(Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Lors d’une récente formation en transformation numérique, un participant m’a demandé « Avec tout ce qu’on sait en UX (expérience utilisateur) depuis des années, comment se fait-il que les systèmes et les intranets soient si mal foutus?» C’est une excellente question!
Avant de répondre, je tiens à rappeler le lien direct entre l’expérience employé et l’expérience client. Dans ce billet, je m’attarde aux systèmes et outils informatiques offerts — ou plutôt imposés — aux employés afin qu’ils puissent accomplir leur travail pour servir le client.
Revenons à la question posée avec quelques éléments de réponse.
Certains gestionnaires sont trop occupés à éteindre des feux pour prendre le recul nécessaire. Certaines directions informatiques oublient qu’elles sont au service de l’entreprise. Avec la meilleure intention du monde, elles choisissent des technologies, des systèmes et des équipements, sans toujours bien saisir la réalité des employés.
D’autres gestionnaires sont attachés au passé: «On a toujours fait ça comme ça! On a toujours utilisé (insérer le nom de la suite de développement ou bureautique)»… sans trop se poser de questions sur l’efficacité et les impacts.
D’autres ne s’attardent qu’au coût de développement, au détriment du coût d’utilisation. C’est comme être fier d’avoir déboursé 500$ pour une voiture d’occasion qui consomme 30 litres/100 km et visite régulièrement l’atelier mécanique. Ce faible coût n’était qu’un mirage d’économie qui se transforme rapidement en cauchemar.
Une autre cause est que plusieurs gestionnaires ignorent par où commencer. On le constate en transformation numérique. Il y a aussi un problème de perception: une majorité de gestionnaires croient qu’ils offrent de bons outils aux employés, alors qu’une minorité d’employés abondent dans le même sens.
Je rappelle qu’en moyenne, un employé perd 100 heures par année à cause de problèmes techniques ou de pannes informatiques. Et je ne parle pas de l’impact sur le client. Il y a quelques semaines, toutes les caisses d’une grande chaine de quincaillerie sont tombées en panne à 15h30. Vous auriez dû voir la scène! Je plaignais les employés qui devaient expliquer la situation aux clients qui attendaient en file depuis 1 heure pour entrer.
Certes, le détaillant avait un plan B, c’est-à-dire accepter le paiement comptant et les cartes de crédit que de très patients et gentils caissiers devaient passer à la castonguette (petit appareil permettant de produire une empreinte du numéro de carte de crédit et de sa date d’expiration sur un relevé papier où le client doit apposer sa signature). L’impact sur le client: un délai d’attente multiplié par 2 ou 3. Combiné à l’attente à l’extérieur, ce n’était pas top! L’impact sur l’employé: endurer certains clients impatients et procéder manuellement, ce qui impliquait plus de manipulations que simplement accepter un «tap» sur un terminal de paiement.
Et quand ces systèmes informatiques ne sont pas en panne, on oublie trop souvent le fait qu’ils ne sont pas conçus pour soutenir la tâche de l’employé, en fonction de son rôle-métier (agent d’information, caissier, vendeur, manutentionnaire, livreur, etc.)
On oublie aussi le temps de réponse de ces systèmes — souvent trop lent — faisant dire à des employés oeuvrant dans un centre de contact «Attendre 5 secondes à chaque clic pour naviguer, et devoir faire 10 clics pour obtenir une réponse, c’est long, surtout quand on entend le client respirer d’impatience au bout du fil.»
Et c’est sans compter les voies de contournement, la création de systèmes dans Excel et autres artifices (listes, notes, calendriers papier, etc.) que les employés doivent imaginer pour accomplir leur travail au quotidien.
J’oubliais les intranets. Plusieurs sont de véritables dépotoirs de formulaires et de procédures plus ou moins obsolètes, où il est difficile de trouver ce qu’on cherche. Et une fois trouvé, on n’est pas certain de bien comprendre. Ce n’est pas pour rien que des employés construisent des cartables composés de pages tirées de l’intranet pour les aider à traiter plus rapidement les demandes.
Combien coûte cette inefficacité aux entreprises? Sortons notre calculatrice. Prenons l’exemple d’une compagnie employant 100 personnes où le salaire moyen est de 38 500$ (soit 25$/heure). Imaginons que chaque employé traite 20 appels/commandes/dossiers par jour et qu’il perd chaque fois 5 minutes à cause de l’inadéquation des systèmes à son travail.
100 employés × 20 transactions quotidiennes × 5/60 (5 minutes) × 25$ × 220 jours ouvrables = 916 666$. Ajoutons les 100 heures perdues par employé par année causées par des problèmes techniques (100 employés × 100 heures annuelles × 25$ = 250 000$), le total donne 1,16M$ de pertes annuelles pour une entreprise de 100 personnes. Suis-je le seul à avoir le vertige en voyant ce montant?
Notons que j’ai été très conservateur dans mes chiffres. Si je me fie à mes expériences personnelles en tant que consommateur, un employé peut perdre entre 5 et 60 minutes (!) à cause de systèmes dépassés, mal conçus et non intégrés.
Dans une étude réalisée auprès de plus de 1 600 personnes en 2019, plus 50% des employés se sont dits insatisfaits au travail à cause des systèmes logiciels qu’ils doivent utiliser. Près de 25% des employés songeaient à quitter leur entreprise à cause de cette insatisfaction et 12,5% des répondants l’avaient déjà fait.
Remplacer un employé coûte cher, très cher. Embaucher, former, absorber la perte de productivité et les erreurs de néophyte coûte entre 1,5 et 2 fois le salaire annuel. Il a été calculé qu’il faut en moyenne 6 mois pour former une nouvelle ressource.
Que faire pour que ça change? La réponse est pourtant simple: il faut s’intéresser à l’employé, à son travail, à son contexte, à ses besoins et à ses attentes. Il faut marcher dans ses souliers, et l’intégrer activement dans l’élaboration de solutions dont il sera l’utilisateur. De cette façon, on réduira considérablement les coûts d’utilisation, tout en contribuant à diminuer le taux de roulement des employés.