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Jean-Philippe Legault

Entre les lignes

Jean-Philippe Legault

Expert(e) invité(e)

Comment la philosophie peut nous aider en Bourse?

Jean-Philippe Legault|Publié le 26 août 2022

Comment la philosophie peut nous aider en Bourse?

Même si les activités de Barnes & Noble et d’Amazon étaient semblables, soit vendre des produits tels que des livres, leurs modèles d’affaires étaient fort différents. L’un ne pouvait être comparé avec l’autre. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. La semaine dernière, j’ai exploré le concept des modèles mentaux en effectuant un parallèle entre les suricates et l’effet de réseau. Comme expliqué, les modèles mentaux permettent d’utiliser des concepts provenant de domaines externes, comme la biologie, et de les appliquer à l’investissement.

En plus d’aider à la compréhension, j’estime que ces modèles permettent d’écarter certains biais cognitifs. Autrement dit, les modèles mentaux peuvent nous aider à éviter des erreurs psychologiques.

Pour illustrer ce propos, j’utiliserais cette fois un concept lié au domaine de la philosophie. Cet exemple est inspiré d’un passage du livre de Robert Hagstrom, Investing: The Last Liberal Art, un ouvrage fort intéressant qui traite des modèles mentaux.

 

Que voyez-vous?

Dans l’ouvrage Philosophical Investigation publié en 1953, le philosophe Ludwig Wittgenstein discute de l’importance du choix des mots. Regarder l’image ci-dessous. Que voyez-vous?

(Photo: 123RF)

Certains diront qu’il s’agit d’un triangle. D’autres diront qu’il s’agit d’une montagne, d’une pointe de flèche ou même d’un trou. Même si l’image ne change pas, votre perception de l’image change en fonction de votre description.

Autrement dit, la description que vous faites donne un sens à ce que vous voyez et comprenez.

 

Amazon contre Barnes & Noble

Ce concept philosophique est important en investissement. La description que vous faites d’une société aura un impact important sur la façon dont vous l’évaluerez. Dans son livre, Robert Hagstrom donne l’exemple d’Amazon en 2002.

À cette époque, Amazon venait tout juste de vivre l’éclatement de la bulle technologique et le titre avait perdu 78% de sa valeur. Malgré cette baisse, plusieurs investisseurs pessimistes («bears») estimaient que le titre était encore surévalué. Leur argument principal reposait sur le fait qu’il s’agissait, ni plus ni moins, d’une société de commerce de détail et qu’elle ne méritait pas une évaluation aussi élevée. Ils comparaient Amazon à Barnes & Noble et Walmart.

À l’inverse, les investisseurs optimistes («bulls») voyaient plutôt un modèle d’affaires ressemblant davantage au fabricant d’ordinateurs Dell qu’aux librairies Barnes & Noble. Comme Dell, Amazon exerçait ses activités en ligne et acheminait ses produits directement aux consommateurs depuis des centres de distribution. Elle ne disposait d’aucun emplacement physique ni de force de vente.

Même si les activités de Barnes & Noble et d’Amazon étaient semblables, soit vendre des produits tels que des livres, leurs modèles d’affaires étaient fort différents. L’un ne pouvait être comparé avec l’autre.

L’incapacité à décrire convenablement le modèle d’affaires d’Amazon a induit les pessimistes en erreur. Bien sûr, l’évaluation est très importante et doit toujours être prise en compte avant d’effectuer un achat. Néanmoins, l’investisseur devrait s’assurer de garder l’esprit ouvert lorsqu’il décrit le modèle d’affaires d’une société. Un investisseur devrait constamment remettre en question sa description afin d’éviter une vision tunnel.

 

Tesla

Cette polarisation de description me rappelle la situation de Tesla. Au cours des dernières années, j’ai entendu beaucoup de discours d’investisseurs qui décrivent Tesla comme une société de technologie alors que d’autres la décrivent comme un fabricant d’automobiles traditionnel. Évidemment, les perspectives de croissance et de rentabilité de ces deux modèles d’affaires sont bien différentes. Les paramètres à utiliser dans le processus d’évaluation sont donc tout aussi différents.

En tant qu’investisseur et gestionnaire de portefeuille, c’est mon travail de remettre constamment en question la description que je fais d’une société. Je ne suis pas obligé de changer d’avis, mais je dois constamment effectuer cet exercice. Comme nous l’avons vu plus tôt, la description que je ferais de Tesla affectera inévitablement ma perception et, par conséquent, mon évaluation.

Regardez de nouveau la figure du début. S’agit-il d’un triangle ou d’un trou?

 

Jean-Philippe Legault, CFA

Analyste financier chez COTE 100