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John Plassard

Préparé pour le futur

John Plassard

Expert(e) invité(e)

Les taux d’intérêt commencent-ils à faire «mal»?

John Plassard|Publié le 29 juillet 2024

Les taux d’intérêt commencent-ils à faire «mal»?

(Photo: Getty Images)

EXPERT INVITÉ. Le 1er juillet dernier, dans une étude intitulée «Alerte sur la consommation américaine», nous indiquions que la consommation de la première économie mondiale était en train de ralentir poussant des enseignes telles que McDonald’s, 3M ou encore Newell Brands à adapter leurs prix face à la baisse de la consommation. Si on peut expliquer cela à cause d’une faiblesse des revenus disponibles, d’un taux d’épargne en recul et d’une utilisation excessive des cartes de crédit, aujourd’hui, c’est (enfin!) le haut niveau des taux d’intérêt qui commence à avoir des répercussions sur les consommateurs. Synthèse et analyse.

Les faits

Il y a une forte probabilité que nous nous dirigions vers un soft landing (un atterrissage en douceur) de l’économie américaine avec une poursuite de la baisse de l’inflation, une baisse mesurée (c’est-à-dire proche de 2%) de la croissance économique et un taux de chômage «maîtrisé».

C’est très important de le noter, car si cela se produit c’est extrêmement rare. Certains économistes estiment même que cela n’est arrivé qu’à une reprise en 1994-1995.

Bravo à la Fed serait-on alors tenté de dire (avec justesse). Mais si on y regarde de plus près, ce scénario hypothétique (aujourd’hui) arriverait en dépit des projets de la Fed.

En effet, en nous référant aux discours de la Fed de septembre 2022, le plan de l’institution monétaire américaine était de faire augmenter le taux de chômage, faire baisser les salaires et plonger les États-Unis dans une (légère) récession pour ralentir l’inflation.

Son moyen le plus efficace pour y arriver étant de monter les taux d’intérêt, ce qu’elle a fait d’une manière extrêmement violente en propulsant les Fed funds au — dessus de 5% depuis plus d’un an.

Seulement voilà, la récession tant attendue ne s’est pas matérialisée, la faute (grâce) notamment aux entreprises qui ont bloqué les taux d’intérêt bas et aux ménages qui ont bloqué des taux hypothécaires bas pendant la pandémie sur leur poste de dépense le plus important.

Cependant, il semble que l’effet tant attendu des taux d’intérêt élevés commence à se matérialiser…

Les premières preuves de l’effet de la hausse des taux

La lune de miel serait-elle bientôt finie entre les taux élevés et le consommateur? La question mérite d’être posée. En effet, le manque d’effet des taux élevés ne pouvait pas durer éternellement, puisque les consommateurs doivent emprunter de l’argent aux taux en vigueur, qui sont beaucoup plus élevés aujourd’hui qu’avant la crise de la COVID-19.

Les consommateurs continuent d’acheter des maisons, des voitures et d’autres articles à crédit, ce qui affecte lentement mais sûrement les finances des ménages.

Le Wall Street Journal vient de mettre en avant des graphiques qui parlent d’eux — mêmes.

L’excès d’épargne

De nombreux ménages ont dépensé une grande partie des économies accumulées pendant la pandémie. Selon Moody’s Analytics, les 10% des ménages les plus riches, soit ceux gagnant 245 000 dollars ou plus par an, détiennent plus des trois quarts des économies excédentaires.

Le paiement des cartes de crédit

Les ménages utilisent davantage les cartes de crédit et beaucoup maintiennent des soldes mensuels. Les soldes des cartes de crédit ont dépassé 1,1 millier de milliards de dollars au premier trimestre, en hausse d’un tiers par rapport à 2022. Le solde moyen par emprunteur est de plus de 6000 dollars, en hausse de près d’un quart depuis deux ans. Les taux d’intérêt des cartes de crédit sont à des niveaux records, atteignant environ 22% cette année contre 15% il y a deux ans, ce qui augmente rapidement les coûts pour les emprunteurs.

Les taux de défaut sur les cartes de crédit

Les emprunteurs sont de plus en plus nombreux à prendre du retard, en particulier ceux qui ont des soldes élevés. Les taux d’impayés pour les cartes de crédit ont dépassé les 3% au premier trimestre, le niveau le plus élevé depuis 2011, selon les données de la Fed. Selon la Fed de New York, environ un tiers des soldes des emprunteurs dont les cartes de crédit sont presque ou totalement épuisées sont en souffrance.

Consommateurs ayant des factures impayées

L’accession à la propriété est devenue une chimère pour de nombreux Américains qui n’ont pas acheté avant que les taux hypothécaires ne doublent en 2022. Les vendeurs potentiels sont réticents à abandonner leurs taux bas, ce qui limite les stocks et maintient les prix des logements à des niveaux record. Les locataires, quant à eux, sont plus nombreux que les propriétaires à ne pas rembourser leurs dettes.

Variation de la dette des prêts étudiants

Les Américains ont séparément accumulé des soldes sur le service «buy now, pay later», un produit de prêt fintech qui n’apparaît souvent pas dans les rapports de crédit. Plus d’un tiers des Américains ont utilisé au moins un service «buy now, pay later» (acheter maintenant, payer plus tard) à la caisse, selon les données de Bankrate.

Le remboursement des prêts étudiants fédéraux a repris à l’automne dernier, mais certains emprunteurs se trouvent dans une situation financière pire qu’avant la pause de deux ans. Selon le ministère américain de l’Éducation, environ 40% des emprunteurs n’ont pas effectué le premier paiement requis.

Crédit-bail et faillites

Depuis la pandémie, davantage d’emprunteurs ont du mal à rembourser leurs prêts auto, ce qui a entraîné une hausse historique des prix des voitures. Selon Moody’s Analytics, les radiations de prêts auto par les banques sont récemment au plus haut niveau depuis 2011. Les taux d’intérêt sur les prêts auto ont continué à augmenter, tout comme les coûts liés à l’assurance, à l’entretien et aux réparations des véhicules. De plus en plus d’emprunteurs doivent plus que la valeur de leur voiture, et les saisies de véhicules augmentent également, selon Edmunds et Cox Automotive.

Pour l’instant ça tient, mais attention à l’effet de levier!

Comme le rappelle Apollo dans une très intéressante note, l’effet de la hausse des taux n’est pas encore flagrant. En effet, l’enquête de l’Université du Michigan sur le moral des consommateurs montre qu’un taux record de 30% de la population possède des actions d’une valeur supérieure à 500 000 dollars et que 37% sont propriétaires d’une maison d’une valeur supérieure à 500 000 dollars (voir les graphiques ci-dessous).

Il est remarquable que ces gains de richesse pour le secteur des ménages aient eu lieu alors que la Fed augmentait les taux d’intérêt.

En définitive, l’effet de levier sur les dépenses de consommation des propriétaires et des détenteurs d’actions est important, en particulier lorsqu’il est combiné à des flux de trésorerie record provenant des revenus fixes.

Si aujourd’hui, les actifs des Américains dépassent leur dette (le ratio dette/valeur nette n’a pas été aussi bas depuis les années 1970 — bref, les ménages américains

n’ont jamais été aussi riches), il ne faudrait surtout pas qu’ils perdent leur emploi (en d’autres termes il faut surveiller l’emploi américain comme le lait sur le feu bien plus que l’inflation).

Synthèse

Les effets négatifs de la hausse des taux d’intérêt aux États-Unis commencent enfin à se faire ressentir pour les consommateurs américains. Cependant, grâce à sa

«richesse», il est peu probable que cela se transforme en une récession. Contrairement à ce que l’on pense, la clé à ce problème n’est pas le niveau de l’inflation, mais de l’emploi. Les prochains chiffres (ce vendredi!) seront à surveiller comme le lait sur le feu…