Acheter au sommet et autres biais d’ancrage psychologique
Philippe Leblanc|Édition de la mi‑novembre 2024(Photo: Adobe Stock)
EXPERT INVITÉ. Parmi les biais psychologiques auxquels fait face l’investisseur, l’ancrage est peut-être l’un des plus répandus. En investissement, l’ancrage est un biais cognitif par lequel un investisseur base ses décisions de placement sur une information ou un point de référence.
Ces biais liés à l’ancrage sont susceptibles d’affecter la majorité des investisseurs, y compris l’équipe d’investissement de COTE 100. Il est donc essentiel de bien les comprendre, de les détecter et, dans la mesure du possible, de s’en prémunir.
Plusieurs types d’ancrages
Il existe plusieurs types d’ancrages, tous aussi pernicieux et coûteux pour l’investisseur. Voici quelques exemples que j’ai pu observer au fil des ans, y compris chez nous.
Le type d’ancrage le plus courant provient du coût par action d’un titre que vous détenez, c’est-à-dire sa valeur comptable. Dans ce cas, deux situations opposées peuvent influencer les décisions.
La première est celle où le coût des actions est sensiblement plus élevé que le cours actuel d’un titre, par exemple si vous possédez un titre qui a perdu 50 % de sa valeur depuis votre achat initial.
Dans une telle situation, il peut être très difficile de vendre ce titre, car cela reviendrait à admettre que vous avez commis une erreur. De plus, des études ont prouvé qu’une perte monétaire est deux fois plus douloureuse qu’un gain équivalent. Or, tant que nous n’avons pas vendu le titre, la perte demeure « théorique ».
Combien d’investisseurs attendent-ils de récupérer leur mise initiale avant de vendre ? Qui a dit qu’un titre devait obligatoirement rebondir à votre coût d’acquisition ?
La deuxième situation concerne un titre qui affiche une forte appréciation par rapport à son coût comptable. Dans le portefeuille de la Lettre financière COTE 100, nous possédons des actions de Copart (CPRT, 52,97 $ US), un titre qui affiche un gain de plus de 1100 % par rapport à notre coût comptable. La vente partielle ou complète de ce titre produirait donc un gain substantiel et une facture fiscale considérable. Dans de telles conditions, la décision de vendre pourrait être influencée par la valeur comptable.
Je me souviens très bien qu’à la fin des années 1990, nous avons attendu quelques années avant de vendre nos actions de Bombardier (BBD.B, 101,24 $), notamment parce que le titre s’était fortement apprécié par rapport à notre coût, et qu’une vente aurait entraîné une lourde facture fiscale.
Une autre forme d’ancrage concerne les titres que nous ne possédons pas en portefeuille, mais que nous pourrions envisager comme nouveaux investissements. Il est difficile de prendre en compte un titre qui a fortement augmenté depuis notre dernière analyse. Ce biais m’affecte souvent dans ma prise de décision.
Prenons l’exemple de Costco (COST, 889,39 $US), un titre que j’ai analysé à maintes reprises dans le passé. En consultant mes notes, je constate que je l’ai examiné en mars 2020, en plein milieu de la débâcle des marchés boursiers due à la pandémie de COVID-19.
À ce moment, le titre se négociait à 305 $ US. Aujourd’hui, il vaut près de trois fois plus. Avant même d’examiner les données fondamentales de la société, il est évident que j’aborde le titre « à reculons », car je suis influencé par le cours de 305 $ US que j’ai gardé en mémoire.
Un autre écueil lié à l’ancrage est l’hésitation à acheter un titre qui atteint un sommet historique. En effet, le même ancrage peut s’appliquer à une décision d’investir dans le marché boursier lorsque les indices battent des records. C’est actuellement le cas tant pour les marchés boursiers nord-américains que pour de nombreux titres.
Pourtant, il convient de se rappeler que les marchés boursiers sont, ni plus ni moins, « condamnés » à battre constamment de nouveaux records. Cela est tout aussi vrai pour les titres de sociétés de qualité.
Comment contrer ces biais ?
Il est impossible d’éliminer les biais d’ancrage dans nos décisions. Cependant, la première étape consiste à les reconnaître et à admettre que plusieurs d’entre eux influencent nos choix. La deuxième étape est de tenter d’en faire abstraction dans toutes les décisions d’investissement que nous prenons.
Je crois que certaines habitudes ou méthodes de travail peuvent aider en ce sens.
- Faire abstraction de la valeur comptable de vos titres (éliminez cette donnée du fichier Excel de votre portefeuille !) ;
- Évaluer le titre d’une société en fonction de ses données fondamentales actuelles et de l’information dont nous disposons aujourd’hui ;
- Considérer les diverses options d’investissement qui se présentent à nous et comparer leur potentiel de rendement ainsi que leur niveau de risque ;
- Discuter de l’idée d’investissement avec une personne bien informée et objective. Cette personne pourrait jouer le rôle de l’avocat du diable pour vous inciter à considérer les risques ;
- Documenter vos décisions.