Commerce: préparez-vous à une bataille en Asie-Pacifique
François Normand|Publié le 19 novembre 2020Le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) est avant tout le projet politique de la Chine afin d'asseoir son hégémonie en Asie-Pacifique et d'y marginaliser l'influence américaine. (Photo: 123RF)
ANALYSE. C’est écrit dans le ciel : la Chine et les États-Unis se livreront une bataille en Asie-Pacifique pour savoir quelle puissance aura la plus grande influence sur le commerce et les futurs standards qui encadreront les activités économiques dans cette région du monde hautement stratégique.
À compter du 20 janvier, cet enjeu deviendra — avec la guerre commerciale avec la Chine — l’une des priorités de la prochaine administration Biden à Washington, un enjeu qui risque aussi à terme d’avoir un impact sur la compétitivité des produits et des services des entreprises canadiennes.
Le grand responsable de cet affrontement entre les Américains et les Chinois est le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP ou le Partenariat régional économique global), le plus vaste accord de libre-échange qui a été signé le 15 novembre par 15 pays de l’Asie-Pacifique, avec la Chine au coeur de cette entente historique.
Outre l’Empire du Milieu, ces pays sont le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, de même que les dix pays membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) : le Vietnam, la Malaisie, Singapour, Brunei, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande, le Laos, le Myanmar et le Cambodge.
Ces 15 États représentent environ 30 % de la population mondiale et 30 % du PIB mondial, souligne le quotidien Le Monde.
Cet accord exclut les États-Unis, sans parler de l’Inde, l’autre géant asiatique, qui s’est récemment rapprochée de Washington.
Le RCEP est beaucoup plus qu’un accord économique. C’est avant tout le projet politique de la Chine afin d’asseoir son hégémonie en Asie-Pacifique et d’y marginaliser l’influence américaine.
Paradoxalement, c’est l’élection de Donald Trump, en 2016, qui a convaincu les Chinois d’appuyer sur l’accélérateur pour créer cette vaste zone de libre-échange.
Car, en 2017, l’administration Trump a retiré les États-Unis du Partenariat transpacifique (rebaptisé depuis l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste), un accord de libre-échange signé en 2015 par 12 pays riverains du Pacifique, incluant le Canada, le Mexique, le Japon, le Vietnam et l’Australie — ce traité est en vigueur.
Le Partenariat transpacifique était la pièce maîtresse du pivot américain dans le Pacifique afin de contenir la Chine. (Photo: Getty Images)
Le Partenariat transpacifique visait la Chine
À l’origine, le Partenariat transpacifique était lui aussi un projet hautement politique, car il excluait la Chine.
En fait, cet accord était la pièce maîtresse du pivot américain dans le Pacifique, imaginé par l’administration Obama, alors que Joe Biden était vice-président. L’objectif était de contenir la Chine et de s’assurer de l’hégémonie américaine en Asie-Pacifique.
Aujourd’hui, l’administration Biden fait face à un dilemme de taille en ce qui a trait à cette zone de libre-échange que la Chine vient de créer en Asie-Pacifique, soulignent plusieurs médias, dont la chaîne américaine CNN et le quotidien japonais anglophone Japan Times.
D’une part, les États-Unis pourraient techniquement intégrer le RCEP. Par contre, on voit mal comment cela puisse être possible pour des raisons politiques; Washington perdrait la face et Pékin s’y opposerait sans doute.
D’autre part, les Américains pourraient réintégrer le Partenariat transpacifique, mais cela ne se ferait pas sans difficulté. Cette zone de libre-échange donnerait un meilleur accès au marché américain à des pays à faible coût de main-d’œuvre comme le Vietnam. Un retour dans cette zone pourrait donc susciter une certaine opposition aux États-Unis.
Enfin, l’administration Biden pourrait prendre son bâton de pèlerin et tenter de relancer la libéralisation du commerce international au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Par contre, depuis la récession mondiale de 2008-2009, les négociations multilatérales pour faciliter les échanges commerciaux dans le monde ont du plomb dans l’aile au profit d’accords de libre-échange bilatéraux et régionaux, comme le RCEP.
Chose certaine, les États-Unis ne peuvent pas rester les bras croisés face à ce coup d’échecs de la Chine en Asie-Pacifique, estiment des analystes. Ils devront d’une manière ou d’une autre contre-attaquer afin de demeurer une puissance influente dans cette région du monde hautement stratégique.
Reste à savoir de quelle manière.