La fabrication additive poursuit sa lente progression
Jean-François Venne|Édition de la mi‑juin 2019Hugue Meloche, président et chef de la direction de la PME montérégienne Groupe Meloche, avec un de ses employés (Photo: Courtoisie)
INDUSTRIE AÉROSPATIALE. Depuis quelques années, la fabrication additive (ou impression 3D), gagne en popularité dans plusieurs industries. L’aérospatiale n’y échappe pas. Cela a poussé le fournisseur de composants usinés pour l’aéronautique Groupe Meloche à s’y intéresser de près.
« Cette technologie a le potentiel de révolutionner le secteur manufacturier, alors nous ne pouvions passer à côté », explique Hugue Meloche, président et chef de la direction de la PME montérégienne. L’entreprise fabrique des pièces de moteurs et de structures d’avion.
Présentement, elle utilise l’impression 3D pour fabriquer de l’outillage. Deux machines impriment jour et nuit des outils comme des gabarits pour tester des composants ou des étaux pour retenir ou supporter des pièces. Groupe Meloche mène aussi des projets de R&D pour identifier les pièces susceptibles de constituer de bonnes candidates à la fabrication additive. C’est le cas lorsque cette méthode permet de fabriquer d’un seul coup un composant qui exige normalement l’assemblage de plusieurs pièces ou encore lorsqu’elle permet d’alléger une pièce.
« Il ne s’agit pas de prendre une pièce usinée et de la refaire en fabrication additive, prévient Hugue Meloche. Il faut concevoir un composant en fonction de l’impression 3D. C’est comme ça que l’on fait des gains et c’est là que la fabrication additive devient révolutionnaire. »
Son principal défi actuellement réside dans le manque de maturité du marché de la fabrication additive. Il existe plusieurs technologies et il n’est pas toujours évident de savoir laquelle sera compatible avec les choix faits par les clients de Groupe Meloche. Il faut aussi développer des compétences dans cette approche très différente de l’usinage traditionnel.
Le défi de la certification
La PME montréalaise Thermetco chauffe des pièces métalliques pour les modifier. Environ 12 % de son chiffre d’affaires annuel est généré dans le secteur aéronautique. Depuis cinq ans, elle s’intéresse à la fabrication additive. « Je dirais que l’industrie aéronautique reste parmi les moins avancées de ce côté », analyse Xavier Kauza, directeur des ventes et marketing.
Ce n’est pas par mauvaise volonté. L’industrie aéronautique est très réglementée. Or, développer des normes pour certifier une pièce fabriquée en impression 3D est complexe. En usinage traditionnel, on fabrique une pièce en enlevant de la matière d’un bloc. En fabrication additive, au contraire, on imprime la pièce en ajoutant des couches de poudre métallique. « Dans l’usinage traditionnel, un échantillon du bloc de matière permet de caractérise la résistance élastique de la pièce, son point de rupture et ainsi de suite, explique Xavier Kauza. C’est impossible en impression 3D, car la matière n’est pas aussi homogène et il n’est pas sûr que l’échantillon représente bien les caractéristiques de l’ensemble de la pièce. »
Xavier Kauza voit d’un bon œil l’arrivée de projets comme AÉRO21, dans lesquelles plusieurs entreprises collaboreront pour faire avancer la fabrication avancée et notamment l’impression 3D. Selon lui, les différents joueurs de la filière québécoise de la fabrication additive, des utilisateurs aux fabricants de machines en passant par les producteurs de poudres métalliques, ne se parlent pas assez. Cela aussi ralentirait l’essor de cette approche.
Il manque un champion
AP&C, une société de GE Additive, est spécialisée en production de poudres métalliques, surtout de titane, mais aussi de nickel et d’aluminium, dans les industries aérospatiale et médicale. Elle a des installations à Boisbriand et Ste-Eustache. Inaugurée en septembre 2017, l’usine de Ste-Eustache sera bientôt agrandie. La demande pour les poudres d’AP&C est forte. L’entreprise comptait 51 employés en 2016, elle en aura 225 à la fin de l’année. Elle souhaite porter sa capacité de production à 1 250 tonnes par année dès 2020.
Si ses produits sont fabriqués au Québec, pour l’instant ils se vendent surtout sur les marchés étrangers. Pas moins de 99 % de sa production est exportée, dont environ 85 % aux États-Unis et en Europe et le reste en Asie. « L’impression 3D gagne en popularité dans l’industrie aérospatiale, car elle permet de faire des gains sur plusieurs plans », avance Alain Dupont, président et chef de la direction. Il donne l’exemple du moteur Catalyst, de GE Aviation, dont le nombre de composants a été ramené de 855 à 12 grâce à la fabrication additive. Cela a réduit le poids, l’usure et les risques de fuites.
Il croit que Montréal a besoin d’un champion pour faire avancer l’adoption de la fabrication additive, rôle joué par les GE Aviation aux États-Unis et Airbus en Europe. Les entreprises privées gagneraient également à se concerter et collaborer davantage. « Montréal est un grand pôle de l’aérospatiale, mais pour garder sa place elle ne doit pas passer à côté de ce virage technologique », prévient Alain Dupont.