(Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Pour tout vous dire, malgré le fait que j’ai un horaire plus que chargé, je suis extrêmement privilégié d’être souvent invité à prendre la parole devant des auditoires diverses. Chambres de commerce, entreprises privées, institutions publiques, cégeps, et j’en passe. Toutes ces tribunes partagent un point en commun, le monde des affaires.
Des défis de se lancer en affaires à l’impact des réseaux sociaux ou de l’importance du travail d’équipe aux défis du financement, je suis un passionné de tout ce qui touche au monde des affaires, particulièrement des nouvelles réalités ou tendances.
La semaine dernière, j’ai pris la parole avec ma femme Karolyne sur l’invitation du groupe de réflexion «Les enfants des Possibles en Relations Industrielles». Dans le cadre du 75ème anniversaire de l’école de Relations Industrielles de l’Université de Montréal, nous devions partager notre réalité d’entrepreneur, en particulier dans le cadre des relations humaines à l’heure de l’entreprise libérée.
Concept relativement nouveau, l’entreprise libérée est définie par l’un de ses pères, Isaac Getz, comme étant «une forme organisationnelle dans laquelle les salariés sont totalement libres et responsables dans les actions qu’ils jugent bon — eux et non leur patron — d’entreprendre.»
En gros, fini la hiérarchie, les patrons et les organigrammes verticaux. Selon cette doctrine, l’employé est suffisamment motivé et intelligent afin de prendre ses propres décisions en ayant le bien de ses collègues et de l’entreprise en priorité.
En écrivant cette chronique, j’imagine déjà les pensées qui vous traverseront la tête! D’un côté certains penseront que cette nouvelle tendance est absolument ridicule. De l’autre côté, il y aura les fervents défenseurs de ce type de «gestion». Pour ma part, et bien je me retrouve littéralement entre deux chaises!
Je connais personnellement quelques entreprises qui pratiquent ce mode d’autogestion. Pour certaines d’entre elles, le modèle, quoiqu’imparfait, a prouvé un certain succès. Pour d’autres, c’est beaucoup plus complexe.
Comme toute évolution du monde des affaires et particulièrement tout ce qui touche aux ressources humaines, l’adoption d’une nouvelle réalité est complexe.
Pensez-y bien. Ce qui était absolument impensable est devenu réalité. L’essor du syndicalisme, l’arrivée de la force ouvrière féminine, le transfert massif du travail des champs aux usines, la robotisation et j’en passe ont tous été accueillis avec énormément de questions et de méfiance.
Une évolution de gestion
Pour ce qui est de l’entreprise libérée, nous faisons face ici à une évolution de gestion plutôt que de tâches à effectuer.
Au fil de la soirée, nous avons entendu plusieurs entrepreneurs parler de cette transition avec une totale ouverture. Finis les comités de direction, les titres, le «secret d’entreprise». Vive le partage de tout… littéralement tout. Des plus petits détails aux plus grands et des relations clients allant même jusqu’au partage des profits!
Pour ma part, j’étais certainement le moins convaincu de tout le panel, malgré le fait que le sujet m’intéressait particulièrement. Depuis quelques années, voire depuis le début de mon aventure entrepreneuriale, j’ai toujours eu le souhait d’améliorer, voire de réinventer, mon style de gestion et mon entreprise.
L’entrepreneur qui n’est pas à la recherche constante d’amélioration, soit pour lui, pour son équipe, ses clients ou fournisseurs est selon moi à risque.
Tendance du moment ou réelle évolution, je ne sais pas si l’entreprise libérée sera la normalité de demain. Cependant, je suis sorti de cette soirée avec plus de questions qu’en y entrant.
Bien que je salue le fait que l’entreprise libérée vise avant tout une meilleure harmonie, égalité et productivité au travail, je reste perplexe. Qu’en est-il de la valorisation de la prise de risque de l’entrepreneur, des sacrifices du début (et souvent constants), des garanties à donner aux institutions financières ou investisseurs, du stress quotidien, des nuits blanches et j’en passe. L’entreprise libérée exige-t-elle que tous les employés partagent ces mêmes fardeaux?
Finalement, sur la route du retour, Karo et moi avons réalisé que l’entreprise libérée n’était définitivement pas un modèle envers lequel on croyait. À nos yeux, avoir trop de contrôle comme pas assez est problématique.
L’entreprise modérée
Passer d’un extrême à l’autre n’est pas la solution. Je propose donc un modèle alternatif: l’entreprise modérée.
C’est en discutant avec un étudiant en relation industrielle qu’est venu ce terme.
L’entreprise modérée ne peut exister que si l’entrepreneur qui la fonde croit sincèrement qu’il faille réinventer le modèle. Étonnamment, c’est en septembre 2016, il y a quatre ans que j’ai abordé pour la première fois le sujet. Dans ma chronique «Un nouveau spécimen d’entrepreneur est en train de naître», j’ai abordé le fait qu’il est de la responsabilité de l’entrepreneur de réinventer l’entrepreneuriat, donc, par défaut, le monde des affaires.
Dans cette chronique, j’écrivais ceci: «Fini les profits à tout prix, le saccage de nos ressources naturelles, les conditions précaires pour les employés, l’évitement fiscal ou la sous-traitance au Myanmar, l’entrepreneur humain veut avant tout être un partenaire de la société dans laquelle il vit. (…) Vouloir réussir en améliorant également le sort des personnes qui m’entourent est la première raison pour laquelle j’ai choisi de me lancer en affaires. Je dois vous l’avouer, je ne le savais pas dès le départ, mais j’étais un entrepreneur humain avant d’avoir inventé ce terme plus de 9 ans plus tard dans mon livre « Entrepreneur à l’état PUR ».
C’est au fil des années que j’ai réalisé que je ne voulais pas être qu’un entrepreneur qui crée et vend un service ou un produit. Je voulais être plus qu’un « homme d’affaires ».
À quoi sert-il de réussir quand tout s’écroule autour de soi? À quoi sert-il d’être heureux professionnellement si on est malheureux personnellement? Ce sont ces questions qui m’ont poussé à vouloir entreprendre de manière différente.
Ma grand-mère m’avait posé une question un jour qui ne s’est jamais effacée de ma mémoire. Elle m’avait demandé si je savais comment s’appelait une carotte biologique dans son temps. J’avais répondu que je ne le savais pas et elle m’avait alors dit, simplement: une carotte. Je rêve du jour où le terme « entrepreneuriat social » disparaîtra pour le seul mot « entrepreneuriat ». Que les tous les entrepreneurs soient « sociaux » par défaut.
À la base, l’entrepreneur se lance en affaires afin d’améliorer sa propre situation ainsi que celle des gens qui l’entourent. Depuis quand avons-nous changé de direction afin que celui-ci ne travaille que pour ses propres poches?
Tout comme l’entrepreneuriat n’est pas une cause politique, mais de société, je ne considère pas l’entrepreneur humain comme étant de gauche ou d’idéologie socialiste comme certains le clament. L’entrepreneur humain comprend que les meilleurs deals sont ceux où tout le monde est gagnant. Une personne qui comprend l’importance de la réussite professionnelle, mais aussi personnelle. C’est quelqu’un pour qui redonner n’est pas qu’un acte fiscal.
Un humain qui sera beaucoup plus reconnu pour son héritage social que pour son héritage monétaire.»
Je n’ai pas encore toutes les réponses, cependant, je crois bien que le concept d’entreprise modérée est le début d’une grande aventure… à suivre!