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Philippe Leblanc

Entre les lignes

Philippe Leblanc

Expert(e) invité(e)

À quoi bon croître sans être rentable?

Philippe Leblanc|Publié le 21 février 2020

À quoi bon croître sans être rentable?

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. À mon avis, le travail d’un gestionnaire de portefeuille consiste principalement à lire et à faire des rapprochements entre ses diverses lectures. On dit que les voyages forment la jeunesse; on pourrait aussi dire que les lectures forment la pensée critique de l’investisseur.

Voici un rapprochement que j’ai fait entre un livre lu récemment, How Will You Measure Your Life? («Comment allez-vous mesurer votre vie?»), de Clayton Christensen, et un article paru dans le Wall Street Journal du 9 janvier dernier intitulé Money-Losing Companies Mushroom Even as Stocks Hit New Highs («Le nombre de sociétés déficitaires explose alors que les actions touchent de nouveaux sommets»), par James Mackintosh.

Commençons par l’article du Wall Street Journal. Selon cet article, «le pourcentage des sociétés inscrites en Bourse aux États-Unis ayant enregistré des pertes au cours des 12 derniers mois est de près de 40%, le plus haut niveau depuis la fin des années 1990, excluant les périodes qui ont suivi les récessions.»

Qui plus est, semble-t-il que «la proportion des entreprises inscrites en Bourse aux États-Unis ayant perdu de l’argent pendant trois ans a atteint un sommet l’an dernier, d’après des données colligées depuis la fin des années 1990.»

Enfin, toujours selon l’article, près de 75% des sociétés ayant fait un premier appel à l’épargne (Pape) l’an dernier étaient déficitaires.

Or, dans son livre, M. Christensen soutient qu’il est généralement insensé qu’une entreprise qui perd de l’argent pèse de tout son poids sur l’accélérateur et tente de croître aussi vite que possible. Selon l’auteur, 93% des sociétés qui deviennent éventuellement des «succès» ont dû abandonner leur stratégie initiale, tout simplement parce qu’elle ne fonctionnait pas. En revanche, «la plupart des entreprises qui échouent dépensent tout leur argent sur leur stratégie initiale, qui est généralement déficiente.» En d’autres mots, la majorité des entreprises rentables ont dû s’ajuster avant de trouver la bonne stratégie pour être rentable.

Petite analogie sportive: une personne désireuse de devenir haltérophile doit avant tout apprendre la bonne technique, laquelle requiert vitesse, souplesse, coordination et équilibre. Ce n’est que lorsqu’il ou elle aura bien maîtrisé cette technique fort complexe que l’haltérophile pourra penser à augmenter ses charges. Le contraire serait particulièrement dangereux.

L’auteur recommande donc aux entreprises en démarrage de rechercher constamment le bon modèle d’affaires qui leur permettra de commencer à faire des profits. Seulement une fois cette étape cruciale atteinte, sera-t-il logique d’investir pour croître aussi vite que possible.

C’est également ma façon de voir les choses et d’investir. Il me semble qu’il est bien moins risqué pour une entreprise qui a appris à faire des profits de tenter de croître rapidement que ce ne l’est pour une société déficitaire.

Comme je l’ai aussi dit dans un blogue l’an dernier, il n’est pas facile pour un investisseur d’évaluer la valeur intrinsèque d’une société qui perd de l’argent, surtout si elle en perd de façon croissante.

Nous investissons seulement dans des sociétés rentables afin de diminuer les risques.

Et vous?

Voici une petite mise en scène: vous êtes un investisseur privé et avez le choix d’investir 100 000$ dans l’une des deux petites sociétés en démarrage. L’une d’elles fait de légers profits, alors que l’autre accuse des pertes énormes, car elle n’a pas encore de revenus. Laquelle vous tenterait le plus?

Par les temps qui courent, il semble que ma vision des choses soit loin de faire l’unanimité parmi les investisseurs. Nombre d’entre eux semblent croire que les profits importent peu, tant que les revenus affichent une forte croissance. Le modèle de nombreuses sociétés est contraire à celui recommandé par M. Christensen. En effet, elles priorisent avant tout l’accroissement de leurs revenus le plus rapidement possible en espérant qu’un jour, cela se traduise par des bénéfices. C’est peut-être le legs de sociétés telles qu’Amazon qui a longtemps perdu beaucoup d’argent avant de devenir le succès phénoménal que l’on connaît.

Toutefois, je me souviens très bien de la dernière fois où j’ai entendu que les bénéfices n’étaient pas importants… et la suite avait été dévastatrice pour de nombreuses sociétés déficitaires ainsi que pour leurs actionnaires (la bulle techno et la folie des « .com »).

Philippe Le Blanc, CFA, MBA