Pourquoi la Russie ne coupera pas le gaz à l'Europe

Publié le 04/04/2014 à 16:10

Pourquoi la Russie ne coupera pas le gaz à l'Europe

Publié le 04/04/2014 à 16:10

Par François Normand

ANALYSE - Les tensions demeurent vives entre la Russie et l'Europe à propos de la Crimée. Moscou brandit même l'arme gazière pour tenter d'influencer les pays européens, dont plusieurs dépendent des importations russes de gaz naturel. Mais la Russie ne fermera pas le robinet, car le gouvernement russe ne peut tout simplement pas se priver des recettes gazières.

L'Europe et la Russie sont en fait «dans une dépendance mutuelle», selon le ministre allemand de l'Énergie, Günther Oettinger. «L'Union européenne a besoin du gaz russe et la Russie a besoin de l'argent du gaz pour son économie. Le budget russe en dépend», soulignait-il récemment au sortir d'une réunion à Bruxelles avec ses homologues européens, dont Le Monde rapportait les propos.

Voici quelques statistiques éloquentes. Plus de la moitié des revenus de Gazprom, le géant gazier russe, provient de ses clients en Europe. En 2012, les revenus gaziers et pétroliers ont compté pour 52% du budget du gouvernement fédéral russe, selon la firme de consultants PFC Energy, spécialisée dans les hydrocarbures. Enfin, le gaz naturel et le pétrole représentent plus de 70% des exportations totales de la Russie.

Moscou et Gazprom ont donc beaucoup moins de marges de manoeuvre que l'on pourrait croire pour faire pression sur les Européens. Cela dit, plusieurs pays de l'Union européenne sont très dépendants des approvisionnements russes, ce qui les met dans une situation délicate, soulignent les analystes.

En Europe, les principaux acheteurs du gaz russe sont l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni. Et ils dépendent de plus en plus de la Russie pour leurs approvisionnements. Selon la Commission européenne et Gazprom, le géant énergétique russe a acheminé 133 milliards de mètres cubes de gaz vers l'Union européenne en 2013, soit un bond de 16,2% par rapport à l'année précédente.

Quand l'Europe centrale et orientale ont manqué de gaz

On comprend mieux le malaise et la crainte des dirigeants européens à l'égard de la Russie dans la conjoncture actuelle. Beaucoup ont encore à l'esprit la crise de janvier 2009. Gazprom avait suspendu temporairement ses approvisionnements à l'Ukraine, l'accusant de voler du gaz transitant vers l'Europe. Plusieurs entreprises et citoyens d'Europe centrale et orientale avaient alors manqué de gaz naturel.

Un autre facteur devrait rassurer les capitales européennes: Gazprom est inscrite à la Bourse de Moscou.

Son titre a d'ailleurs plongé le lundi 3 mars, au moment de l'escalade russe en Crimée. Si l'action a depuis repris le terrain perdu, elle demeure cependant très volatile. Les dirigeants de Gazprom marchent donc sur des oeufs: des ruptures d'approvisionnements en Europe affecteraient les revenus de la société d'État, ce qui pourrait inquiéter les investisseurs. Une situation qui n'est pas idéale pour cette entreprise «très endettée», selon Coface, une firme française assurant les risques commerciaux des entreprises à l’étranger.

Enfin, l'évolution du marché du gaz naturel en Europe devrait aussi inciter Moscou à ne pas brandir avec trop d'insistance l'arme gazière dans la crise qui l'oppose à l'Europe. Car, si le Vieux continent est dépendant du gaz russe, il est en train de diversifier tranquillement et mais sûrement ses sources d'approvisionnement.

Par exemple, Énergie de France construit un important terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) à Dunkerque, dans le nord de la France, qui devrait être mis en service en 2015. Il s'agit du deuxième plus important chantier industriel en cours en France. Il aura une capacité de regazéification de 13 milliards de m3, soit 20% de la consommation annuelle de la France et de la Belgique.

De plus, comme l'Amérique du Nord a des surplus de gaz naturel, les projets se multiplient pour exporter du GNL en Asie - au Japon, en Corée du Sud, en Chine et en Inde, entre autres - mais aussi en Europe. Ottawa et Washington jouent d'ailleurs la carte géopolitique de la diversification pour tenter de convaincre les Européens de se procurer une partie de leur gaz naturel en Amérique du Nord.

Certes, ces projets prendraient du temps à se concrétiser s'il y a effectivement un marché pour exporter de manière rentable du GNL en Europe. Mais plus la Russie aura recours à l'arme gazière sur le Vieux continent, plus les Européens auront intérêt à importer du gaz nord-américain, et ce, même s'il coûte un peu plus cher.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À la une

Dette et déficit du fédéral: on respire par le nez!

ANALYSE. Malgré des chiffres relativement élevés, le Canada affiche le meilleur bilan financier des pays du G7.

Budget fédéral 2024: «c'est peut-être un mal pour un bien»

EXPERT INVITÉ. Les nouvelles règles ne changent pas selon moi l'attrait des actions à long terme.

Multiplier la déduction pour gain en capital, c'est possible?

LE COURRIER DE SÉRAFIN. Quelle est l'avantage de cette stratégie?