Captage du carbone: la solution entrepreneuriale qu’il nous faut
Le courrier des lecteurs|Publié le 28 octobre 2021(Photo: 123RF)
Un texte de Krystle Wittevrongel, analyste en politiques publiques, et Miguel Ouellette, directeur des opérations, Institut économique de Montréal
COURRIER DES LECTEURS. Dans quelques jours seulement s’ouvrira la 26e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques. Tout porte à croire que des objectifs encore plus ambitieux en matière de réduction des émissions de GES seront annoncés. Le gouvernement canadien s’est déjà engagé à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, ce qui nécessitera une transition rapide vers des technologies moins polluantes.
Mais curieusement, cette campagne vers la carboneutralité s’est concentrée essentiellement sur la réduction des quantités rejetées dans l’atmosphère, sans tenir compte des technologies de captage, d’utilisation et de stockage du carbone (CUSC). Pourtant, ces technologies ont le potentiel non seulement de réduire, mais aussi de renverser l’augmentation des GES dans l’atmosphère. En effet, nous ne pouvons tout simplement pas atteindre la carboneutralité sans ces technologies, et toute tentative en ce sens aurait des conséquences néfastes sur notre croissance économique et notre niveau de vie.
D’une part, certaines industries lourdes, comme les cimenteries, émettent des GES lors de procédés inévitables et difficiles à décarboner. Par conséquent, la réduction des émissions de l’ordre de grandeur nécessaire pour atteindre la carboneutralité doit passer par d’autres stratégies. À elle seule, la fabrication de ciment est responsable de 8 % des émissions mondiales de CO2, mais pas moins de 90 % de celles-ci pourraient être captées. Il existe une réelle possibilité de réduire les émissions de GES par la décarbonation, et ce, sans se limiter à l’industrie du ciment.
Il va de soi que le CUSC peut être envisagé non seulement pour l’industrie lourde, mais aussi pour le secteur énergétique. La plupart des technologies de CUSC peuvent absorber environ 85 % à 95 % du CO2 produit par une centrale électrique. Les centrales électriques au charbon dans le monde (d’ailleurs encore en activité en Alberta, en Saskatchewan, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse) ont généré environ 30 % des émissions mondiales de CO2 en 2018, de sorte que le captage de la majeure partie de ce carbone réduirait considérablement les émissions totales.
Surmonter les obstacles au déploiement
Le gouvernement fédéral canadien a reconnu l’importance des technologies de CUSC pour atteindre la carboneutralité, mais des défis subsistent. Notamment, les coûts de démarrage et d’exploitation élevés peuvent décourager l’adoption et le déploiement à grande échelle de ces technologies. Afin de permettre et de faire croître le CUSC à des fins commerciales, les mécanismes gouvernementaux doivent inciter les entrepreneurs à faire ce qu’ils font de mieux : innover.
Il ne s’agit pas de désigner des gagnants ou des perdants ni de favoriser des acteurs de l’industrie en particulier. Les mesures conçues pour inciter le captage et l’utilisation ou le stockage des émissions de carbone pourraient être moins coûteuses dans l’ensemble que bien des politiques environnementales, tout en contribuant à l’atteinte des objectifs climatiques du Canada.
Par exemple, bien qu’un crédit d’impôt à l’investissement pour le capital investi dans les projets de CUSC soit prévu pour 2022, une attention particulière devrait être accordée à sa conception et sa mise en œuvre afin de minimiser les distorsions du marché. Notamment, les projets de récupération assistée du pétrole (RAP), qui captent et stockent le carbone de façon permanente, ne seraient pas admissibles au crédit dans sa forme proposée du fait qu’ils impliquent une extraction. Cette exception devrait être éliminée. Par ailleurs, le crédit d’impôt devrait être remboursable. Cela permettrait d’offrir des conditions de concurrence équitables aux entreprises en démarrage et à celles dont la dette fiscale est négative ou fluctuante, dans la mesure où les crédits d’impôt non remboursables ont tendance à favoriser les entreprises bien établies.
Qu’en est-il d’un crédit d’impôt fondé sur le rendement? Prenons comme modèle potentiel le crédit d’impôt 45Q aux États-Unis, lequel est lié au rendement. Il s’agit là d’une incitation qui offre aux installations et aux projets admissibles (y compris les projets de RAP) un crédit d’impôt pour chaque tonne métrique d’oxyde de carbone captée, pourvu qu’un certain nombre de conditions soient remplies. La version canadienne d’un crédit d’impôt fondé sur le rendement pourrait être arrimée à la taxe sur le carbone, en tenant compte des émissions nettes. Ainsi, les entrepreneurs pourraient évoluer et innover pour trouver de nouvelles façons d’améliorer la quantité d’émissions qu’ils sont capables de capter et de stocker ou d’utiliser.
La prospérité des projets doit être déterminée par le marché, et non par les choix arbitraires des décideurs politiques. Plus que jamais, il est important de reconnaître l’immense potentiel des technologies de CUSC et de promouvoir la création d’un marché robuste et autonome pour celles-ci. Ainsi, le gouvernement canadien sera plus apte à atteindre ses objectifs environnementaux tout en favorisant la croissance économique et en préservant un niveau de vie élevé pour les familles canadiennes.