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Jean-Philippe Legault

Entre les lignes

Jean-Philippe Legault

Expert(e) invité(e)

En Bourse comme sur Facebook

Jean-Philippe Legault|Mis à jour le 05 juillet 2024

En Bourse comme sur Facebook

Le prix que j’ai affiché pour ma voiture était clairement trop bas. Unanimement, les acheteurs l’avaient réalisé. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Après plusieurs années de fier service, je me suis finalement départi de ma rutilante Honda Civic 2007 de couleur «rouille». Étant donné le piteux état de ma voiture, j’ai décidé d’afficher mon véhicule, sans trop de recherche, à un prix modique sur la plateforme Marketplace de Facebook.

Dès la mise en ligne de mon annonce, j’ai reçu plusieurs messages d’acheteurs intéressés. En l’espace de cinq minutes, j’avais reçu pas moins de 20 demandes. Les acheteurs se bousculaient et me relançaient sans cesse. J’étais étourdi et ne savais plus à qui répondre. J’ai alors mis quelques acheteurs en compétition et réussi à vendre ma voiture 300$ plus cher que le prix affiché! Trois heures suivant la publication de mon annonce, la voiture n’était plus dans mon entrée.

À la suite de cette transaction, l’algorithme «intelligent» de Facebook n’a cessé de me présenter des Honda Civic 2007 dans mon fil d’actualité Marketplace. C’est ainsi que j’ai revu, deux semaines plus tard, ma voiture en vente et affichée à 1500$ de plus que le prix que j’avais vendu! Malgré ce manque à gagner, je dois avouer avoir trouvé l’expérience de vente intéressante, puisque j’y ai vu plusieurs parallèles avec le monde de l’investissement. En voici trois.

L’urgence d’agir

La grande erreur que j’ai commise est d’avoir agi avec empressement. À la suite de la quantité impressionnante de demandes reçues en peu de temps, j’aurais dû prendre un pas de recul et retirer mon annonce. Cela m’aurait permis de réévaluer la situation et d’ajuster mon prix. J’aurais probablement réalisé que le prix affiché était trop bas.

Les investisseurs boursiers ont souvent cette vilaine manie d’agir avec urgence. Prenons l’exemple d’un titre qui baisse sensiblement après la publication de résultats financiers. Un investisseur pourrait être tenté d’acheter rapidement par crainte de voir le titre remonter ou de le vendre par crainte qu’il ne baisse davantage. Je crois toutefois que la bonne chose à faire est de prendre son temps.

Dans notre cabinet, nous prenons le temps de remplir nos fiches internes, de lire les communiqués et les conférences téléphoniques tout en discutant des éléments importants avec l’ensemble de l’équipe d’investissement avant de faire quoi que ce soit avec un titre. Nous privilégions une approche méthodique et complète. Comme le démontre bien mon histoire, agir sous pression, en urgence, peut mener à des erreurs.

Rester à l’intérieur de son cercle de compétence

Nos clients détiennent des actions d’un des plus importants concessionnaires de véhicules usagés aux États-Unis. Par conséquent, je comprends bien la dynamique du marché des véhicules usagés. Toutefois, je suis loin d’être un expert dans l’évaluation du prix d’un véhicule en fonction de son modèle, de sa mécanique et de son kilométrage. Je peux difficilement expliquer pourquoi deux véhicules similaires se vendent à des prix différents.

Or, dans cette transaction, j’ai été confronté à des acheteurs beaucoup plus aguerris que moi. Il m’était donc difficile de gagner puisque mes connaissances du secteur étaient inférieures. Pour être à leur niveau, j’aurais eu à faire plus de recherche et de comparaisons de prix avant d’afficher mon véhicule.

En investissement, il est important de demeurer à l’intérieur de son cercle de compétence. Dans mon cas, il y a des secteurs où je comprends mieux les risques et le potentiel de croissance des sociétés qui y évoluent. C’est dans ces secteurs que je suis plus susceptible de découvrir des occasions d’investissement. Je crois donc qu’il est préférable de concentrer ses énergies dans les secteurs où nous sommes confortables et d’éviter ceux où nos connaissances sont inférieures. Si l’on décide tout de même de s’y aventurer, il faudra certainement y mettre beaucoup d’efforts et de temps afin de bien étudier le dossier. En résumé, vous augmentez vos chances de perdre si vous vous aventurez dans un secteur que vous connaissez peu.

Une science imparfaite

Le prix que j’ai affiché pour ma voiture était clairement trop bas. Unanimement, les acheteurs l’avaient réalisé. Toutefois, je suis persuadé que les réponses auraient été très variées si j’avais pu demander à tous ces acheteurs quelle était la valeur précise de mon véhicule.

Ce parallèle existe en Bourse. Si je demande à 20 investisseurs d’évaluer la valeur du titre de Visa, je risque d’obtenir une vingtaine de réponses divergentes, parfois très divergentes.

En Bourse, il est impossible d’évaluer une entreprise avec précision. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous n’avons jamais vraiment cru aux modèles financiers hypercomplexes. L’expérience acquise dans un certain domaine, la comparaison entre les différents compétiteurs, la compréhension des risques et du potentiel à long terme sont tous des facteurs qui aident à mieux évaluer une société en Bourse.

Le point important à retenir est qu’il faut se ménager une bonne marge de sécurité lors de l’achat d’un titre. De cette façon nous réduisons considérablement le risque d’un investissement et d’une erreur dans son évaluation.

Celui qui a acheté ma voiture avait-il besoin de connaître sa valeur précise? Je ne crois pas. Grâce à une bonne marge de sécurité et à un cercle de compétence bien défini, cet acheteur a réussi à gagner quelques centaines de dollars sur mon dos. Bravo Julien!