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Joe Biden: occasions et menaces pour les entreprises canadiennes

François Normand|Publié le 11 novembre 2020

Joe Biden: occasions et menaces pour les entreprises canadiennes

Le président élu Joe Biden lors d'une allocution prononcée ce mardi 10 novembre. (Photo: Getty)

ANALYSE — Bon nombre d’entreprises au Canada sont sans doute soulagées de l’élection de Joe Biden après quatre années d’une administration Trump qui a soufflé le chaud et le froid sur la relation commerciale canado-américaine. Si une plus grande stabilité est à prévoir à compter du 20 janvier, les sociétés canadiennes qui exportent ou qui fabriquent au sud de la frontière pourraient également avoir de mauvaises surprises.

Regardons d’abord les points positifs qui vont donner une bouffée d’air frais aux exportateurs et aux sociétés qui exploitent une filiale aux États-Unis, à commencer par la plus grande compétitivité à venir des entreprises… canadiennes.

Vous avez bien lu: une plus grande compétitivité des entreprises canadiennes.

 

Les occasions

Dans sa plateforme économique, Joe Biden s’est engagé à augmenter le taux d’impôt des sociétés américaines, pour le faire passer de 21 à 28%. Ce taux était à 35% avant que l’administration Trump ne le réduise de 14 points (à 21%) en 2017, et ce, avec une entrée en vigueur en 2018.

Aujourd’hui, le taux d’imposition combiné des grandes entreprises au Québec (taux fédéral et provincial) s’élève à 26,6%, selon les données du Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF).

Ainsi, au courant de ce mandat de l’administration Biden, les sociétés canadiennes en concurrence avec des entreprises américaines disposeront relativement davantage de liquidités.

Bien entendu, dans la mesure où les gouvernements n’augmentent pas les impôts au Canada afin de réduire leur déficit et leur dette.

Autre facteur positif pour les entreprises canadiennes: l’accélération de la lutte aux changements climatiques aux États-Unis avec l’élection de Joe Biden, et ce, grâce à son projet d’investir 2 000 milliards de dollars américains (2 601 G$CA) d’ici 2024 pour accélérer la transition énergétique.

Pour mettre les choses en perspective, le PIB du Canada s’élevait à 1 736 G$US (2 291 G$CA) en 2019, selon la Banque mondiale.

Le plan vert des démocrates vise 7 secteurs: l’infrastructure, l’industrie automobile, le transport en commun, le secteur de l’électricité, le bâtiment, le logement et l’innovation.

 

Les menaces

Par ailleurs, deux mesures risquent de faire mal aux sociétés canadiennes.

La première concerne les entreprises qui fabriquent aux États-Unis et qui ont délocalisé une partie de leur production dans des pays à faible coût de main-d’œuvre.

L’administration Biden à l’intention d’utiliser à la fois la carotte et le bâton pour inciter les entreprises américaines et les filiales étrangères à rapatrier des «jobs» aux États-Unis, comme l’avait fait du reste l’administration Trump en excerçant des pressions sur America inc.

Pour la carotte, Washington proposera un nouveau crédit d’impôt « Made in America » de 10%, qui s’appliquera aux entreprises qui investissent afin de créer des emplois pour les travailleurs américains tout en favorisant la reprise économique.

Pour le bâton, les démocrates imposeront une pénalité fiscale pour les délocalisations, ce qui se traduira par l’ajout d’une taxe de 10% sur le futur taux d’imposition de 28% des sociétés aux États-Unis —pour le porter à 30,8%.

L’autre risque d’affaires qui concerne les exportateurs canadiens est le nationalisme économique, car l’administration Biden renforcera le Buy American Act. Cette politique favorise les achats de biens du gouvernement fédéral destinés à l’usage public (articles, matériaux ou fournitures) dont la valeur est supérieure au seuil des micro-achats.

Ainsi, une fois au pouvoir à compter du 20 janvier, Joe Biden proposera de nouvelles utilisations du pouvoir de réglementer et de dépenser de Washington évaluées à 700 milliards de dollars américains (912 G$CA).

L’objectif est de renforcer les entreprises manufacturières et les fabricants de technologies américaines. Deux dispositions encadreront ces dépenses 700 G$US, soit le Buy American et le Make it in America.

 

Le président chinois Xi Jinping et le président élu Joe Biden. (Photo: Getty Images)

Les incertitudes

Malgré l’élection d’un nouveau président démocrate, les entreprises canadiennes feront face encore à trois grandes incertitudes.

D’une part, même si le ton changera avec les Chinois, Washington n’enterrera pas la hache de guerre avec Pékin, car les démocrates et les républicains ont sensiblement la même vision à propos de la menace que peut représenter la Chine, selon Eurasia Group, une firme américaine spécialisée dans l’analyse du risque politique pour les entreprises.

D’autre part, en ce qui a trait au conflit du bois d’œuvre, l’industrie canadienne ne doit pas s’attendre à des miracles avec l’élection de Joe Biden. Depuis 40 ans, des administrations démocrates et républicaines ont imposé des tarifs sur les importations canadiennes, et elles devraient continuer à le faire dans un avenir prévisible.

Enfin, le gouvernement du Québec et l’industrie minière devront garder un oeil sur la future politique des démocrates à propos des minéraux critiques et stratégiques (MCS).

Car, si le président Trump a posé des gestes pour accroître l’autonomie des États-Unis dans son mandat, Joe Biden a accordé relativement peu d’importance à cet enjeu durant la campagne. Or, cet enjeu est crucial pour le Québec, qui vient de dévoiler sa stratégie sur les MCS.

Des occasions, des menaces, des incertitudes… Les entreprises canadiennes devront suivre de près les décisions qui se prendront à Washington dans les prochains mois et les prochaines années, car elles auront des impacts sur elles, aussi bien au Canada qu’aux États-Unis.

Cela dit, à la lumière des décennies qui se sont écoulées depuis les années 1950 et 1960, les sociétés et les investisseurs canadiens devraient mieux se porter avec une nouvelle administration Biden, car les démocrates sont généralement bons pour l’économie canadienne, selon les travaux de Pierre Martin, professeur au département de science politique à l’Université de Montréal.

Pour arriver à cette conclusion, l’universitaire a analysé quatre indicateurs économiques: la croissance du PIB par habitant au Canada, le taux de chômage annuel au pays, la croissance annuelle des exportations canadiennes vers les États-Unis et la croissance annuelle de la production réelle des manufacturiers au Canada.

Et ces indicateurs se comportent mieux quand un démocrate est à la Maison-Blanche, puisque les démocrates adoptent généralement des politiques publiques qui stimulent la demande globale aux États-Unis, favorisant du coup les importations en provenance du Canada.