Suisse: Au pays de la matière grise


Édition du 09 Novembre 2013

Suisse: Au pays de la matière grise


Édition du 09 Novembre 2013

La Suisse est une contrée d'innovations. Par exemple, l'université de Zurich présentait il y a quelques jours au Smithsonian National Air and Space Museum, à Washington, son homme bionique d'apparence humaine construit avec des organes synthétiques. Photo

Qu'ont en commun l'aspirine, la souris d'ordinateur, la mini-trottinette et le chocolat au lait ? Ils ont tous été inventés au pays de l'innovation, la Suisse. Dépourvu de matières premières, le petit pays coincé au milieu de l'Union européenne a développé une économie de la «matière grise» afin de se démarquer sur l'échiquier mondial. Et ça réussit.

Selon une récente enquête publiée par l'Université américaine Cornell et l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), la Suisse arrive au tout premier rang des 142 pays les plus innovants sur la planète, devant les États-Unis et la Grande-Bretagne. Des honneurs habituels pour la Suisse, qui avait aussi terminé au sommet de cet Indice mondial de l'innovation en 2012 et en 2011. Le Canada a terminé au 11e rang mondial en 2013, soit une place de mieux devant l'année précédente.

«L'innovation est fondamentale en Suisse, c'est une spécialisation, explique Marc Surchat, collaborateur scientifique au Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche, à Berne. L'économie suisse est tournée vers des produits de haute qualité, à forte valeur ajoutée. Il faut constamment innover et être à la fine pointe, ce qui nous permet de gagner de nouveaux marchés et obtenir des prix élevés pour nos produits.»

Mathieu Piguet, sous-directeur de la Chambre vaudoise du commerce, dit qu'«il n'y a pas de matières premières, pas de ressources à exploiter [en Suisse]. Nous n'avons pas le choix : il faut innover et travailler !»

Et l'innovation suisse n'est pas l'apanage de quelques multinationales, comme Nestlé, Adecco ou British American Tobacco, qui y ont leur siège social. «Toutes les entreprises, même les plus petites, sont tournées vers l'innovation, assure M. Surchat. C'est une stratégie qui apparaît rapidement lorsque celles-ci choisissent d'exporter à l'international. Vous savez, il y a beaucoup de petites entreprises qui produisent des choses qu'elles sont les seules dans le monde à faire.»

Environnement propice

Selon l'OMPI, la Suisse se démarque des autres pays par un accès élargi aux TI et leur forte utilisation, par la haute qualification de ses salariés, par la collaboration dans la recherche entre les universités et les industries, et par la création de savoir, comme l'enregistrement de brevets et la publication d'études. Afin de favoriser l'innovation dans les entreprises suisses, les différents paliers gouvernementaux et administratifs ont mis en place des politiques pour favoriser un environnement propice à la création de valeur.

«Nous devons cette situation privilégiée à plusieurs facteurs et principalement aux bonnes conditions-cadres au sein desquelles évoluent nos entreprises», fait valoir Olivier Sandoz, directeur général adjoint de la Fédération des entreprises romandes, à Genève.

«Un marché du travail assez flexible en fait partie. En cas de nécessité, il est plus facile de rompre un contrat de travail qu'en France, par exemple. Avec comme corollaire que les entreprises sont plus promptes à engager du personnel. Nous pouvons aussi citer le partenariat social et la paix du travail ainsi que la formation duale [côté pratique en entreprise et côté théorique au sein d'une école professionnelle], sans oublier des investissements importants en R-D. De plus, nous bénéficions d'une fiscalité qui n'est pas confiscatoire [pénalisante], voire même, dans certains cantons, très compétitive», explique-t-il.

Moins de bureaucratie

Sur les plans fiscal et administratif, des efforts sont constamment déployés pour s'assurer d'éliminer les irritants. «Le poids administratif est allégé. Depuis des décennies, quand on veut faire des changements législatifs, on pose d'abord des questions aux entreprises pour avoir leur avis. Aujourd'hui, c'est même une obligation», ajoute Marc Surchat.

«La flexibilité fiscale donne aux entreprises une grande liberté d'utiliser leurs bénéfices vers une réallocation de certains de leurs secteurs, pour limiter leur impôt à payer», dit-il, en ajoutant que les Suisses vivent très bien avec ça. «Ça fait partie de la structure économique et la manière dont les entreprises sont gérées. Les employés en profitent aussi, puisque les entreprises restent dynamiques.»

«La politique libérale de la Suisse y attire de nombreuses entreprises privées, fait valoir Yann Leclerc, directeur du développement des affaires et de la planification stratégique au siège international de BRP en Suisse. Ce sont principalement des sièges de sociétés qui viennent pour les avantages fiscaux, mais qui doivent fournir du travail sur place pour y avoir droit. Le coût de la main-d'oeuvre étant très élevé en Suisse, tous les emplois de type "production" ne sont pas avantagés ici. Par contre, les emplois liés aux sièges sociaux [planification, stratégie, etc.] ainsi qu'à l'innovation et la R-D ont toute leur place.»

Selon ce Québécois expatrié en Suisse depuis 12 ans, l'État soutient aussi l'innovation grâce à des «politiques libérales favorisant les investissements du privé. Le public soutient les entreprises en leur laissant les coudées franches, en favorisant la saine concurrence entre elles et la collaboration, en encourageant l'implantation de sièges sociaux par des incitatifs fiscaux [aux niveaux fédéral, du canton et municipal]. Il y a des subventions pour financer la recherche, mais toujours avec une politique libérale en tête.»

Sylvain Poitras, un avocat au Barreau du Québec et à celui de New York qui oeuvre en Suisse depuis 20 ans, abonde dans le même sens. «La Suisse enfreint le moins possible la liberté d'entreprise et la favorise largement, explique celui qui conseille des entreprises, des inventeurs et des investisseurs sur les questions de mise en marché de dispositifs médicaux en Europe. La Suisse est également un pays efficace où, en général, le système fonctionne, ce qui attire les inventeurs.»

«Il existe des organismes privés et publics dont la mission est de soutenir et de guider les inventeurs qui ont souvent besoin de compétences qu'ils n'ont souvent pas au moment du développement du produit ou de sa mise en marché, poursuit le juriste. La Suisse offre également des conditions fiscales qui peuvent être avantageuses pour les inventeurs. Autre point : les universités et les grandes écoles suisses produisent et attirent des chercheurs du monde entier.»

Les Suisses travaillent plus que les Québécois et en redemandent  !

Les Suisses travaillent en moyenne sept heures de plus par semaine que leurs cousins québécois. Pis encore, la population helvétique s'est prononcée à deux reprises au cours des 20 dernières années contre des projets de loi qui visaient soit à réduire la semaine de travail ou... à bonifier les vacances !

Selon les plus récentes données de l'Organisation de coopération et de développement économiques, en 2012, les Suisses se situaient dans le peloton de tête quant aux heures travaillées par habitant, tout juste derrière les Luxembourgeois, les Coréens et les Russes.

C'est dans les secteurs agricoles (43 heures), les industries extractives (42,2 heures) et manufacturières (41,3 heures) que la semaine de travail est la plus longue, selon l'Office fédéral de la statistique suisse.

Au Canada, la semaine de travail continue de diminuer. En 2012, les Canadiens travaillaient en moyenne 36,6 heures par semaine, alors qu'ils en travaillaient 38 en 1976, selon Statistique Canada. Le Québec ferme la marche des provinces canadiennes, avec 35,4 heures travaillées par semaine en moyenne, tandis que l'Alberta trône au sommet, avec 39 heures par semaine.

«L'attitude des Suisses, c'est qu'il faut s'engager dans le travail. Il a une grande valeur sociale et il est encouragé dans la société», explique Marc Surchat, collaborateur scientifique au Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche.

Même si le nombre élevé d'heures travaillées n'a pas un impact sur le taux de productivité, il influe positivement sur le rendement global de la Suisse, dit M. Surchat.

«Ça rapporte une certaine productivité, puisque, économiquement, c'est de la valeur ajoutée. Ça permet de financer les investissements publics davantage et ça allège le poids de l'assiette fiscale», dit-il.

En 1985, lors d'un vote populaire, le peuple suisse a rejeté une prolongation générale des vacances annuelles de quatre à cinq semaines, et en 2002, il a voté contre l'introduction de la semaine de 36 heures.

Et le Québec ?

Robert Gagné, professeur à HEC Montréal et directeur du Centre sur la productivité et la prospérité, est d'avis que la Suisse a intégré une culture de l'innovation. «Ils sont condamnés à innover. Ils ne perdent pas de temps avec des bébelles pas payantes. Nous, oui.»

Le Québec n'est pas en panne de création. Qu'est-ce qui l'empêche alors de développer davantage une économie de la «matière grise» comme la Suisse ? La volonté de l'État de tout contrôler, répond l'universitaire.

«L'appareil étatique est orienté vers la création d'emplois. On a créé des jobs pas payants, mais ce n'est pas grave. Au Québec, on a les entreprises les plus taxées, mais aussi les plus subventionnées. L'État surtaxe des entreprises pour en aider d'autres, mais le problème, c'est qu'il se trompe souvent : pour un exemple de réussite, je pourrais vous donner plein d'exemples où ça a fait patate», analyse-t-il.

«Tout le monde est là pour obtenir des crédits d'impôt. Ce n'est pas la manière de favoriser l'innovation», affirme M. Gagné.

Normand Voyer, vice-président exécutif de Sous-traitance industrielle Québec, reconnaît que le plus grand défi des entreprises de chez nous est d'investir dans la R-D. «Les PME n'ont pas toujours les moyens d'investir. Ce n'est pas toujours palpable pour un dirigeant qui est à la recherche de résultats immédiats. Il y a de la promotion et de l'éducation à faire.»

Ce dernier ajoute que la vision d'innovation est difficile à tracer pour des entreprises, parce qu'elles n'ont pas de plan stratégique. «Une PME sur deux n'a pas de plan stratégique. C'est un élément assez fondamental pour connaître ses forces et ses faiblesses, ses concurrents, les marchés... Ça trace la voie pour la vision et les actions et ça permet à l'entreprise de poser les bons gestes au bon moment.»

Heures travaillées par habitants par année:
Luxembourg: 1 146
Corée: 1 067
Fédération de Russie: 985
Suisse: 976
Mexique: 954
Canada: 800

PIB par heure travaillée (Prix courant en dolllars américains)
Norvège: 86,6
Luxembourg: 79,7
Irlande: 71,2
Belgique: 61,9
États-Unis: 61,6
Pays du G7: 54,3
Suisse: 55,1
Canada: 51,8

Sources: Indice mondial 2013 de l'innovation, OMPI, Organisation de coopération et de développement économiques (2012), Département des affaires étrangères Suisse, et Nestlé

La Suisse en chiffre
8,1 millions d'habitants
Produit intérieur brut de 622,9 G $US
68,2 % de la R-D financée par les entreprises (46,5 % au Canada, 60 % aux États-Unis, 44,6 % en Grande-Bretagne)
99 % des entreprises comptent moins de 250 employés (en 2008)
Nestlé, implantée à Vevey, est la plus grande entreprise suisse avec 280 000 employés.
Les trois principales exportations de la Suisse Produits chimiques Produits pharmaceutiques Instruments et horlogerie

Source : Office fédéral de la statistique (2011)

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