Le futur complexe industriel de l’usine de cellules de batteries de Volkswagen à St.Thomas. À lui seul, le complexe aura la superficie de 210 terrains de football (850 terrains pour l’ensemble du site). (Photo: François Normand)
ANALYSE. Le Québec a de nombreux atouts pour développer sa filière batterie : énergie décarbonée, minéraux critiques et stratégiques (MCS), centres de recherche, main-d’œuvre qualifiée et géographie favorable pour exporter et importer. Or, nous ne sommes pas les seuls à avoir ces atouts. C’est pourquoi la concurrence sera féroce pour attirer des entreprises ici, sans parler de la concurrence de la Chine sur l’ensemble des prix dans la chaîne de valeur.
En fait, la concurrence chinoise touche toutes les filières batterie émergentes dans le monde. Concrètement, cette concurrence risque de faire perdre des ventes à des entreprises du Québec au profit de concurrents chinois. Elle peut même tuer dans l’œuf des projets industriels.
En fait, les coûts de production de l’industrie chinoise sont si bas qu’ils forcent les gouvernements occidentaux à subventionner massivement ou à accorder des avantages fiscaux aux entreprises locales.
Par exemple, en Ontario, la valeur du projet de l’usine de batteries lithium-ion à Windsor de NextStar Energy — une coentreprise formée par LG (51%) et Stellantis (49%) — s’élève à 20 milliards de dollars (G$), dont 15G$ en subventions.
Le secteur privé n’injecte donc que 25% dans cette usine, dont la production a récemment débuté.
La Chine a versé 321G$ en subventions
Pourquoi la Chine a-t-elle des prix si bas ? Les coûts de la main-d’œuvre y sont moins élevés. La réglementation est minimale en matière d’environnement, ce qui réduit aussi les coûts. Enfin, le gouvernement appuie massivement son industrie.
De 2009 à 2023, la Chine a consacré 231G$US (321G$) à son secteur national des véhicules électriques, incluant la fabrication de batteries, selon une étude publiée en juin par le Center for Strategic & International Studies, un groupe de réflexion de Washington. Cela représente une moyenne de 23G$ par année.
Sans surprise, la Chine domine la filière batterie dans le monde. Au premier semestre de 2024, ses fabricants détenaient au moins 65,3% du marché mondial, d’après la firme sud-coréenne SNE Research.
La société CATL — qui a contrôlé pendant quelques années l’unique mine de lithium du Québec, à La Corne, en Abitibi-Témiscamingue — détient à elle seule 37,6% du marché.
Le Québec fait face à un autre type de concurrence : la «guerre» que se livrent les territoires pour attirer des fabricants de batteries. Commençons par l’Europe, qui n’est toutefois pas vraiment un concurrent direct pour l’industrie québécoise.
Le continent européen a plusieurs atouts. Il s’agit de son énergie décarbonée (nucléaire et renouvelable), de la présence d’une industrie automobile, de sa R-D manufacturière et de l’aide des gouvernements.
Par exemple, la politique européenne du Net Zero Industry Act vise à accroître les énergies décarbonées et à attirer des investissements, notamment dans la filière batterie.
Cela dit, les fabricants en Europe — plusieurs entreprises sud-coréennes et chinoises — ne représentent pas vraiment une menace pour le Québec, car cette production est avant tout destinée au marché européen.
La menace américaine et ontarienne
Au chapitre de la localisation, ce sont avant tout les États-Unis et l’Ontario qui représentent une menace pour le Québec, car les fabricants vendent essentiellement leur production en Amérique du Nord, à commencer sur le marché américain.
Aux États-Unis, où Donald Trump vient d’être élu président, la concurrence vient de la Battery Belt, une région qui compte une dizaine d’États, du Michigan à la Géorgie.
Quand un fabricant de batteries veut ouvrir une usine en Amérique du Nord, il se demande inévitablement à quel endroit. Aux États-Unis, au Canada, voire au Mexique?
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Les États-Unis arrivent rapidement en haut de la liste pour plusieurs raisons : la présence de l’industrie automobile, la R-D manufacturière, l’électricité à bas prix et la proximité des consommateurs, sans parler du réseau logistique intermodal (autoroutes, chemins de fer, ports).
L’Inflation Reduction Act (IRA), un loi adoptée sous l’administration Biden, incite aussi l’industrie à produire localement.
Toutefois, comme Donald Trump compte s’attaquer à la politique climatique de Biden, la portée de l’IRA sera grandement atténuée. Il ne faut pas non plus exclure que son administration sonne le glas de cette législation.
Pour sa part, l’Ontario représente sans doute une menace plus importante en raison de deux atouts que fait également valoir le Québec: son énergie décarbonée et ses MCS.
En fait, l’Ontario a peu d’énergie renouvelable. Cela représente 36% de sa production totale d’électricité, selon la Régie de l’énergie du Canada.
En revanche, si l’on tient compte de l’énergie nucléaire (55%, non renouvelable, mais décarbonée), la province produisait 91% d’électricité décarbonée en 2021 — qui n’émet pas des gaz à effet de serre. Dans le cas du Québec, c’était 94%.
Quant aux MCS, l’Ontario en a déterminé 33 comparativement à 28 pour le Québec. Dans les deux provinces, de nouvelles mines seront mises en service dans les prochaines années, notamment de lithium.
Le Québec domine pour l’intensité carbone
Au chapitre de l’énergie, le Québec se démarque toutefois en raison du prix de son énergie et de la faible intensité carbone de son électricité.
En 2023, selon le site Electricity Maps, le Québec offrait l’électricité ayant la plus faible intensité carbone en Amérique du Nord (31 g CO2éq/kWh), à l’exception d’un comté (Chelan) dans l’État de Washington (28 g CO2éq/kWh), producteur d’hydroélectricité, mais qui ne produit pas de batteries.
En Ontario, c’était 76 g CO2éq/kWh. Dans les États de la Battery Belt, la fourchette oscillait de 296 à 864 g C02éq/kWh, respectivement dans une région des Carolines et une région du Kentucky.
Aussi, le Québec a un as dans son jeu quand il se présente comme l’endroit où l’on peut fabriquer parmi les batteries les plus vertes du monde, avec un pays producteur de batteries comme la Suède (de 17 à 40 g CO2éq/kWh).
Toutefois, la production suédoise est surtout destinée au marché européen.