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Philippe Leblanc

Entre les lignes

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Expert(e) invité(e)

Bourse: le cannabis est-il un pétard mouillé?

Philippe Leblanc|Publié le 25 octobre 2019

Bourse: le cannabis est-il un pétard mouillé?

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Le cannabis a été officiellement légalisé au Canada le 17 octobre 2018, il y a un peu plus d’un an. Pour nombre d’investisseurs, cette date devait être le début d’une belle histoire, la consécration d’une industrie naissante qui les enrichirait.

Un an plus tard, le rêve s’avère être devenu un pétard mouillé. Il faut dire que les attentes étaient particulièrement élevées. S’il est une chose, compte tenu des évaluations très généreuses qu’obtenaient de nombreuses sociétés du secteur, on pouvait s’attendre à des déceptions.

Pour se faire une idée de la performance des titres du secteur, j’utilise le fonds négocié en Bourse Horizons Marijuana Life Sciences Index («HMMJ») qui s’échange à la Bourse de Toronto. Après avoir atteint un sommet historique de plus de 24,00 $ en septembre 2018, quelques semaines avant la légalisation officielle du cannabis, l’indice a depuis perdu près de 55% de sa valeur…

(Graphique: Yahoo Finance)

Il y a un adage boursier souvent cité: «Achetez la rumeur, vendez la nouvelle» («Buy the rumor, sell the news»). Il faut croire que dans la situation actuelle, cet adage aura été prescient.

Quelles leçons tirer de cette saga?

«Les fondamentaux, Watson, les fondamentaux.» La majorité des entreprises du secteur ne font pas de profits. Encore aujourd’hui, leur évaluation est fondée sur des rêves, sur des espoirs d’éventuels bénéfices.

En janvier 2018, j’ai écrit un blogue sur l’industrie naissante du cannabis intitulé «Avant d’investir dans le cannabis, faites vos calculs». Voici quelques lignes de ce blogue:

«Un exemple qui défraye l’actualité présentement: le secteur du cannabis au Canada. Une évaluation sommaire des 10 plus importantes sociétés canadiennes du secteur tourne autour de 20 G$ en ce moment. Est-ce réaliste?

Voyons plutôt les chiffres. Nous sommes environ 35 M de Canadiens. Prenons comme hypothèse que le quart des citoyens seront éventuellement des consommateurs, soit près de 9 M. Supposons maintenant qu’ils achèteront pour 500$ de cannabis, en moyenne, par année, ce qui fait un total de 4,5 G$ par année. Or, une part importante de cette somme ira au détaillant du produit, c’est-à-dire au gouvernement dans la plupart des provinces. Disons qu’il restera la moitié aux producteurs, soit près de 2,5 G$. Il s’agit là des revenus; mais l’important, ce sont les profits. Compte tenu de l’aspect «commodité» ou denrée de base du cannabis ou de tout autre produit agricole, j’estime qu’une marge bénéficiaire de 5% serait un jour réalisable, ce qui pourrait se traduire par des bénéfices de 125 M$. Est-ce suffisant pour justifier une évaluation de quelque 20 G$? (Cela donne un multiple de 160 fois les profits hypothétiques futurs).»

Je noterais que les investisseurs n’évaluent pas seulement le potentiel du marché canadien, mais qu’ils croient aussi que les marchés internationaux représentent un fort potentiel pour l’industrie. Ce potentiel existe sûrement, mais il est à mon avis loin d’être une certitude – la concurrence y sera sans doute féroce.

Donc, la première leçon à tirer est de prendre le temps de compter avant de se lancer dans des investissements apparemment prometteurs. Un investissement a-t-il du sens, économiquement parlant? Pouvez-vous de façon rationnelle justifier un tel investissement en fonction des chiffres?

Deuxièmement, il faut reconnaître qu’il est difficile d’investir dans une industrie naissante. On ne connaît pas le futur et il est quasiment impossible d’identifier les entreprises qui émergeront gagnantes d’une inévitable consolidation.

Enfin, il ne faut pas se laisser tenter par l’appât du gain rapide et facile, sans compter l’envie que provoquent les gains des autres. L’humain n’est pas doué pour prendre des décisions de nature économique sous le coup de l’émotion ou de l’intuition.

Je crois que l’investisseur «valeur» dénichera un jour ou l’autre des occasions dans le secteur du cannabis canadien. Il me semble toutefois qu’on est encore bien loin du jour où l’on pourra identifier un gagnant et, surtout, l’acheter à bon prix.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA