Déployer un service Internet dans une municipalité peut se faire grâce à une demande de permis aux propriétaires des infrastructures comme les poteaux de bois. Or, le traitement de ces demandes semble poser problème pour plusieurs entreprises. (Photo: 123RF)
TÉLÉCOMMUNICATIONS. Il aura fallu une crise sanitaire mondiale pour que la municipalité de Saint-Anicet, située à moins d’une heure et quart de Montréal, puisse être desservie par Internet haute vitesse. Et deux fois plutôt qu’une. D’abord, le fournisseur régional de service Internet Targo a mis les bouchées doubles pour terminer son projet de fibre optique visant à desservir la municipalité. Puis, Bell y a devancé le déploiement de son service Internet résidentiel sans fil à large bande.
«Je peux maintenant regarder un documentaire Netflix sans interruption !» s’exclame Gino Moretti, maire de la municipalité montérégienne. Le visionnement continu est bien sûr la cerise sur le sundæ. L’élu se réjouit surtout que les résidents qui se sont retrouvés en télétravail et les enfants qui ont fait l’école à distance en raison du confinement aient pu compter sur une connexion Internet de qualité.
Ceux qui habitent en milieux urbains n’en ont pas toujours conscience, mais l’accès à Internet haute vitesse continue de causer des maux de tête à bien des résidents ruraux québécois. En 2018, 99,8 % des foyers situés dans de grands centres avaient la possibilité de s’abonner un service haute vitesse de 50/10 Mb, contre seulement 59,2 % en milieux ruraux, selon le plus récent Rapport de surveillance des communications du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).
«C’est un frein économique pour les régions», insiste Gino Moretti en prenant comme exemple son propre patelin, à 98 % agricole. «Les fermes sont de plus en plus technologiques, alors elles ont besoin d’Internet. Les agriculteurs ont recours au GPS et au traitement de données.» L’absence d’Internet à haut débit décourage par ailleurs les professionnels de tout horizon qui voudraient s’établir en milieu rural pour travailler à distance, ajoute-t-il.
Conjoncture favorable pour la haute vitesse
Or, depuis le début de la pandémie, il semble que les astres sont maintenant alignés pour faire avancer le dossier. D’une part, les mesures de confinement et de distanciation sociale ont créé une urgence d’agir qui n’existait pas auparavant. En avril, Bell a décidé de devancer le déploiement de son Internet résidentiel sans fil à large bande dans 180 collectivités en Ontario et au Québec. En mai, le gouvernement du Québec annonçait la création d’une table de coordination pour «accélérer le déploiement de services d’accès à Internet haut débit dans tous les foyers du Québec».
Il faut toutefois reconnaître que les gouvernements fédéral et provinciaux ont déjà montré leur volonté d’accélérer la connectivité rurale avant même le début de la crise sanitaire. En 2019, le gouvernement fédéral a créé le Fonds pour la large bande universelle, prévoyant des investissements de 1 milliard de dollars (G$) sur 10 ans afin d’offrir une connectivité à haut débit à l’ensemble de la population canadienne d’ici 2030.
Plus près de nous, le gouvernement du Québec s’est engagé l’an dernier à offrir un accès haut débit à «100 % des Québécois» dans le cadre de son nouveau programme Québec haut débit, qui prévoit des investissements de 500 millions de dollars entre 2019 et 2026.
«On a vu un momentum se développer dans la dernière année», confirme Marie-Hélène Labrie, première vice-présidente et cheffe des affaires publiques, des communications et de la stratégie de Cogeco. L’entreprise a annoncé qu’elle investirait 1 G$ en quatre ans pour étendre et améliorer son service Internet haute vitesse en région. Une aide gouvernementale sera malgré tout nécessaire. «Nous sommes rendus dans des zones vraiment très peu peuplées, où ça devient de plus en plus compliqué d’atteindre la rentabilité, précise-t-elle. D’où l’importance de bâtir ces projets en partenariat avec le gouvernement.»
Les poteaux de la discorde
Selon les règles du CRTC, une entreprise qui désire utiliser des infrastructures «passives» – notamment les poteaux de bois – appartenant à une municipalité, à Hydro- Québec ou à un opérateur de télécommunications «historique» pour déployer son propre service Internet peut faire une demande de permis aux propriétaires des infrastructures. Or, le traitement de ces demandes semble poser problème.
Le 11 juillet dernier, Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, a publié dans La Presse une lettre ouverte accusant Bell de «freiner la prospérité du Québec» en échouant à accorder ses permis dans des «délais raisonnables».
Onze jours plus tard, Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor, a utilisé sa tribune dans Le Journal de Montréal pour dénoncer l’«obstruction systématique» de Bell envers ses compétiteurs. «Est-il normal qu’une demande de Vidéotron prenne plus de deux ans et demi à être traitée par Bell pour avoir accès à un poteau de bois ?» a-t-il écrit. Le câblodistributeur aurait soumis 1 400 demandes d’accès l’an dernier.
Charles Gosselin, directeur des affaires gouvernementales de Bell au Québec, assure que Bell aborde le dossier dans un esprit de «collaboration». «Il faut comprendre que nous recevons un volume élevé de demandes : cent milles au Québec seulement, en 2019.»
Les retards ne viennent pas du volume de demandes, précise-t-il toutefois, mais des correctifs à apporter aux poteaux. Certains doivent être remplacés ou redressés, d’autres n’ont pas une taille suffisante pour soutenir de nouveaux équipements. «Il existe une norme d’ingénierie à respecter, si on veut maintenir l’intégrité d’un réseau qui dessert des villes, des entreprises et des hôpitaux.»
Le problème est suffisamment sérieux pour que la table de coordination formée par le gouvernement du Québec ait reçu le mandat spécifique «d’accélérer le traitement des demandes d’accès aux infrastructures de soutènement de télécommunications logées par des tiers autres que ces propriétaires», tel qu’il est mentionné dans le communiqué gouvernemental du 21 mai.
Bell présentera à cette table des pistes de solution, assure Charles Gosselin. L’opérateur historique songe à confier les travaux de mises à niveau des poteaux aux entreprises qui font les demandes ; puis, elle a mandaté une firme indépendante pour voir s’il est possible d’assouplir la norme commune de construction et de maintenance des infrastructures. Un autre signe de la volonté d’aller de l’avant.