Le jour viendra où l’électricité sera - et de loin - la principale source d’énergie dans la société québécoise, alors que les parts des produits pétroliers et du gaz naturel auront grandement diminué. (Photo: Fré Sonneveld pour Unsplash)
ANALYSE ÉCONOMIQUE. Transports, usines, institutions… L’électrification de la société québécoise va s’accélérer, ce qui l’aidera à atteindre ses cibles climatiques à long terme. En revanche, elle pourrait être plus vulnérable aux pannes d’électricité, car ses sources d’approvisionnement en énergie seront beaucoup moins diversifiées.
C’est ce qu’affirment en entrevue à Les Affaires deux spécialistes en énergie, Jean-Thomas Bernard, professeur auxiliaire à l’Université d’Ottawa, et Yvan Cliche, fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) et auteur de l’essai Jusqu’à plus soif (Pétrole-gaz-éolien-solaire: enjeux et conflits énergétiques).
À bien y penser, le portefeuille de sources d’énergie d’une société n’est pas si différent que le portefeuille d’un investisseur institutionnel comme la Caisse de dépôt et placement du Québec: plus il est diversifié, plus il est résilient aux chocs.
En matière d’investissement, c’est la diversification dans les actions, les obligations, les placements privés et le secteur immobilier qui augmente la résilience d’un portefeuille.
Sur le plan énergétique, c’est la disponibilité de plusieurs sources d’énergie qui accroît la résilience d’une société si l’une des sources fait défaut, par exemple, en raison d’une catastrophe naturelle, d’une grève, d’un embargo, d’une guerre ou d’une cyberattaque.
Le Québec a un profil énergétique diversifié
En 2019, le Québec avait une demande en énergie relativement diversifiée, selon les données de la Régie de l’énergie du Canada — l’année de référence la plus récente afin de pouvoir comparer les provinces et les territoires.
Ainsi, en 2019, les produits pétroliers raffinés arrivaient au premier rang (40%) au Québec, suivis par l’électricité (37%), le gaz naturel (13%), les biocarburants (10%) et les autres sources (1%).
À titre comparatif, l’Ontario avait ce profil: produits pétroliers raffinés (46%), gaz naturel (30%), électricité (16%), biocarburants (4%) et autres (4%).
Fort de son potentiel hydroélectrique, le Québec pourra donc se décarboner plus facilement et de manière plus importante comparativement à ses voisins ontariens.
Le jour viendra où l’électricité sera, et de loin, la principale source d’énergie dans la société québécoise, alors que les parts des produits pétroliers et du gaz naturel auront grandement diminué.
Si ce virage est essentiel, il pourrait en revanche rendre plus vulnérable notre société et notre économie lors d’une mégapanne d’électricité, de cause naturelle ou non naturelle (par exemple, une cyberattaque de terroristes ou d’un État).
«Dans ce contexte, nous serons de plus en plus exposés», fait remarquer Jean-Thomas Bernard.
Et on peut le comprendre aisément.
Dans l’avenir, des pannes d’électricité affecteront davantage les usines, les entreprises de transport et les institutions, sans parler d’une foule de services, notamment bancaire, pour les services en ligne.
Bien entendu, les batteries permettront de stocker de plus en plus d’électricité au fil des ans. Toutefois, l’autonomie qu’elle procure demeurera relativement faible, du moins dans un avenir prévisible.
C’est la raison pour laquelle Jean-Thomas Bernard estime que les produits pétroliers et le gaz naturel ne sont pas à la veille de disparaître, même si leur proportion dans le profil énergétique du Québec diminuera.
«On va voir ces sources d’énergie comme une police d’assurance», dit-il.
On peut penser aux services d’urgence (police, pompier, ambulance), aux génératrices pour les hôpitaux ou les résidences pour aînés, sans parler du transport de produits essentiels, comme la nourriture, les médicaments et les ressources naturelles.
D’autres avenues sont aussi possibles pour limiter le risque que l’électrification de l’économie québécoise ne la rende plus vulnérable aux pannes d’électricité, selon Jean-Thomas Bernard et Yvan Cliche.
Microréseau autonome à Lac-Mégantic
À terme, on peut par exemple imaginer la création de microréseaux électriques dans plusieurs régions du Québec.
Le Microréseau de Lac-Mégantic — le premier au Québec — en est un bel exemple. Mis sur pied par Hydro-Québec et la communauté, il permet d’alimenter un quartier du centre-ville grâce à des panneaux solaires et à des batteries de grandes capacités.
Les surplus d’électricité peuvent être injectés dans le réseau central d’HQ. En cas de panne de ce dernier, le microréseau peut même être autonome durant un certain temps.
La multiplication des bouclages dans le réseau central d’Hydro-Québec est une autre façon d’accroître la résilience de l’approvisionnement en électricité aux quatre coins de la province, soulignent les deux spécialistes en énergie.
Pour l’essentiel, un bouclage vise à s’assurer qu’une région, une ville ou un quartier soit alimenté par au moins deux lignes de transport ou de distribution d’électricité.
Par exemple, après la tempête de verglas de 1998, le gouvernement du Québec a demandé à Hydro-Québec de construire la ligne Hertel-Des Cantons de 735 kV, en Montérégie, afin de renforcer l’alimentation en électricité de Montréal.
Durant la tempête de verglas en 1998, la métropole est passée tout près de pâtir d’une panne généralisée.
Joint par Les Affaires, un porte-parole d’Hydro-Québec, Maxence Huard-Lefebvre, explique que la société d’État fait de plus en plus de bouclages pour accroître la résilience de son réseau.
Aux yeux d’Yvan Cliche, les interconnexions avec les réseaux voisins permettent aussi d’accroître la résilience du réseau d’HQ en cas d’une panne majeure. Actuellement, le Québec en compte une douzaine avec les réseaux voisins.
Il donne le contre-exemple du Texas.
En 2021, lors d’une tempête hivernale, l’État a pâti d’une grande panne d’électicité, car il n’avait pas ce niveau d’interconnexions avec ses voisins, son réseau fonctionnant pratiquement en autarcie.
Conscients de cette fragilité, les Américains sont d’ailleurs en train d’interconnecter davantage les réseaux électriques dans le pays, souligne Yvan Cliche.
Les biocarburants et les voitures dites batteries — lors d’une panne, une voiture électrique pourrait par exemple alimenter certains équipements dans une maison, comme le réfrigérateur — sont aussi des options qui assureraient une plus grande résilience de la société québécoise.
Dans un contexte de luttes aux changements climatiques, l’électrification accrue de l’économie québécoise est nécessaire. Et nous avons en plus les ressources et l’expertise pour le faire rapidement et à grande échelle.
L’immense défi sera d’y arriver sans faire de compromis sur notre résilience collective.
Bref, sans devenir une économie verte, mais vulnérable.