur les processus de fabrication, sans changer fondamentalement les avions.»

Le rôle d’AÉROÉTS est de promouvoir la recherche et la formation en aérospatiale à l’ÉTS. Il collabore avec cinq autres universités et cinq entreprises au sein des Instituts aérospatiaux de Montréal. «La formation constitue toujours l’un des éléments importants de nos projets de recherche afin de former la relève en génie aérospatial», explique M. Garnier.

C’est d’autant plus crucial que l’industrie aérospatiale sent elle aussi le souffle de la pénurie de main-d’oeuvre. Elle devra de plus apprendre à recruter des talents spécialisés dans les nouvelles technologies numériques, que toutes les industries s’arrachent. Un défi déterminant pour son avenir.