Évitons de mettre d’autres Canadiens en danger en Chine
François Normand|Édition de la mi‑octobre 2020Depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping, la Chine déploie une « diplomatie coercitive ». (Photo 123RF)
CHRONIQUE. Les tensions sont bien réelles entre Ottawa et Pékin depuis l’arrestation de la dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou, en décembre 2018, à Vancouver, à la demande de la justice américaine. Des voix s’élèvent au pays pour qu’on la libère afin que la Chine libère les deux Canadiens – l’ancien diplomate Michael Kovrig et l’homme d’affaires Michael Spavo – qu’elle détient en guise de représailles. Or, acquiescer à cette demande mettrait en danger la sécurité d’autres Canadiens en Chine et minerait notre relation avec les États-Unis, notre principal allié.
Signe de la détérioration de nos relations avec la Chine, le Canada a renoncé, à la mi-septembre, à l’idée de conclure un accord de libre-échange avec le géant asiatique. « La Chine de 2020 n’est pas la Chine de 2016 », a expliqué au Globe and Mail le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, pour justifier la décision de son gouvernement.
En mars 2018, le président chinois, Xi Jinping, est devenu le leader chinois le plus puissant depuis Mao Tsé-Toung, en supprimant la limite des deux mandats présidentiels.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi, la Chine a aussi déployé ce que les experts appellent une « diplomatie coercitive », qui inclut des mesures économiques (sanctions commerciales, restrictions d’investissement, interdictions de tourisme, boycottages populaires) et des mesures non économiques (détentions arbitraires, restrictions aux déplacements officiels, menaces émises par l’État), souligne un récent rapport de l’Australian Strategic Policy Institute, qui a recensé depuis 10 ans 152 cas de diplomatie coercitive touchant 27 pays ainsi que l’Union européenne, avec une forte escalade depuis 2018.
Voici la toile de fond pour comprendre la crise actuelle opposant le Canada à la Chine.
Raisons d’une détention
C’est à la demande de la justice américaine en vertu d’une demande d’extradition que les autorités canadiennes ont intercepté Meng Wanzhou à l’aéroport de Vancouver, le 1er décembre 2018, lors d’une escale. Les Américains veulent l’extrader pour qu’elle réponde à des accusations de fraude liées à des contrats que Huawei aurait conclus avec l’Iran, transgressant ainsi les sanctions imposées par Washington contre Téhéran.
Toujours en décembre 2018, la police chinoise a arrêté sur son territoire Michael Kovrig et Michael Spavor pour des motifs liés à la sécurité nationale. Or, selon les spécialistes, il s’agit en fait de représailles à l’arrestation de Meng Wanzhou.
Actuellement, la femme conteste son arrestation devant les tribunaux en Colombie-Britannique. Ses avocats rejettent les accusations de fraude portées contre elle aux États-Unis et reprochent aux Américains d’avoir omis des faits ou de les avoir présentés de manière erronée aux autorités canadiennes avant son arrestation, rapporte La Presse canadienne.
Pendant ce temps, Michael Kovrig et Michael Spavo croupissent en prison dans des conditions de détention difficiles, selon les diplomates canadiens en Chine.
Au Canada, des personnalités et des experts, comme l’ancien ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, l’ex-chef du Nouveau parti démocratique, Ed Broadbent, et l’ancienne juge à la Cour suprême, Louise Arbour, exhortent le gouvernement Trudeau à libérer Meng Wanzhou, car cela mènerait sans doute à la libération des deux Canadiens détenus en Chine.
Or, à ce jour, Ottawa refuse d’acquiescer à leur demande et à celle de Pékin. Le gouvernement rappelle que le Canada est un État de droit et que la justice doit suivre son cours devant les tribunaux – qui pourraient à terme libérer Meng Wanzhou – c’est une possibilité.
En entretien avec Les Affaires, l’ex-ambassadeur canadien en Chine, Guy Saint-Jacques, affirme qu’Ottawa a raison de ne pas libérer la dirigeante de Huawei, car cela enverrait à Pékin le signal que les détentions arbitraires donnent des résultats. « Cela accentuerait le risque politique pour les entrepreneurs et les investisseurs en Chine », dit-il.
Autres issues
À ses yeux, la meilleure carte du Canada est de former des alliances pour exercer une pression internationale sur la Chine afin qu’elle libère les deux Canadiens. Le Canada pourrait par exemple s’appuyer le réseau « Five Eyes », l’alliance des services de renseignement des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et du Canada.
Ottawa peut aussi s’appuyer davantage sur l’Inter-Parliamentary Alliance on China (IPAC), selon Guy Saint-Jacques. Ce groupe international de législateurs de 18 pays, dont le Canada et les États-Unis, travaille à réformer l’approche des pays démocratiques à l’égard de la Chine.
Enfin, la crise avec la Chine ne doit pas faire perdre de vue qui sont les vrais alliés du Canada. Certes, dans le meilleur des mondes, Ottawa doit essayer d’avoir de bonnes relations avec Pékin. Pour autant, sans être un ennemi, la Chine n’est pas un allié du Canada. En revanche, les États-Unis le sont, même si son président Donald Trump est vertement critiqué au Canada.
Les Canadiens et les Américains sont des alliés indéfectibles, qui peuvent habituellement compter l’un sur l’autre, et qui partagent des valeurs similaires, à commencer par la primauté du droit et la séparation des pouvoirs. Plus encore, leurs autorités ne détiennent pas les citoyens de l’autre pays en guise de représailles et respectent habituellement leur traité d’extradition, même si une demande peut être contestée comme dans le cas de Meng Wanzhou.
On devrait tenir compte de tous ces éléments avant de penser céder aux pressions d’une puissance étrangère ou de faire pression sur son propre gouvernement.