«Ce dont je suis le plus fier c’est que ces entreprises ont créé plus de 70 M$ en revenu combiné», raconte Frantz Saintellemy. (Photo: Nicolas Morin)
BLOGUE INVITÉ. Frantz Saintellemy, co-fondateur et président du Groupe 3737, s’y connait en matière d’entrepreneuriat, et il veut transmettre ses connaissances à d’autres entrepreneurs en herbe. En tant qu’entrepreneur en série lui-même, il connait intimement la culture entrepreneuriale et ses obstacles.
En 2010, M. Saintellemy et un groupe d’investisseurs ont acquis ZMDI, une entreprise de microélectronique allemande, dans le but de transformer l’entreprise en leader du marché des capteurs automobiles. M. Saintellemy était responsable de la conception du produit et son partenaire en affaires, Thilo von Selchow, était l’ingénieur financier de l’opération.
Bien que l’entreprise progressait sous leur direction, les deux partenaires se sont rapidement trouvés à court d’argent pour financer leur croissance. En moins de neuf mois l’entreprise à 30 millions d’euros (M€) est devenue une entreprise à 12 M€.
« On a sous-estimé la tâche à accomplir et, bien sûr, on a sévèrement sous-estimé la quantité d’argent dont on avait besoin pour assurer le maintien des opérations, dit M. Saintellemy. »
M. Saintellemy et son partenaire ont réussi à faire évoluer l’entreprise suite à cette période de pertes. Ils l’ont finalement vendue à l’entreprise américaine Integrated Device Technology pour 350 M$ US en 2015.
Aujourd’hui M. Saintellemy partage son temps entre deux opérations différentes basées à Montréal et à Québec. Il est le président et le chef d’exploitation de Leddartech, un chef de file dans le domaine des solutions de détection environnementale conçues pour soutenir les systèmes avancés d’aide à la conduite et la conduite autonome. Leur technologie de cartographie tridimensionnelle identifie et classifie les objets environnants en utilisant diverses modalités de détection, notamment la détection et la télémétrie par la lumière (LiDAR), des caméras et des radars pour permettre aux véhicules de prendre des décisions automatisées.
Il est aussi le co-fondateur du Groupe 3737 et le président de son conseil d’administration, un incubateur et accélérateur d’entreprises hybride qui aide les membres de minorités visibles à lancer une entreprise et à la faire grandir. Depuis l’ouverture du Groupe 3737 en 2012, M. Saintellemy a accompagné et formé 500 entrepreneurs. Il a aidé ses clients à lancer 80 entreprises en tout, dont un assistant en ressources humaines équipé d’un système d’intelligence artificielle. L’opération a créé plus de 300 emplois rémunérateurs au sein de Montréal-Nord, l’un des quartiers les plus pauvres du Canada.
M. Saintellemy et sa femme ont acheté l’immeuble abandonné qui a donné son nom au Groupe 3737 au cœur de l’ancien quartier des textiles de Montréal. Le bâtiment situé au 3737 Boulevard Crémazie logeait auparavant Dominion Textile Inc., l’un des plus gros fabricants de textiles au Canada. Lorsque la concurrence mondiale sur le marché des textiles est devenue trop rude, l’écosystème de la fabrication textile de la ville, autrefois en plein essor, s’est désintégré.
La perte d’emplois a frappé les communautés marginalisées particulièrement fort et M. Saintellemy est fier du symbolisme de l’emplacement de son incubateur. Lors de l’apogée de l’industrie textile, les travailleurs immigrés faisaient la queue chaque jour à 6 heures du matin devant les usines, dans l’espoir d’une affectation en tant que travailleur journalier. Aujourd’hui, M. Saintellemy ouvre ses portes à divers membres de la communauté pour les aider à atteindre leur objectif de créer une entreprise.
« Ce dont je suis le plus fier c’est que ces entreprises ont créé plus de 70 M$ en revenu combiné, dit M. Saintellemy. De vrais emplois ont été créés. Pour la première fois dans l’histoire du quartier, il y a un hôtel juste en face du Groupe 3737 et de nouveaux projets résidentiels qui ont été introduits dans les 24 derniers mois. Nous aidons à faire évoluer la dynamique du quartier. »
La volonté de M. Saintellemy de soutenir les membres de minorités visibles dans leurs efforts pour lancer une entreprise va au-delà du symbolique. Les communautés de minorités visibles sont confrontées à un taux de chômage élevé et à une pauvreté systémique qui rendent particulièrement difficile le lancement d’une entreprise.
« Dans la plupart des incubateurs on trouve des gens qui réussiraient peu importe, parce qu’ils sont parmi les plus intelligents et les talentueux d’entre nous, suggère-t-il. La plupart des accélérateurs ne répondent pas aux besoins des membres de minorités visibles ou des personnes qui font face à la pauvreté. Nous sommes là pour eux. »
La programmation du Groupe 3737 met l’accent sur le manque d’accès au capital auquel ses clients sont généralement confrontés. Les investisseurs en capital-risque négligent souvent les entreprises appartenant aux membres de minorités visibles, choisissant généralement d’investir dans des projets menés par des entrepreneurs n’appartenant pas à des minorités visibles. En outre, le biais systémique des pratiques de prêt d’argent a souvent pour conséquence que les membres de minorités visibles s’endettent davantage, ce qui affecte leur cote de crédit et leur capacité à obtenir du crédit à un taux raisonnable.
« La plupart de ces entrepreneurs n’arrivent pas à obtenir du financement, donc le programme leur apprend à réfléchir à l’engagement précoce des clients pour financer le modèle, explique M. Saintellemy. On les encourage à toujours se demander “si l’argent n’est pas une option pour mon entreprise, qu’est-ce que je peux faire à la place ?” »
M. Saintellemy est convaincu qu’il existe des moyens d’abolir le racisme systémique qui rend la création d’une entreprise si difficile pour les membres d’une minorité visible. Pour lui, ce processus commence par la reconnaissance et la compréhension de l’existence du racisme systémique. Il souligne en particulier l’importance de la différence entre la diversité — un mot qui masque souvent des opérations de relations publiques qui servent de façade — et l’équité.
« Imaginez que vous avez deux employés et que l’un d’eux est européen alors que l’autre vient d’Amérique latine et qu’ils font tous les deux le même travail, mais que l’un d’entre eux gagne moins que l’autre. La main-d’œuvre est diversifiée certes, mais est-ce que c’est équitable ? Est-ce que c’est juste ? demande M. Saintellemy. »
Il suggère de combiner cette sensibilisation avec une subvention spécifique gérée par des personnes qui comprennent les défis que les fondateurs marginalisés doivent surmonter pour réussir en tant qu’entrepreneur. C’est seulement alors que les entreprises appartenant à des minorités visibles pourront prospérer. Le racisme systémique dans l’entrepreneuriat ne peut être éradiqué sans une égalité des chances économiques.
Karl Moore et Marie Labrosse. Karl est professeur agrégé à la Faculté de gestion Desautels et Marie est étudiante à la maîtrise en littérature anglaise, tous deux à l’Université McGill.