«Les conseillers aux communications des syndicats oublient l’aspect «conseil» pour redorer l’image que leur organisation projette.» (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Je viens de Granby, une merveilleuse petite ville d’un peu moins de 70 000 habitants, se situant à environ 75 minutes au sud de la grand’ville de Montréal, comme l’appelle mon père.
Pour ce dernier, comme pour beaucoup d’autres granbyens, Montréal est la ville des péchés et la ville de la criminalité. Aujourd’hui, comme il y a 30 ans, Montréal se classe au premier rang de la criminalité au Québec. Granby se classe dorénavant au dixième rang des villes criminalisées. Mais ça, mon père ne l’a jamais vu et ne le voit pas encore puisque tous les yeux et les médias sont braqués sur la grand’ville.
Quand j’avais 10 ans, Montréal me faisait peur, mais Montréal me fascinait aussi. Les médias écrits ou télévisés de l’époque tablaient sur le sensationnalisme des homicides, des assauts, des motards, des gangs de rue et du trafic de drogue. Quand on parlait de Montréal, ce n’était jamais pour les bonnes raisons, et la réalité n’a que très peu changé aujourd’hui. Quels ne furent pas la surprise, la crainte et les commentaires de mon père quand je lui annonçai en 2002 que je passais le pont Champlain et déménageais à Montréal pour entreprendre mes études universitaires.
Toute sa vie, mon père s’est fait une idée de la grand’ville uniquement à partir de ce qu’il voyait à la télévision et lisait dans son journal. C’est encore vrai aujourd’hui, à l’exception que je suis-là pour tempérer ses idées et ses croyances.
Parlant de croyances, connaissez-vous le biais de la représentativité? C’est un biais cognitif qui se manifeste par un raccourci mental qui consiste à porter un jugement à partir de quelques éléments qui ne sont pas nécessairement représentatifs. Nous fondons ainsi notre jugement et nous avons tendance à prendre une décision à partir d’un nombre limité d’éléments que l’on considère comme représentatifs d’une population beaucoup plus large. Par extension à ce phénomène psychologique, nous retrouvons aussi le biais de négativité qui est la tendance à donner plus de poids aux informations et aux expériences négatives qu’aux positives et à s’en souvenir davantage.
Interprétation
Dans le merveilleux monde du travail, ces biais cognitifs sont très présents et influents. Toutefois, ce n’est pas parce qu’ils sont présents que nous les comprenons, et ce n’est pas parce que nous les comprenons que la population les comprend. Comme vous et moi, si nous nous intéressons peu ou prou à un sujet, ou bien si nous ne comprenons ni les tenants ni les aboutissants d’un sujet ou d’un conflit, eh bien, nous l’interprétons d’abord de la façon dont les médias nous le présentent, et ensuite, nous nous faisons une tête sur celui-ci à partir de nos propres expériences et compréhension du monde. Je ne vous cacherais pas que moins nous en savons sur un sujet, auquel nous sommes fréquemment exposées, les biais cognitifs ci-haut mentionnés deviennent très puissants.
C’est ainsi que le citoyen lambda pense et réagit devant le syndicalisme, et plus précisément devant les syndicats, à leurs demandes, à leurs menaces de déclenchement de grèves, et devant leurs nombreuses grèves. Lorsque l’on connait peu la mécanique, on se fit et ne s’arrête que sur ce qui nous est présenté, et présentement, c’est horrible.
Mon père, comme tout citoyen moyen, ouvre son journal et ne voit que des prises de bec, des menaces, et des conflits qui perdurent. Si ce n’est pas les syndicats des débardeurs qui annoncent qu’ils sont prêts à se mobiliser si Ottawa refuse de s’engager à éviter le recours à l’arbitrage exécutoire comme dans le conflit les opposant au Canadien National et au Canadien Pacifique, c’est le syndicat des pilotes d’Air Canada qui se prépare à la grève. Si ce n’est pas le conflit qui oppose la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec avec le gouvernement de la CAQ, ce sont les établissements hôteliers qui perturbent l’industrie avec leurs piquetages. Si ce n’est pas le conflit qui sévit au Zoo de Granby, c’est celui qui se déroule présentement du côté des traversiers. Si ce n’est pas les multiples conflits qui sévissent présentement dans les bibliothèques du Québec, ce sont ceux qui s’organisent et se déploient chez les cols bleus dans plusieurs municipalités. Et la liste se poursuit…
Travailler sur l’image
Que l’on aime les syndicats ou non, et que l’on comprenne les problématiques ou non, il est difficile pour le citoyen de se faire une idée positive du syndicalisme, surtout en étant constamment exposé à ce que certains médias passent en boucle.
Selon les données rendues publiques par le ministère du Travail, en date du 26 aout 2024, 132 arrêts de travail ont été recensés depuis le début de l’année. Certaines de ces grèves et certains de ces lock-out se sont réglés, mais à ce jour, on dénombre encore 52 conflits de travail, soit 48 grèves, 2 lock-out et 2 grèves/lock-out, touchant directement 15 818 employés syndiqués du secteur privé et du secteur public.
C’est bien peu comparativement aux 322 conflits recensés en 2023. Mais ça, le citoyen moyen ne le voit pas. Il constate juste que ça semble aller mal partout, et que la faute revient au syndicat. La question n’est pas de savoir si c’est vrai ou non puisque les médias ne s’attardent pas sur cet aspect. Si les employés syndiqués sont en grève, ça doit être parce que leur syndicat leur a demandé. C’est très réducteur comme conclusion, mais c’est la conclusion à laquelle arrivent beaucoup de citoyens.
Ce n’est pas à moi de les convaincre, puisqu’ils doivent le savoir depuis toutes ces années, mais les syndicats doivent travailler sur leur image, et surtout sur leur image de marque.
Au même titre qu’un employeur mise sur l’appréciation de son image et de sa marque aux yeux du public, de façon générale, et aux yeux des chercheurs d’emplois et des employés de façon plus spécifique, pour être un employeur de choix.
La perception n’est peut-être pas la réalité, mais elle l’est aux yeux de monsieur et madame Tout-le-Monde. Les employeurs l’ont compris depuis belle lurette; le gouvernement le sait depuis toujours; mais qu’en est-il des organisations syndicales?
J’ai parfois l’impression que les conseillers aux communications des syndicats font des communications, mais ils qu’ils oublient l’aspect «conseil» pour redorer l’image que leur organisation projette.