Le porte-parole de Québec solidaire en matière de finances, Haroun Bouazzi (Photo: Jacques Boissinot / La Presse Canadienne)
EXPERT INVITÉ. On n’est pas raciste, c’est l’autre qui est intolérant face à notre position!
Qu’il n’en déplaise à la classe politique et aux pures laines, dire la vérité lorsqu’elle nous déplaît choque et Haroun Bouazzi l’a appris à ses dépens.
La semaine dernière, les propos du député de Québec solidaire, Haroun Bouazzi, ont choqué et ébranlé les députés caquistes et péquistes. Au début du mois de novembre, devant la Fondation Club Avenir, un OSBL œuvrant pour l’intégration des communautés maghrébines, Haroun Bouazzi a affirmé qu’il était tous les jours témoin à l’Assemblée nationale de propos visant à construire un mur entre nous et l’autre et à perpétuer une culture de l’autre qui, par définition, serait dangereuse ou inférieure.
Réunies en congrès le week-end dernier, les membres de Québec solidaire devaient officialiser la nomination de la nouvelle co-porte-parole Ruba Ghazal. Mais les yeux étaient davantage tournés vers le député de Maurice-Richard qui a tenu des propos jugés incendiaires par ses pairs et par l’ensemble des députés à l’Assemblée nationale.
Lors de ce rassemblement, les deux co-porte-paroles, qui avaient qualifié les propos d’ Haroun Bouazzi de maladroits, d’exagérés et de polarisants sont revenus sur leurs positions initiales en défendant le fond des propos, mais en corrigeant le tir sur la forme.
Au terme de ce congrès, une position mi-figue mi-raisin est ressortie des échanges, puisque les membres ont adopté une motion qui dénonce l’instrumentalisation injustifiée dont sont régulièrement victimes les personnes immigrantes, tout en maintenant n’avoir jamais soutenu que l’Assemblée nationale et ses membres sont racistes.
Québec solidaire le disait déjà et le redit
Est-ce que le Québec et ses politiciens sont racistes ou discriminent? La question se pose, et depuis plus de 10 ans, les politiciens se querellent à ce sujet.
Québec solidaire n’en est pas à ses premières frasques sur cet épineux dossier et n’est surtout pas insensible aux questions identitaires. Pour mieux comprendre leur position et pour mieux comprendre la trame politique qui se cache derrière cette difficile question, faisons la chronologie de certaines déclarations sur le sujet.
Au lendemain des attentats dans une mosquée de Québec en février 2017, Amir Khadir — alors co-porte-parole de Québec solidaire— reprochait au cabinet du premier ministre de l’époque, Philippe Couillard, de pratiquer une forme de racisme systémique. Après un décompte rapide, il relevait que les personnes issues de minorités visibles constituaient moins de 2% des 400 à 500 nominations par an faites par le Conseil exécutif du gouvernement.
À cette époque, personne ne prétendait que Philippe Couillard était raciste, mais Amir Khadir affirmait que même si le premier ministre ne faisait pas de discrimination raciale, l’administration publique négligeait et ignorait les problèmes de discrimination, et cela faisait en sorte qu’il y avait une exclusion systématique. C’est ce qu’Amir Khadir appelait le racisme systémique.
Depuis les années 2010, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse définit la discrimination systémique comme étant l’interaction dynamique entre des décisions et des attitudes teintées de préjugés, ainsi que sur des modèles organisationnels et des pratiques institutionnelles qui ont des effets préjudiciables, voulus ou non, sur les groupes protégés par la Charte des droits et libertés de la personne. Plus spécifiquement, la Commission définit ce type de racisme comme une production sociale d’une inégalité fondée sur la race dans les décisions dont les gens font l’objet et les traitements qui leur sont dispensés.
Dans la foulée des consultations publiques lancées en 2017 sur la question concernant la discrimination systémique dénoncée au sein de la fonction publique, Amir Khadir disait déjà que les partis de l’opposition étaient tenus dans l’ombre quant au travail accompli et Khadir s’insurgeait contre l’idée que les consultations soient faites à huis clos, puisqu’il insinuait que les gens défilant devant la Commission craignaient d’être vus et entendus. Pour Amir Khadir, cela témoignait de l’existence de ce phénomène.
En octobre 2017, il n’en fallait pas plus pour que le Parti libéral de Philippe Couillard et son Conseil des ministres décident de retirer à la Commission le mandat, qu’ils lui avaient confié quelques semaines plus tôt, de mener une consultation sur la discrimination systémique et le racisme au Québec.
Même si les libéraux tentaient de nous faire croire qu’ils y croyaient dur comme fer, le Parti québécois et la Coalition avenir Québec ont tour à tour fait flancher les libéraux en demandant l’annulation complète.
Outre la peur de trouver un fondement de vérité dans les comportements discriminants qui nous habitent, on faisait déjà pression sur le gouvernement en insinuant que la consultation proposée reposait uniquement sur une stratégie de Philippe Couillard visant à exacerber les divisions et les tensions à un an des élections.
Ainsi, plutôt que de faire la lumière sur ce que tout le monde constatait et plutôt que de changer les institutions et les procédures, les politiciens, dans un geste de solidarité rarissime, ont réussi un tour de force en se cachant derrière un contexte électoral pour tuer le projet dans l’œuf.
Rien n’a changé
Sept ans plus tard, hormis un nouveau parti politique au pouvoir, absolument rien n’a changé à ce sujet, si ce n’est que la situation ait empiré et que de plus en plus de personnes dénoncent haut et fort un phénomène qui dévore nos institutions publiques et nos partis politiques.
Le refus de reconnaître nos torts ne date pas d’hier, et puisque nous avons peur de nous faire taxer de raciste et craignons d’avouer que nous avons adopté et mis en place des structures discriminantes qui se sont maintenues, consolidées et propagées au fil des décennies*, nous nous obstinons et maintenons nos positions en disant que nous ne sommes pas racistes et dénonçons et ostracisons ceux qui nous traitent de racistes.
Ça me fait énormément penser aux comportements que nous avons adopté pendant très longtemps face aux Premières Nations et du même coup, me fait penser à nos semblants de remords actuels que nous cachons et tentons de diluer derrière la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
Dans cinquante ans, nous prendrons notre courage à deux mains et verserons quelques larmes d’indignations sur nos comportements discriminants et sur notre perpétuelle ignorance volontaire.
Ça fait 10 ans que QS dit que nous sommes racistes ou discriminants (les deux termes sont différents), et ça fait 10 ans que nous trouvons des excuses pour justifier nos inactions.
Le racisme systémique est bel et bien présent au Québec. En effet, qu’il s’agisse de l’accès au logement, des interpellations policières ou de l’accès au merveilleux monde du travail, les personnes noires, autochtones et racisées subissent des discriminations de manière disproportionnée par rapport au reste de la population.
Quand Haroun Bouazzi dit tout haut ce que beaucoup d’entre nous pensent, cet homme politique québécois d’origine tunisienne se fait traiter de raciste et beaucoup de députés blancs ne font que s’insurger sans donner d’exemples concrets pour défendre leur point.
Quoique la société québécoise ait évolué depuis 10 ans, les propos d’Haroun Bouazzi ne passent tout simplement pas. Pourtant, quand Amir Khadir tenait les mêmes propos il y a bientôt 10 ans, hormis François Legault et Jean-François Lisée, peu de monde a déchiré leur chemise. Dommage que Haroun Bouazzi n’ait pas le même capital de sympathie qu’Amir Khadir.
Dommage aussi que nous ayons oublié la déclaration de François Legault faite en point de presse le 1er juin 2020 alors qu’il nous disait que «la discrimination existait bel et bien au Québec, mais que celle-ci n’était pas systémique».
Je ne sais pas si Haroun Bouazzi aurait pu faire la même déclaration la semaine dernière.
*Structures discriminantes qui se sont maintenues, consolidées et propagées au fil des décennies – Les nominations partisanes – Les processus d’investitures pour les futurs députés – Les programmes d’accès d’égalité à l’emploi qui instaure des quotas – Chaque organisme a une cible à atteindre en matière de représentation des minorités visibles, calculée en fonction de la disponibilité de la main-d’œuvre non blanche compétente – Les politiques RH touchant le recrutement (analyse des CV et biais cognitifs lorsque les noms de candidats ne sont pas à consonance québécoise, lorsque les noms des écoles ne sont pas du Québec, lorsque les employeurs pour les prises de références sont à l’extérieur du Québec, etc.). – Une étude réalisée par la Commission, en 2012 démontrait qu’à caractéristiques et à compétences égales, un candidat au patronyme québécois a au moins 60% plus de chances d’être appelé en entrevue qu’une personne qui a un nom à consonance africaine, arabe ou latino-américaine. – La nécessité de maitriser parfaitement la langue française pour des employés où la communication n’est pas nécessaire. – La nécessité d’avoir X nombre d’années d’expérience reconnus au Québec pour occuper un emploi. – Les règles touchant les assurances-collectives et les REER et fonds de pension… le nouvel arrivant doit attendre plus d’un an avant de pouvoir en profiter ou y contribuer comparativement à la personne née ici. – Les exigences physiques sans fondement demandées pour exclure les femmes des processus d’embauches. – Les tests psychométriques principalement faits pour les candidats venant du Québec et ne prenant pas en considération d’autres contextes et d’autres réalités. – La Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (CERP), les représentants du RCAAQ font état de trois éléments qui freinent l’accès aux Autochtones à des services publics: le racisme et la discrimination qu’ils vivent lorsqu’ils reçoivent ces services, le manque d’accès à des services qui sont culturellement rassurants pour eux et le problème de communication causé par la langue: 1. les problèmes de communication entravent également l’accès aux services publics. Lorsque le français est la langue seconde d’une personne autochtone ou même sa troisième langue, cela est problématique pour se faire soigner dans certaines villes comme Chibougamau, Val-d’Or ou Maniwaki. 2. Le problème de communication survient aussi dans les services correctionnels et policiers. – Les Noirs, les Autochtones et les jeunes Arabes sont particulièrement victimes de «biais systémiques liés à l’appartenance raciale» par les agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), selon un rapport mené par des chercheurs indépendants. – La Société des alcools du Québec ne compte que 122 membres des minorités visibles parmi ses quelque 7500 employés (1,6%). Même si les personnes de couleur sont trois fois plus nombreuses qu’en 2013 à travailler à la SAQ. – À Hydro Québec, il n’y a que 706 personnes de couleur sur un peu plus de 19 000 employés. C’est plus du double de ce qu’on retrouvait en 2013, mais la Société d’État doit encore en recruter 1271 pour atteindre sa cible de 10%. – En 10 ans, la Sûreté du Québec est passée de 26 à 42 minorités visibles employées à son quartier général, sur un effectif de 5500 personnes. La SQ doit en recruter encore 112 pour atteindre cible de 2,8 %. – Les personnes de couleur sont aussi très peu représentées dans les Régies intermunicipales de police (0,6%). |
Ce texte a été modifié pour éclaircir le propos de l’auteur après sa première mise en ligne.