L'opposition biélorusse souhaite le départ du président et l'élection d'un nouveau gouvernement qui aurait de bonnes relations avec Moscou. (Photo : Andrew Keymaster, Unsplash)
CHRONIQUE. La crise politique en Biélorussie ne s’estompe pas et inquiète de plus en plus d’observateurs en raison du rôle que pourrait jouer la Russie dans son dénouement. Malgré tout, le risque est relativement faible que cette crise mène à une intervention armée de Moscou, comme en Géorgie, en 2008, et en Ukraine, en 2014, car le contexte est très différent.
Les entreprises ont néanmoins tout intérêt à s’intéresser au mouvement d’opposition qui conteste la réélection du président Alexandre Loukachenko, le 9 août, et l’accuse de fraude électorale. Même si ce pays ne compte que 9,5 millions d’habitants (dont 70 % de la population parle russe), il fait partie de la zone d’influence de la Russie, en plus d’être à un carrefour géostratégique en Europe orientale.
La Biélorussie est enclavée par la Russie, l’Ukraine, la Pologne, la Lituanie et la Lettonie. Depuis 1994, Alexandre Loukachenko dirige d’une main de fer cette ancienne république de l’ex-Union soviétique, qui est devenue un État indépendant en 1991. Il est le premier président du pays, parfois désigné comme la «dernière dictature d’Europe».
Le Canada et le Québec ont très peu d’échanges commerciaux avec ce pays, dont la base industrielle est «dépassée, inefficace et dépendante de l’énergie russe subventionnée et d’un accès préférentiel aux marchés russes», souligne The World Factbook publié par la CIA.
En 2019, les exportations québécoises de marchandises y ont totalisé 1,6 million de dollars canadiens, selon Statistique Canada. Ce marché n’est donc pas très stratégique pour notre économie.
Par contre, l’Europe orientale (qui regroupe 13 pays, dont la Biélorussie, mais aussi la Russie, la Pologne et la République tchèque) en est certainement un.
L’an dernier, les expéditions de marchandises du Québec dans cette partie du Vieux Continent se sont élevées à 1 milliard de dollars (G $), composées en grande partie d’avions, d’hélicoptères et de simulateurs de vols. C’est un peu moins qu’au Royaume-Uni (1,2 G $), le huitième marché d’exportation du Québec.
Voilà pourquoi la crise en Biélorussie doit être sur votre écran radar.
En fait, la stabilité de la Biélorussie et, du reste, de l’Europe orientale, se joue essentiellement à Moscou.
La stratégie russe
Pour comprendre les intérêts des Russes dans cette crise, il faut comprendre la stratégie de la Russie depuis la fin de la guerre froide : limiter l’expansion de l’aire d’influence de l’Occident en Europe orientale.
Or, depuis la chute du communisme, l’Union européenne et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ont intégré d’anciens pays satellites de l’ex-Union soviétique et d’anciennes républiques soviétiques, provoquant à chaque occasion des grincements de dents à Moscou.
C’est d’ailleurs pourquoi la Russie est intervenue militairement en 2008 en Géorgie (une ancienne république soviétique), quand le pays a manifesté l’ambition de joindre l’OTAN et l’Union européenne.
Le même scénario s’est répété en 2014 en Ukraine, également une ancienne république soviétique, après le renversement du régime pro-russe (la révolution de Maïdan) et son remplacement par un régime pro-européen. Moscou est alors intervenu en Ukraine, car il soupçonnait les Américains et les Européens d’avoir comploté pour installer un régime «ami» afin de l’attirer dans leur aire d’influence.
Dans une analyse publiée en 2014 dans Foreign Affairs («Why the Ukraine Crisis Is the West’s Fault»), John Mearsheimer, spécialiste en relations internationales à l’Université de Chicago, écrit que «les États-Unis et leurs alliés européens partagent la majeure partie de la responsabilité de cette crise». Il affirme qu’il était prévisible que la Russie allait réagir à cette tentative occidentale de sortir l’Ukraine de son aire d’influence. À ses yeux, c’est comme si la Chine essayait d’attirer le Canada dans son aire d’influence ou une alliance : les États-Unis réagiraient.
Pour l’instant, rien n’indique que les Occidentaux alimentent l’opposition au régime Loukachenko pour le renverser et renforcer à terme les liens du pays avec l’Occident, même si ce scénario demeure une possibilité.
Cela dit, des opposants au régime – de la lauréate du prix Nobel de littérature Svetlana Aleksievitch à la dirigeante officielle de l’opposition, Svetlana Tikhanovskaïa – n’ont pas l’intention pas de réviser leurs relations avec la Russie, rapporte le journal ukrainien Oukraïnska Pravda. Les manifestations en Biélorussie n’auraient donc pas de connotation géopolitique comme en Ukraine, en 2014.
Bref, l’opposition ne souhaite que le départ du président et l’élection d’un nouveau gouvernement qui aurait de bonnes relations avec Moscou, voire qui les renforcerait – le rouble est déjà la monnaie officielle de la Biélorussie.
Si c’est effectivement le cas, le président russe Vladimir Poutine ne devrait pas intervenir militairement en Biélorussie, estiment des analystes.
Ce dernier a d’ailleurs rencontré, le 14 septembre, en Russie, le président Loukachenko. Le chef du Kremlin s’est dit «convaincu» que son homologue surmonterait la crise, sans s’avancer publiquement sur un soutien plus marqué, précise l’Agence France-Presse. Moscou a en outre accordé un prêt de 1,5 G $ US à la Biélorussie.
On ne saura jamais ce que les deux hommes se sont dit en privé lors de cet entretien qui a duré près de quatre heures. Vladimir Poutine lui a-t-il suggéré de ne pas s’accrocher au pouvoir ?
Chose certaine, à moins que le président Loukachenko ne matte ce soulèvement populaire dans le sang, on voit mal comment l’opposition à son régime peut vraiment faiblir dans un avenir prévisible.
Aussi, à moins d’une surprise de taille, il devra probablement tirer à terme sa révérence, et ce, sans provoquer en principe de vives réactions en Russie.
Du moins, dans la mesure où un nouveau gouvernement à Minsk continuera de regarder vers Moscou et non pas vers Bruxelles ou Washington.