Série Performance ı Une famille en voilier

Publié le 01/11/2010 à 00:00, mis à jour le 05/04/2011 à 16:06

Série Performance ı Une famille en voilier

Publié le 01/11/2010 à 00:00, mis à jour le 05/04/2011 à 16:06

Par Claudine Hébert

Marc Chagnon a quitté le travail durant un an pour traverser l'Atlantique et revenir au Québec avec toute la famille à bord. Tout un défi de logistique.

Marc Chagnon n'a pas gagné à la loterie. Ça n'a pas empêché cet ingénieur électronique de hisser les voiles pendant un an. Un matin de septembre 2007, le concepteur de matériel télévisuel est entré au bureau et a annoncé à ses collègues qu'il avait fait l'acquisition d'un Jeanneau de 42 pieds. Un joujou de plus de 150 000 dollars. Une fois cette première étape franchie, il a réuni ses deux superviseurs dans un bureau pour leur demander une année sabbatique.

Marc Chagnon préparait cette demande depuis déjà un an. On ne décide pas sur un coup de tête de renoncer à un an de salaire, de claquer une fortune sur un bateau et de traverser l'océan avec sa famille. En compagnie de sa conjointe Judith Grondin et de leurs trois enfants (Sébastien, 12 ans, Pascale, 10 ans et Amélie, 5 ans), l'ingénieur de 41 ans a largué les amarres le 26 juin 2008, à Saint-Paul-de-l'Île-aux-Noix, pour une odyssée trans-océanique de 370 jours. " La meilleure décision de ma vie ", dit cet ancien moniteur de voile, qui a ajouté un cours mécanique diesel à ses cordes, en plus de passer l'automne, l'hiver et le printemps à préparer le bateau.

L'expédition a d'abord mené la famille à La Rochelle, en France, dans le cadre d'une traversée organisée pour les fêtes du 400e anniversaire de Québec. L'aventure s'est ensuite poursuivie sur la côte ibérique jusqu'au Cap-Vert, puis dans les Petites Antilles et sur la côte Est des États-Unis, avant de prendre fin près de la source du fleuve Hudson, sur le lac Champlain. Ponctué de nombreuses escales, dont un mois en France et un arrêt en Floride, ce voyage s'est traduit par un peu plus de 70 jours et nuits en mer, sans contact avec la terre ferme.

L'occasion d'une vie

Qu'est-ce qui peut bien motiver quelqu'un à entreprendre un tel périple ? Quel intérêt peut-il y avoir à confiner sa famille pendant un an dans un espace à peine plus grand qu'un deux et demi ? Pourquoi engager les enfants dans une aventure risquée ?

" Il faut savoir saisir les occasions lorsqu'elles passent. Celle-ci en était toute une ", dit Marc Chagnon, sous le regard approbateur de sa conjointe Judith et de la petite Amélie, blottie contre sa mère. La vie, dit-il, lui a envoyé quelques avertissements. Au cours des dix dernières années, quatre cancers ont touché la famille Chagnon-Grondin, dont l'un a frappé le navigateur : un cancer papillaire de la thyroïde dont il est tout à fait remis. " Ces épreuves m'ont permis d'établir mes vraies priorités et de mettre de l'avant mon audacieux projet de jeunesse qui séduisait autant Judith que les enfants ", poursuit-il.

La mise en veilleuse de sa carrière ? " J'ai choisi il y a longtemps de devenir un spécialiste, et non un gestionnaire. D'ailleurs, si j'avais été dirigeant, mes chances d'obtenir ce congé sabbatique auraient été plutôt minces, il aurait sans doute fallu que je démissionne. Ce qui a été le cas pour ma conjointe,qui occupait un important poste de biochimiste. "

Bohème, Marc Chagnon ? Il se qualifie au contraire de travailleur des plus organisés. Une qualité essentielle pour naviguer en haute mer. " Traverser un océan - à deux reprises dans notre cas - est avant tout un intense exercice d'organisation. On n'a pas le temps de boire des pina coladas tous les jours ", insiste l'ingénieur appelé à jouer au capitaine... au plombier, au mécano, au cuisinier, au professeur, et bien sûr, au papa pendant toute la durée du voyage.

Les tempêtes et les vents ? Tout était calculé pour emprunter les itinéraires les plus sécuritaires, dit-il. Tous les matins à 7 heures pile, le père de Judith leur communiquait par radio-amateur les conditions météo prévues pour la journée sur le parcours.

L'ouragan Bertha est justement venu ralentir la cadence de l'équipage, qui a dû faire escale à Saint-Pierre et Miquelon. La houle et les vagues de 1 à 5 mètres qui faisaient rouler et tanguer le voilier au quotidien ? Le corps finit par s'habituer. Ces vents forts qui ont soufflé pendant les six jours qui séparaient les îles Canaries du Cap-Vert ? " J'avoue que les enfants et moi étions incommodés, et que nous avons trouvé cette partie du voyage un peu moins drôle ", dit Judith.

Le voilier a même heurté un OFNI, un objet flottant non identifié, à sa sortie du quai de La Rochelle. Une fois de plus, le capitaine Chagnon n'a pas paniqué...Bien que l'incident ait abîmé l'arbre de l'hélice et forcé le retour du voilier au dock pour la réparation des dommages. Au total : trois semaines d'attente ! Malgré cette infortune, la famille a eu de la chance. La Rochelle est réputée pour ses nombreux chantiers navals. " Si l'accident était survenu au Cap-Vert, notre bateau y serait probablement encore ", note le plaisancier.

Traversée éprouvante

Marc Chagnon n'a cependant pas toujours été inébranlable. Il admet que la tempête tropicale Cristobal lui a donné une légère frousse, avant d'atteindre Les Açores. La tempête, qui devait passer au sud et plus à l'est, a surpris l'équipage qui s'est retrouvé dans l'oeil du cyclone. " Heureusement, les vents n'ont pas soufflé à plus de 25 noeuds ", soupire-t-il.

Il reconnaît aussi que l'aventure l'a plus perturbé sur le plan psychologique que sur le plan physique. Ce ne sont pas tant les manoeuvres de navigation qui épuisent le système, mais le manque de sommeil lié aux quarts de nuit.

Bien que la mer révèle des couleurs spectaculaires la nuit, quand le plancton phosphorescent luit dans l'eau, c'est à ce moment que les vrais dangers surgissent. Les plaisanciers perdent tous leurs points de repère. Afin d'éviter toute collision avec un cargo ou toute autre embarcation, le couple Chagnon-Grondin a dû établir un système de quarts. La personne de garde devait faire le tour du voilier toutes les 20 minutes pour repérer le moindre point lumineux, et en observer le déplacement pour prévenir les incidents.

" Un test pénible, qui a mis notre patience à l'épreuve et a resserré nos liens ", conclut le couple, bien heureux d'être de retour sur la terre ferme... et dans le confort de son foyer. À ce propos, Marc Chagnon et sa famille ne prévoient pas reprendre la mer de sitôt. D'ailleurs, avis aux intéressés, le voilier est à vendre.

L'ÉCOLE EN MER

Moins d'une vingtaine de familles québécoises ont osé traverser l'Atlantique ou d'autres océans au cours des deux dernières décennies. La famille Mailhot-Manny, qui a fait le tour du monde de 1986 à 1992 à bord de la V'limeuse, est sans doute la plus célèbre d'entre elles. Si cette expérience est loin de faire partie des moeurs de ce côté de l'Atlantique, elle est assez fréquente en Europe. Les Français disposent d'ailleurs d'un programme d'éducation à distance qui favorise l'école en mer. " Chez nous, niet. C'est le vide total ", déplore Marc Chagnon. Parmi toutes les étapes de préparation en vue du voyage, ce sont justement celles liées à l'éducation des enfants qui ont causé le plus de maux de tête. Il a fallu quelques mois de recherches ardues avant de trouver des directeurs d'école ouverts au projet. " Dommage que notre système d'éducation soit encore fondé sur des dogmes ", dit-il.

Est-ce égoïste de la part des parents d'engager les enfants dans un tel projet ? " Loin de là ! C'est un cadeau inestimable qu'on nous offre ", répond Damien De Pas, un navigateur de 31 ans. Damien était un des quatre enfants à bord de la V'limeuse. Ce type de voyage renforce à jamais les liens familiaux. Lui-même, devenu père de deux enfants, avoue avoir des envies de revivre cette aventure familiale en mer. L'expérience aidant, il a décidé cependant de ne pas sauter d'étapes. Avant de prendre le large, il vaut mieux planifier quelques week-ends avec sa douce... si elle n'a pas déjà le pied marin. " Et choisir les belles journées ensoleillées pour mieux la convaincre... "

Présenté par le coupé CTS 2011 de Cadillac

 

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