Votre stratégie de maintien en emploi des travailleurs étrangers doit changer en 2025
Catherine Charron|Édition de la mi‑novembre 2024(Photo: Adobe Stock)
Employeurs, soyez rassurés : il est encore possible de garder certains de vos travailleurs temporaires étrangers malgré le changement de cap de Québec et d’Ottawa. Vous devrez toutefois être prévoyants et envisager de sortir des sentiers battus.
Après avoir ouvert toutes grandes les portes aux résidents et aux travailleurs non permanents en 2022 et en 2023, voilà que les gouvernements fédéral et provincial tentent de ralentir le flux migratoire « d’une ampleur rarement atteinte », d’après les mots de l’Institut de la statistique du Québec.
Depuis le début de l’année seulement, plus d’une dizaine de mesures ont été adoptées dans le cadre de ce changement de position, et elles affectent directement les entreprises qui emploient cette main-d’œuvre.
En janvier, Ottawa a notamment annoncé qu’il compte faire passer de 6,5 % à 5 % la part de la population totale que les résidents temporaires représentent.
En mars 2024, le gouvernement de Justin Trudeau a exigé l’obtention d’un visa à tous les ressortissants mexicains, même à ceux qui étaient auparavant admissibles au Programme des travailleurs temporaires étrangers, prenant par surprise le monde des affaires.
De plus, la politique adoptée au pire de la pandémie qui autorisait les étudiants étrangers à travailler plus de 20 heures par semaine hors campus pendant leur session n’a pas été prolongée au-delà du 30 avril 2024.
Le 20 août 2024, c’est au tour de Québec d’annoncer l’imposition d’un moratoire sur les études d’impact sur le marché du travail (EIMT) pour tous les postes à bas salaires de l’île de Montréal. Huit jours plus tard, Ottawa a cessé d’accepter les demandes de permis de travail réalisées par des voyageurs lors de leur séjour en sol canadien.
En date du 26 septembre 2024, d’autres mesures pour limiter l’embauche de travailleurs étrangers pour des emplois à bas salaire sont entrées en vigueur à l’échelle du pays.
Puis, à la fin d’octobre, Ottawa a dévoilé qu’elle réduirait ses cibles d’immigration pour 2025, 2026 et 2027, les faisant passer de 500 000 à 395 000, 380 000 et 365 000 respectivement.
Quelques jours plus tard, le gouvernement provincial a annoncé qu’il cesserait d’émettre d’ici au printemps 2025 des certificats de sélection du Québec, un document essentiel pour la résidence permanente. Cette mesure coupe l’accès des diplômés au Programme de l’expérience québécoise et met un frein au Programme régulier des travailleurs qualifiés, dorénavant appelé le Programme de sélection des travailleurs qualifiés.
À partir du 8 novembre 2024, le seuil pour départager les postes à haut salaire de ceux à bas salaire a été augmenté.
Sans compter que les critères d’admissibilité dans le cadre de transfert au sein d’une même entreprise ont été revus, que le « tour du poteau » a été complexifié et qu’il est maintenant plus compliqué de faire des traitements simultanés de demandes de permis de travail, ajoute l’avocate spécialiste en immigration économique et en mobilité de la main-d’œuvre chez Fasken, Stephanie Heinsohn-Spiropoulos.
« Ce sont les mesures annoncées depuis la fin de l’été qui inquiètent le plus les employeurs, observe-t-elle. Ce sont des changements qui ont d’importantes conséquences, surtout pour ceux qui embauchent des étrangers pour des postes considérés à bas salaire. »
« Ce que je trouve difficile, c’est que ces changements sont soudains, qu’il y a beaucoup de mesures à la fois, et ça crée de la confusion chez les personnes qui nous contactent », renchérit Natacha Mignon, avocate associée et cheffe de la direction du cabinet Immétis.
Changement de stratégie
Les employeurs de travailleurs étrangers temporaires devront dorénavant faire preuve d’ingéniosité, car de nombreuses voies de passage traditionnellement empruntées ne sont aujourd’hui plus praticables pour les garder au sein de l’entreprise. « Beaucoup moins se qualifieront pour des renouvellements ou des prolongations de permis de travail », prévient l’avocate de Fasken, Stephanie Heinsohn-
Spiropoulos.
C’est pourquoi les deux juristes invitent les dirigeants à « faire leurs devoirs » dès maintenant et à dresser une liste de toutes les personnes issues de l’international recrutées par l’entreprise. Ils devraient relever quand leur permis de travail arrivera à échéance, et sous quel programme celui-ci a été accordé. Ils devraient également noter qui est touché par les changements annoncés et à partir de quand.
« C’était important de le faire avant, mais dans une période où il y a plusieurs bouleversements réglementaires, ça l’est encore plus », estime Natacha Mignon.
Les organisations qui embauchent des travailleurs temporaires devront donc absorber ces changements et leurs spécificités, comme les secteurs d’activité exemptés. Elles devraient aussi anticiper quelles seront les prochaines étapes pour tenter de garder à l’emploi leurs salariés selon leur situation.
Si elles doivent renouveler leur permis de travail, des accords de libre-échange avec certaines régions du monde comprennent des closes sur la mobilité des travailleurs et évitent d’accomplir une EIMT même pour des postes à bas salaires.
Les grandes entreprises qui font partie de groupes internationaux ont d’ailleurs plus de leviers que les PME, d’après Natacha Mignon.
L’employeur peut également augmenter à plus de 20 % de la médiane provinciale le revenu de la personne afin qu’elle soit dorénavant considérée comme une personne pourvoyant un poste à haut salaire au moment de renouveler le permis. Il doit cependant s’assurer que ça ne crée pas d’iniquité en interne, prévient Stephanie Heinsohn-Spiropoulos.
La cheffe de la direction d’Immétis, Natacha Mignon, recommande aussi de vérifier qui est admissible à faire une demande de résidence permanente. « Il y a une chance que ces démarches aboutissent avant la fin du permis de travail », dit-elle.
Cela signifie toutefois que dans certains cas, les employeurs devront faire leurs adieux malgré eux à des collègues pour qui il ne sera plus possible de renouveler le permis de travail. « Dans ce cas-là, il faut les en informer d’avance pour qu’ils puissent prévoir leurs prochaines étapes », estime Stephanie Heinsohn-Spiropoulos.
« S’il y a quelque chose de bien qui sort de toutes ces mesures qui arrivent tous azimuts, c’est peut-être un meilleur suivi des travailleurs étrangers temporaires », croit