Nous nous préparons peut-être à vivre une troisième tentative en moins de 100 ans avec les nouvelles velléités hégémoniques de la Russie, de la Chine, de la Corée du Nord et de l’Iran. (Photo: 123RF)
ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Une alliance militaire se reforme en Eurasie, rappelant le bloc communiste monolithique du début de la guerre froide, formé par l’ex-URSS, la Chine maoïste et la Corée du Nord. Aujourd’hui, cette alliance comprend la Russie, la Chine et la Corée du Nord, mais aussi le régime des mollahs en Iran. Ces pays posent et poseront une menace à la stabilité mondiale et aux activités des entreprises internationales dans un avenir prévisible.
Ce risque géopolitique est majeur pour les entreprises qui commercent ou qui investissent en Europe de l’Est, au Moyen-Orient et en Asie-Pacifique. Pourquoi ? Parce que ces quatre pays sont au cœur des principaux points de tension en Eurasie, soit la vaste plaque continentale qui regroupe l’Europe et l’Asie :
- L’invasion russe de l’Ukraine depuis février 2022 ;
- La guerre entre l’Iran (et ses serveurs mandataires) et Israël depuis le 7 octobre 2023 ;
- La volonté de la Chine d’annexer Taïwan (plus de 60 % de la production mondiale de semi-conducteurs et plus de 90 % de ceux de haute qualité), qu’elle considère comme une province renégate depuis 1949 ;
- La guerre larvée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud depuis la fin de la guerre de Corée (1950‑1953) — il y a un armistice, mais pas de traité de paix.
Ces quatre points de tension entraînent déjà des répercussions sur les prix et la disponibilité de certains produits et de certaines ressources naturelles (du pétrole aux denrées agricoles), mais aussi sur certaines chaînes logistiques, en augmentant les prix et les délais de transport.
Par exemple, la mer Rouge — par laquelle transite habituellement 12 % du commerce international — est pratiquement fermée en raison de la guerre entre Israël et les proxys de l’Iran, à commencer par les Houthis, au Yémen, qui y bombardent la marine marchande. Résultat : les navires passent désormais par le cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud.
Un ordre international contesté
Certes, la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran ne forment pas une alliance militaire formelle et cohérente comme les 32 pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), à laquelle participent le Canada et les États-Unis.
C’est sans parler de l’étroite collaboration entre les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie, au sein du Quadrilateral Security Dialogue (QUAD), afin de contrer la tentation hégémonique de la Chine dans la région.
Ou de l’alliance militaire AUKUS, qui regroupe l’Australie, le Royaume-Uni et États-Unis.
Cela dit, Moscou, Beijing, Pyongyang et Téhéran se concertent et partagent un même objectif : contester l’ordre international mis en place par les Américains au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Cet ordre repose sur l’Organisation des Nations unies (ONU), le droit international et le respect de la souveraineté nationale. Toutefois, les États-Unis ont bafoué ces principes en 2003, en envahissant l’Irak sous le prétexte que le régime de Saddam Hussein détenait des armes de destruction massive.
Pas d’alliance, mais une collaboration étroite
De plus, depuis la guerre en Ukraine, qui a détaché l’économie russe de l’Occident (hydrocarbures, technologues, flux financiers), les quatre puissances révisionnistes collaborent sur les plans militaire et économique.
La Chine vend des machines et des technologies à la Russie. L’Iran fournit des drones à l’armée russe pour bombarder l’Ukraine. La Corée du Nord a envoyé des missiles et, depuis peu, des troupes en Russie afin de l’aider à vaincre l’armée ukrainienne. La Russie vend de plus en plus son pétrole et son gaz naturel à la Chine.
Halford John Mackinder, homme politique britannique qui est souvent présenté comme le père de la géopolitique, estimait que qui domine l’île mondiale (l’Eurasie) domine le monde.
Les forces de l’Axe — l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et le Japon impérial — ont tenté de la contrôler durant la Deuxième Guerre mondiale, mais sans succès. Tout comme le bloc communiste, au début de la guerre froide, mais aussi sans succès.
À ces deux occasions, les États-Unis et leurs alliés ont résisté à ces visées hégémoniques.
Nous nous préparons peut-être à vivre une troisième tentative en moins de 100 ans avec les nouvelles velléités hégémoniques de la Russie, de la Chine, de la Corée du Nord et de l’Iran.
La Russie veut vaincre l’Ukraine pour l’avaler complètement ou en partie. La Chine veut annexer Taïwan. La Corée du Nord se désintéresse de la réunification et considère désormais la Corée du Sud comme un État hostile à abattre. Et l’Iran veut détruire l’État d’Israël.
Et si les puissances révisionnistes gagnaient ?
Si ces quatre régimes autoritaires atteignent un jour leurs objectifs, ils exerceront alors un pouvoir important en Eurasie, risquant de marginaliser l’Occident et leurs alliés en Europe, au Moyen-Orient et en Asie-Pacifique.
La démocratie et l’État de droit seraient en retrait dans le monde. Les chaînes logistiques seraient encore plus perturbées, à commencer par celle des semi-
conducteurs qui serait alors contrôlée par la Chine.
Si ces quatres puissances y arrivent un jour, nous vivrons dans un monde très différent, marqué par les guerres de conquête et l’autoritarisme, ainsi que dans une démondialisation du commerce international.