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Daniel Lafrenière

De kessé l'expérience client

Daniel Lafrenière

Expert(e) invité(e)

La crainte de Big Brother

Daniel Lafrenière|Publié le 01 février 2019

La crainte de Big Brother

«On est loin de la société décrite dans l’oeuvre d’Orwell!», écrit Daniel Lafrenière, spécialiste en expérience client. Photo:123RF

BLOGUE INVITÉ. Un texte publié la semaine dernière concernant l’installation de caméras pour suivre et cibler les clients chez trois commerçants de Place Sainte-Foy à Québec a suscité de vives réactions et discussions tant à la radio que sur les médias sociaux.

«Atteinte à la vie privée!», «Inacceptable!», «Ce genre de pratique devrait être criminelle!» ne sont qu’un aperçu des commentaires lus sur LinkedIn. Cette collecte de données biométriques à des fins marketing suscite craintes et peur chez plusieurs personnes. Pourtant…

La collecte d’information ne date pas d’hier

En savoir toujours plus sur le client pour lui offrir une meilleure expérience client, et lui vendre mieux, voire plus, ne date pas d’hier.

À l’époque où l’on s’abonnait à des journaux ou magazines, des maisons d’édition partageaient les listes de membres à d’autres entreprises. Cette pratique existe toujours.

Aujourd’hui, les grandes marques développent des applications mobiles et implantent des systèmes de gestion de la relation client (CRM) pour notamment vous proposer des produits en fonction de vos achats et de votre profil, de vos intérêts et de vos préférences.

Metro compile les achats des clients détenteurs de sa carte fidélité. L’épicier peut ainsi analyser les tendances et les goûts. Le client cumule des points et reçoit des coupons rabais sur les produits qu’il consomme vraiment. Il mange du yogourt grec nature Riviera? Il recevra un coupon à cet effet. Il ne boit pas de boissons gazeuses? On ne l’importunera pas avec un coupon pour économiser sur le 2 litres de Pepsi.

La SAQ fait sensiblement de même avec sa carte Inspire qui a pour but de compiler les habitudes de consommation de vins et spiritueux des Québécois afin d’ajuster son offre et son message. Tout comme chez Metro, le client accumule des points et reçoit des offres en lien avec ses achats.

Amazon propose depuis ses débuts des offres ciblées du genre «Ceux qui ont lu ce livre ont aussi apprécié…». Cette approche est appréciée car elle permet aux lecteurs avides de découvrir des ouvrages pertinents. Avec la quantité de nouvelles publications, impossible d’être au courant des plus récentes. Cela a d’ailleurs fait école et les clients s’attendent à ce type de personnalisation.

Frank And Oak propose à ses clients de remplir un formulaire de plusieurs pages afin d’établir leur profil vestimentaire. Le résultat? Des courriels ultra-personnalisés qui donnent envie de cliquer parce que le contenu est pertinent.

GoogleMaps, par géolocalisation, présente les commerces, restaurants et hôtels à proximité, au grand bonheur des voyageurs.

Aldo, grâce à son application mobile notifie un client lorsqu’il passe à proximité d’une boutique qui a en stock la paire de bottes ou de chaussures convoitée. Le tout à l’aide de balises Bluetooth (appelés communément beacons).

Qu’ont en commun ces exemples de personnalisation? Ils apportent de la valeur pour le client : offres personnalisées, promotions pertinentes, information géolocalisée.

Personne n’est obligé d’acheter. Aucune entreprise ne nous tord un bras. Bien entendu, certaines poussent occasionnellement la note un peu trop loin, mais j’ai le libre choix d’acheter ou non ce qu’on me propose. Je préfère ces offres personnalisées au bombardement constant des publicités non pertinentes que je subis quotidiennement à la radio, à la télévision et sur le web.

On est loin de la société décrite dans l’oeuvre d’Orwell!

Je comprends l’importance de la vie privée, notamment lorsqu’il s’agit de données biométriques. Cela dit, des millions d’utilisateurs de téléphones intelligents fournissent volontairement leurs empreintes digitales ou faciales pour déverrouiller leur appareil plusieurs fois par jour.

Le paradoxe

En 2010, dans son ouvrage Emotional Branding, Marc Gobé énonçait que «Les clients s’attendent des marques qu’elles les connaissent intimement et individuellement, et qu’elles aient une bonne compréhension de leurs besoins.» Cette attente est bien réelle.

À la même époque, Mark Morin et moi avons publié Talk to me – Get Personal, Get Relevant, Get More Customers. Certains ont émis des réserves en disant que personne ne voudrait dévoiler des renseignements dits «personnels» pour recevoir des offres et du conseil personnalisé. Et pourtant!

Chaque jour, en quelques clics, je peux sur Facebook consulter le journal personnel de tout un chacun. Anniversaires, familles, enfants, naissances, décès, maisons, repas, spectacles, voyages, passe-temps, maladies, rêves, succès, chats, chiens, etc.

Tout, mais absolument tout est photographié et publié sur ce média et ailleurs (Instagram). Et c’est sans compter les opinions politiques et religieuses, les critiques, et l’expression à l’aide des six emojis intégrés à la plateforme.

D’un côté, on dévoile sa vie privée au grand jour en direct. De l’autre, on craint pour cette dernière.

Conclusion

Doit-on paniquer devant l’arsenal déployé par les entreprises pour en savoir plus sur ses clients? Non, mais il faut quand même demeurer vigilant. Le vol de renseignements personnels n’est pas une lubie comme on a pu malheureusement le constater au fil des années.

Cela dit, tant qu’il y a de la valeur pour le client, que les entreprises sont transparentes, que les données sont conservées de façon sécuritaire et qu’elles ne sont pas vendues à des tiers — comment s’en assurer? — je ne crois pas qu’il y ait péril en la demeure.

J’espère seulement que les entreprises se comporteront en Big Mother et non en Big Brother!