Photo: Bloomberg
ANALYSE - Les tensions sont toujours vives entre la Russie et l'Occident à propos de l'Ukraine, où les affrontements se multiplient dans l'est du pays entre l'armée ukrainienne et les forces séparatistes, soupçonnées d'être soutenues par Moscou. Difficile de dire avec certitude comment finira cette crise. Mais l'un des scénarios pourrait être la «finlandisation» de l'Ukraine.
En Occident, l'expression «finlandisation» fait référence au statut de neutralité adopté par la Finlande durant la Guerre froide. Comme ce petit pays nordique était un voisin de l'ex-Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), il n'a adhéré à aucun des deux blocs qui s'affrontaient en Europe. Aussi, la Finlande, un pays capitaliste et démocratique, n'était pas membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) qui faisait face au Pacte de Varsovie, l'alliance regroupant des pays socialistes d'Europe centrale et de l'est, satellites de l'ex-URSS.
Ce statut de neutralité a fait en sorte que la Finlande a pu continuer de commercer et d'avoir des relations diplomatiques cordiales à la fois avec les États-Unis (et leurs alliés) et l'ex-URSS (et ses alliés).
Cette solution pourrait bien être la sortie de crise en Ukraine, estiment certains observateurs, dont Pierre Fournier et Angelo Katsoras, analystes en géopolitique à la Financière Banque Nationale, dans une récente note sur la crise en Ukraine.
Pour la Russie, il est impensable que l'Ukraine devienne un jour un pays allié proche de l'Occident, et encore moins un membre en règle de l'OTAN, comme les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), la Bulgarie et la Roumanie.
Comme nous l'expliquions dans une récente analyse, c'est l'enjeu sous-jacent à cette crise politique qui ébranle l'Ukraine depuis des mois: dans quelle sphère d'influence évoluera l'Ukraine, celle de l'Union européenne ou celle de la Russie?
Moscou veut garder l'Ukraine dans sa sphère d'influence, car le gouvernement russe veut mettre sur pied une union douanière - qui pourrait devenir un jour une union économique - qui regrouperait la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie. Il va sans dire qu'une Ukraine ancrée à l'Ouest marginaliserait la Russie en Eurasie.
Les intérêts de la Russie vont donc directement à l'encontre de ceux de beaucoup d'Ukrainiens - dans l'ouest et le centre du pays - qui souhaitent que leur pays joigne un jour les rangs de l'Union européenne, sans parler de l'OTAN.
C'est pourquoi la «finlandisation» de l'Ukraine est peut-être une option de compromis pour mettre fin à cette crise. Bref, l'Ukraine deviendrait un pays neutre, comme la Finlande. Elle ne serait ni membre de l'OTAN ni membre de l'UE (la Finlande, elle, fait partie de l'UE depuis 1995, alors que la Guerre froide était terminée), mais elle pourrait développer des relations commerciales et diplomatiques avec l'Occident.
Dans ce scénario, la Russie devrait aussi en contrepartie accepter que l'Ukraine ne fasse partie de son union douanière - et un jour économique. Ce qui n'empêcherait pas les deux pays de continuer à développer leurs relations économiques et diplomatiques.
La «finlandisation» de l'Ukraine est-elle une bonne solution? Probablement pas pour les Ukrainiens tournés vers l'Ouest et les Ukrainiens russophones tournés vers l'Est. Mais dans les circonstances, c'est sans doute un moindre mal afin d'éviter un démembrement de l'Ukraine et les risques du déclenchement d'une guerre régionale en Europe que pourrait provoquer la partition (après la sécession de la Crimée) de ce pays de 45 millions d'habitants.
