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Jean-Martin Aussant

La grande transformation

Jean-Martin Aussant

Expert(e) invité(e)

La Bourse comme un miroir davantage qu’un guide

Jean-Martin Aussant|Édition de la mi‑novembre 2024

La Bourse comme un miroir davantage qu’un guide

(Photo: Adobe Stock)

EXPERT INVITÉ. On pourrait dire que l’indice boursier le plus influent du monde est le S&P 500, qui représente les principales entreprises cotées aux États-Unis. Cet indice peut parfois sembler détaché de l’économie réelle aux vues de ses valorisations élevées même en période de ralentissement économique.

De façon plus « macro », il demeure toutefois connecté à son époque et à ses valeurs. Mais en est-il la cause ou la conséquence ?

Si l’on passe les décennies en revue à travers la loupe du S&P, on constate que les entreprises dominantes à chaque époque étaient intimement liées aux grands enjeux et aux grandes priorités du moment et que les valeurs sociétales ont en quelque sorte influé sur les tendances d’investissement, tout comme les secteurs d’avenir et même les profils de leadership des entreprises.

Ainsi, au-delà des rendements financiers comme tels, le S&P 500 peut être vu comme un miroir de la société qu’il a couverte depuis sa création dans les années 1950 (sous sa forme actuelle de 500 titres).

Au début, l’essor de l’industrie manufacturière

Les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale ont été marquées par un fort optimisme envers la grande industrie et une confiance quasi inébranlable à l’égard de la croissance manufacturière.

Des noms tels que General Motors (GM, 53,47 $ US), Ford
(F, 10,57 $ US), et General Electric (aujourd’hui rebaptisée GE Aerospace [GE, 184,81 $ US]) trônaient alors au sommet des capitalisations boursières du S&P 500.

Les valeurs patriotiques d’après-guerre s’exprimaient entre autres par la production de masse des secteurs de l’automobile, de l’acier et des infrastructures. Ces secteurs constituaient des piliers de productivité, mais aussi de stabilité économique. Fait important, les années 1950 et 1960 ont par ailleurs couronné les biens de consommation comme symbole ultime de réussite sociale et d’atteinte du « rêve américain » modernisé.

À cette époque, c’est donc une société fière de sa supériorité de production et de son niveau de consommation que le S&P 500 représentait avec ses grandes entreprises.

Vint ensuite l’âge de la consommation par la finance

C’est vers les années 1980 que les entreprises du secteur financier ont effectué une montée en puissance et, avec elles, l’avènement de la consommation à crédit. Les niveaux d’endettement des ménages ont bien sûr bondi avec le changement de mentalité et l’accessibilité à du financement facile.

Ces années ont vu en parallèle l’émergence d’entreprises comme Walmart (WMT,
83,47 $ US) et certains géants de la finance, incluant ce qui deviendrait plus tard la plus grande banque du monde, JPMorgan Chase & Co (JPM, 221,05 $ US).

Contrairement à aujourd’hui, où le modèle de croissance économique sans fin est remis en question, c’était une époque centrée sur la croissance rapide, la consommation personnelle et un encouragement sans complexe de l’individualisme économique.

La confiance envers le potentiel des marchés financiers était inébranlable et le S&P 500 reflétait encore ici les valeurs de son époque, soit l’ambition et la mobilité sociale, la compétitivité interpersonnelle et la réussite matérielle comme mesure de succès.

Ainsi, les titres dominants de cette époque provenaient des services financiers, du commerce de détail et des biens de consommation en général. C’était l’âge d’or des Coca-Cola (KO, 65,04 $ US), Procter & Gamble (PG, 165,70 $ US) et McDonald’s (MCD, 295,90 $ US) de ce monde.

Quand la technologie prend toute la place

Avec le virage technologique accéléré de la fin des années 1990 et du début des années 2000, on a vu l’arrivée en scène de mastodontes comme Microsoft (MSFT,
422,54 $ US) et Apple (AAPL, 222,95 $ US), suivis quelques années plus tard de Google (maintenant Alphabet [GOOGL, 178,35 $ US]) et Amazon (AMZN, 208,18 $ US).

La consommation personnelle demeurait toujours une valeur importante, mais à cela s’ajoutait un désir d’innovation et de rapidité, entre autres sur le plan de l’information. C’était la New Economy, où les technologies allaient faire disparaître une grande partie de l’économie traditionnelle.

Certaines prédictions se sont avérées exagérées (par exemple, la disparition annoncée du papier), mais la révolution numérique a bel et bien transformé nos sociétés. Les entreprises dominantes incarnaient alors ce désir d’innovation constante et de connectivité totale. Le S&P 500 et ses grands titres étaient donc encore ici fidèles aux valeurs du moment liées à l’information quasi infinie et à la connaissance démocratisée.

Le S&P 500 des années récentes

De nos jours, des éléments comme le développement durable, l’équité et la mouvance ESG (facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance) sont devenus incontournables à la suite de la prise de conscience d’un nécessaire changement de cap économique.

Le virage écologique a certainement ses porte-étendards au sein du S&P 500, avec Tesla (TSLA, 253,40 $ US) comme chef de file de l’électrification des transports et de la production d’énergie verte (bien qu’on puisse se questionner sur les valeurs éthiques de son patron).

Plusieurs des plus grandes capitalisations de l’indice insistent d’ailleurs aujourd’hui sur leurs politiques ESG. Clairement absentes de l’équation quelques décennies auparavant, les sensibilités envers une certaine conscience écologique et une plus grande équité sociale sont maintenant centrales à plusieurs choix économiques, surtout pour les plus jeunes générations.

Le mouvement en faveur du Triple Bottom Line (personnes, planète et profits), qui suggère d’ajouter des bulletins environnemental et social aux simples états financiers d’une entreprise, transformera à nouveau un indice qui, à ses débuts, visait davantage la performance purement économique sans égards aux engagements éthiques.

Espérons qu’il pourra ainsi témoigner d’un avenir pas trop lointain où des valeurs sociales et écologiques seront essentielles à la réussite financière. Nous en avons bien besoin.