Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires
François Normand

Dans la mire

François Normand

Analyse de la rédaction

Polarisation: le Québec est aussi à risque

François Normand|Mis à jour le 06 septembre 2024

Polarisation: le Québec est aussi à risque

Lorsque la polarisation s'accroît, les positions extrêmes prennent en importance, alors que les points de vue situés au centre s’érodent. (Photo: La Presse Canadienne)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. La polarisation — une fracture sociale — progresse dans plusieurs pays, et ce, des États-Unis à la France en passant par la Suède. Le Québec n’est pas en reste, même si notre société est plus paisible. Cela dit, plusieurs symptômes sont préoccupants. La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des stratégies pour diminuer cette polarisation.

Les Affaires a discuté de cette problématique d’actualité avec cinq membres du G15+, un groupe formé de leaders économiques, syndicaux, sociaux et environnementaux, alors que la présidentielle américaine bat son plein et que les Canadiens seront sans doute appelés aux urnes en 2025.

Il s’agit de Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie sociale, Denis Bolduc, secrétaire général de la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec (FTQ), Leïla Copti, présidente fondatrice de COPTICOM, Stratégies et Relations publiques, Colleen Thorpe, directrice générale d’Équiterre, et de Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec (CPQ).

Commençons par bien définir le concept de polarisation.

Bien entendu, plusieurs définitions existent. En revanche, celle proposée par le site science.lu, géré par le Fonds national de la recherche Luxembourg, a le mérite d’être claire et courte:

«La polarisation décrit simplement la séparation des opinions. Lorsqu’elle croît, les positions extrêmes prennent en importance, alors que les points de vue situés au centre s’érodent. On peut l’observer et l’étudier en politique, dans les médias, dans la société ou encore au niveau psychologique individuel.»

Trois types de polarisation

En fait, il existe trois grands types de polarisation :

  • La polarisation idéologique : elle fait référence à des positions politiques divergentes (gauche et droite, intervention de l’État ou libre marché, protectionnisme ou mondialisation, etc.).
  • La polarisation sociale : elle fait référence aux différents groupes sociaux qui se définissent davantage par leur identité (genre, orientation sexuelle, génération, origine, langue, religion, classe sociale, régions d’appartenance, etc.).
  • La polarisation affective : elle fait référence au fait d’avoir des sentiments positifs à l’égard d’un groupe représentant notre position ou négatifs envers des groupes opposés.

Un bel exemple de polarisation est la fracture sociale qui se creuse aux États-Unis entre les électeurs démocrates et républicains, selon une étude publiée en juin par le Pew Center Research.

En 1994, on comptait plus de républicains et de démocrates modérés qu’aujourd’hui.

Or, depuis, le chevauchement idéologique (au centre droit et au centre gauche) entre les deux partis a diminué. Aujourd’hui, 92% des républicains se situent à droite du démocrate médian, et 94% des démocrates se situent à gauche du républicain médian, selon cette étude.

Au Québec, nous observons aussi des fractures sociales, selon les membres du G15+ avec lesquels nous avons discuté.

On note par exemple une polarisation grandissante sur les gestes à poser pour réduire collectivement nos émissions de gaz à effet de serre (GES), certains citoyens étant beaucoup plus proactifs que d’autres, incluant les climatosceptiques.

Ottawa
Des activistes organisent une manifestation au début de la quatrième session du Comité de négociation intergouvernemental de l’ONU sur la pollution plastique à Ottawa, le 23 avril 2024. (Photo: Getty Images)

La crise du logement est très polarisante

La crise du logement crée aussi une fracture sociale, en ville comme en région, entre ceux qui peuvent facilement se loger (car ils en ont les moyens) et ceux qui peinent à se trouver un toit.

Même si le Québec est une société moins inégalitaire qu’on peut le croire (selon une étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’université de Sherbrooke), la montée des inégalités alimente la polarisation, selon les membres du G15+.

D’autres facteurs accentuent aussi une fracture sociale au Québec, dont le système de santé à deux vitesses, pour les biens nantis et pour le reste de la société. Ainsi, les premiers peuvent se faire soigner au privé, tandis que les seconds doivent se rabattre sur le système public.

C’est sans parler du système d’éducation à trois vitesses (école privée, école d’élite publique, école publique régulière). Ce système fait en sorte que les jeunes de différents milieux ne se croisent plus dans un lieu commun, créant ainsi des silos sociaux économiques.

On pourrait donner un autre exemple, plus difficile à mesurer, mais qui existe et progresse néanmoins: une sorte d’incompréhension culturelle, peut-être un mépris dans certains cas, entre les urbains et les ruraux.

Celles et ceux qui ont vécu à la ville et à la campagne la perçoivent.

Ce clivage existe du reste dans la plupart des pays, à commencer par les États-Unis, où, en plus, les démocrates ont plus tendance à être des urbains, tandis que les républicains vivent davantage en banlieue et à la campagne.

Des pistes de solution

Comme dans toutes les sociétés occidentales, l’individualisme est bien présent au Québec. Cela dit, nous sommes aussi en même temps une société où il existe depuis longtemps plusieurs forums de concertation, et ce, afin de trouver des terrains d’entente.

La Commission des partenaires du marché du travail en est un bel exemple. Elle regroupe des partenaires du monde des affaires, des syndicats, de l’éducation et des milieux communautaires, qui discutent d’enjeux touchant toutes les régions du Québec.

Ce forum favorise ainsi les décisions collectives, moins polarisantes.

Fondé en mars 2020, le G15+ est lui aussi un autre forum assez unique en son genre. Sa mission est de favoriser l’émergence d’un Québec solidaire, prospère et vert, et ce, pour aller «au-delà de la croissance du PIB et de la création d’emplois».

L’organisme a d’ailleurs produit une feuille de route, dont une dizaine de propositions visent justement à lutter contre la polarisation de la société québécoise.

  • Préparer les leaders actuels et futurs à comprendre les défis environnementaux et climatiques, tout en développant les compétences nécessaires pour la transition.
  • Favoriser l’égalité des chances en matière d’éducation.
  • Engager les entreprises et les travailleurs dans la transition écologique.
  • Établir des relations constructives avec les Premières Nations et les Inuits.
  • Promouvoir et favoriser la participation citoyenne.
  • Promouvoir l’inclusion sociale pour tous. 
  • Assurer un accès équitable aux arts et à la culture pour tous.
  • Renforcer la concertation régionale. 
  • Organiser des États généraux sur l’habitation en vue d’élaborer un plan national de sortie durable de la crise de l’habitation.

Ces propositions ne sont pas nécessairement une panacée. En revanche, elles contribuent à réduire la fracture sociale et les inégalités au Québec.

Pourquoi est-ce du reste si important de viser cet objectif, par exemple d’un strict point de vue économique?

Parce qu’une société moins fracturée et plus égalitaire crée généralement un climat d’investissement plus intéressant pour les entreprises nationales et étrangères.

Un dynamisme économique qui génère de nouvelles recettes fiscales qui permettent ensuite aux gouvernements de financer les programmes sociaux, incluant l’accès au logement, par exemple.

Bref, c’est un cercle vertueux.