Le revirement total de la politique européenne sur l’agriculture
Le courrier des lecteurs|Publié le 09 août 2024Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne (Photo: Getty Images)
Bill Wirtz est analyste de politiques publiques à l’Agence pour le choix du consommateur, où il couvre l’agriculture et la politique commerciale.
COURRIER DES LECTEURS. La nouvelle Commission européenne, l’organe exécutif de l’Union européenne, aura pour mission de «simplifier» la réglementation agricole au sein de l’Union. «La Commission prend des mesures fortes et rapides pour soutenir nos agriculteurs à un moment où ils sont confrontés à de nombreux défis et préoccupations», explique la présidente en exercice de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui cherche actuellement à être confirmée pour un second mandat par le Parlement européen. Ce que la politicienne allemande appelle les «mesures de simplification» sont essentiellement des efforts de déréglementation liés aux paiements directs, ou subventions agricoles. À la suite de manifestations massives d’agriculteurs cette année, l’Union européenne a revu à la baisse la plupart de ses ambitions en matière de réformes agricoles, quatre ans seulement après que cette même Commission les ait présentées en fanfare.
Lors de la précédente élection européenne, en 2019, l’Europe était à la hauteur de ses ambitions environnementales. Quatre ans après la conclusion des Accords de Paris sur le climat de 2015, l’Europe entendait devenir une référence en matière de protection de l’environnement, en réformant radicalement les systèmes agricoles. Cela signifiait une plus grande surveillance des pratiques agricoles, une réduction drastique de l’utilisation des pesticides, une diminution des engrais, une réduction de l’utilisation des terres agricoles pour permettre une plus grande biodiversité, ainsi qu’une augmentation massive de la production d’aliments biologiques.
Au cours de la première année de présentation de ces plans, peu d’opposition s’est manifestée. L’Europe et le monde se trouvaient au milieu d’une pandémie mondiale, les représentants des agriculteurs évaluent soigneusement le sérieux de la Commission à propos de ces plans, et étant donné le succès des partis écologistes aux élections de 2019, il semblait que cette stratégie, baptisée «De la ferme à la fourchette», était la suite logique d’une tendance politique. Pendant des mois, la Commission n’a même pas pris la peine de publier une analyse d’impact. Lorsque l’USDA a publié une évaluation indépendante en novembre 2020, selon laquelle Farm to Fork augmenterait les prix des denrées alimentaires, réduirait les exportations européennes et diminuerait la production agricole globale de 7 à 12%, elle n’a guère retenu l’attention.
Ce sont d’abord les manifestations d’agriculteurs aux Pays-Bas, puis en Allemagne, en France et dans le reste de l’Europe pendant la majeure partie de cette année qui ont attiré l’attention des décideurs politiques sur la question. Il s’est avéré que bon nombre des objectifs déclarés du programme « De la ferme à la fourchette » étaient de nature politiques et peu scientifiques.
Prenons l’exemple de la réduction de 50 % des pesticides d’ici à 2030. L’Europe pratique de loin l’un des régimes réglementaires les plus stricts pour les produits phytopharmaceutiques, grâce à l’utilisation du principe de précaution. Certains produits chimiques, comme le glyphosate, doivent être autorisés par le Conseil européen malgré les évaluations de sécurité fournies par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). L’objectif de durabilité visé par l’objectif de 50 % n’est pas clair: les produits chimiques sont-ils nocifs pour la santé humaine? Pas dans la manière dont ils sont actuellement utilisés, affirme le régulateur. Cela a contrarié les agriculteurs, car au lieu de proposer une alternative viable et abordable aux produits chimiques en question, la Commission a fait valoir que les agriculteurs pouvaient choisir des alternatives biologiques.
Cependant, le bio ne représentant qu’une petite fraction, moins de 10 %, des décisions d’achat des consommateurs européens, les agriculteurs étaient confrontés au risque précaire de ne pas trouver d’acheteurs pour leurs produits, en plus du fait que les coûts de mise en conformité pour les produits biologiques étaient encore plus élevés que ceux auxquels ils étaient déjà confrontés.
Tous ces facteurs, combinés à la pénurie d’engrais et d’aliments pour le bétail, ainsi qu’à la pression exercée par les détaillants sur les prix d’achat de tous les produits agricoles à la demande des gouvernements européens, ont rendu la situation intenable pour les producteurs.
Les frustrations sont grandes pour les agriculteurs européens, car depuis des décennies, chaque nouvelle charge réglementaire est résolue par l’argent. Êtes-vous concerné par l’interdiction d’un produit phytosanitaire et donc par la baisse des rendements? Et si nous vous accordions davantage de subventions?
S’il est compréhensible que l’on puisse gouverner ainsi pendant un certain temps, cela témoigne d’une incompréhension fondamentale de l’activité agricole. Les agriculteurs ne sont pas intéressés par un modèle d’entreprise qui les maintient à flot grâce à des fonds publics, et les consommateurs recherchent davantage de transparence. Quel est le prix réel des denrées alimentaires, alors qu’elles augmentent dans les supermarchés ET qu’elles sont fortement subventionnées, puisque 30 à 40% du budget total de l’Union européenne sont consacrés aux subventions agricoles?
L’UE a parcouru un long chemin depuis les ambitions de 2019. Les dernières mesures de simplification signifient que les agriculteurs sont soumis à moins de contrôles sur leurs déclarations environnementales pour accéder aux subventions, le règlement sur la réduction des pesticides a été complètement supprimé et la Commission travaille activement à l’autorisation des cultures génétiquement modifiées sur le marché européen, une mesure qu’il aurait été impossible de faire passer il y a seulement quelques années. Le ton a changé à Bruxelles. Il n’est plus question de réduire les terres agricoles, mais d’augmenter les rendements grâce à l’innovation.
Pendant des années, mes amis nord-américains ont considéré l’Europe comme l’exemple même de la bonne gouvernance en matière d’environnement et d’agriculture. J’aimerais bien qu’ils me disent de quelle Europe il s’agit exactement, car les dirigeants des dernières élections ont certainement changé d’avis.