Selon les experts, la clé d’un plan de retour au bureau réussi est la flexibilité et la modulation. (Photo: La Presse Canadienne)
Halifax — Ian McGrath a été très clair avec ses patrons: si l’entreprise force ses employés à retourner au bureau, il démissionnera.
Le technicien de la région de Halifax explique qu’il s’épanouit en travaillant chez lui. Sa productivité a grimpé en flèche, son dernier bilan annuel a dépassé les attentes de l’employeur et il est maintenant l’un des plus performants de l’entreprise.
«J’ai également atteint un bien meilleur équilibre travail-vie personnelle, a précisé Ian McGrath. Je suis en meilleure santé, plus heureux et plus productif.»
Les entreprises publient depuis quelques mois des plans de retour au bureau dans tout le pays, rappelant les cols blancs dans leurs cubicules après deux ans de travail à domicile.
Alors que les restrictions sanitaires sont levées petit à petit et que le nombre d’infections diminue, certaines entreprises souhaitent que leurs employés reviennent au bureau cinq jours par semaine. À l’autre bout du spectre, des entreprises annulent des baux très coûteux en centre-ville et demandent à leurs employés de travailler dorénavant à distance, tous les jours.
Beaucoup d’autres, toutefois, adoptent un modèle hybride, allant d’une approche flexible «venez quand vous voulez» à des horaires établis d’avance, en respectant les préférences de l’employé, ou non.
Pourtant, après plus de deux ans de réunions sur Zoom et de discussions sur Slack, souvent «en mou», du moins pour le bas, et avec plus de temps avant et après le boulot pour les enfants, l’exercice ou la lecture, les employés peuvent être réticents à retourner au bureau.
«Certains employeurs veulent simplement revenir comme avant, a rappelé Catherine Connelly, professeure de gestion des ressources humaines et de gestion à l’École DeGroote de l’Université McMaster. C’est un vœu pieux. Quand on regarde d’autres pandémies passées, les comportements ne sont tout simplement pas revenus comme avant.»
Un retour au bureau n’affecte pas tous les travailleurs de la même manière, a aussi rappelé Catherine Connelly, également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en comportement organisationnel. De multiples facteurs peuvent influencer la façon dont les employés réagissent au retour à la vie de bureau: en fonction du confort qu’ils ont connu à domicile, de leur type de personnalité, de la culture du lieu de travail et de l’aménagement de leur espace de travail.
«Si vous avez un beau grand bureau avec une porte qui se ferme et peut-être une place de stationnement réservée, c’est très différent de quelqu’un à qui on demande de travailler dans un cubicule bruyant avec beaucoup d’interruptions», a-t-elle déclaré.
Flexibilité… et incitatifs
Selon les experts, la clé d’un plan de retour au bureau réussi est la flexibilité et la modulation. Si les travailleurs ont l’impression d’être contraints de retourner au bureau, ils vont résister.
«Si les gens perçoivent cela comme une perte de contrôle, il y aura des résistances, a estimé Paula Allen, vice-présidente principale de la recherche et du bien-être total chez LifeWorks. Deux ans, c’est long: les habitudes ont eu le temps de s’enraciner et les gens n’aiment pas le changement, a-t-elle déclaré. Ça ne changera pas du jour au lendemain.»
Certaines entreprises technologiques, auparavant connues pour leurs conditions de travail exceptionnelles sur le lieu de travail, cours de conditionnement physique, salles de sieste, se tournent à nouveau vers des incitatifs pour ramener leurs employés au bureau.
ServiceNow Canada, une société de logiciels d’entreprises qui a des bureaux à Montréal et à Toronto et qui prévoit d’ouvrir bientôt un bureau à Calgary, espère attirer les employés avec des repas gratuits et des événements de renforcement d’équipe.
L’entreprise a organisé un dîner «Mardi tacos», la visite d’une boulangerie locale et un événement de fabrication de pizzas, a expliqué Marc LeCuyer, vice-président et directeur général de ServiceNow Canada. «Nous voulons revenir à cet état d’esprit où la connexion humaine est précieuse et saine. Nous voulons préparer le terrain pour un retour au bureau de manière très positive.»
L’entreprise ne prévoit pas, par contre, d’imposer le retour au bureau. «Nous offrons le choix aux gens. Si vous travaillez pour un employeur qui vous oblige à faire quelque chose que vous ne voulez pas faire, il n’y a pas de chemin vers une expérience positive.»
Bien qu’un dîner gratuit soit salué comme un beau geste, les entreprises ont parfaitement le droit de rappeler les travailleurs au bureau, aucun incitatif n’est obligatoire, a rappelé l’avocate du travail Hermie Abraham. «Il s’agit du droit légal de l’employeur et de sa décision quant à la manière dont il souhaite mettre en œuvre les plans de retour au travail, a-t-elle expliqué. Les gens peuvent croire qu’ils devraient avoir le droit de continuer à travailler de la maison, mais à moins qu’il y ait une considération de droits individuels, ils n’ont pas ce droit.»
De nombreux travailleurs qui se rendent au bureau pour la première fois depuis des années se plaignent d’un long trajet, d’un stationnement coûteux et de la flambée du prix des repas au restaurant le midi. Me Abraham rappelle que d’un point de vue juridique, «c’est bien triste, mais c’est comme ça».
«Vous avez peut-être économisé pendant la COVID parce que vous n’aviez pas à payer pour ces choses, mais ce n’est pas le problème de votre employeur, a-t-elle dit. Il s’agit de l’emploi pour lequel vous avez été embauché à l’origine.»
Par contre, Me Abraham estime qu’il serait opportun pour l’employeur de permettre un retour progressif au bureau, en particulier compte tenu du marché actuel de l’emploi. «Il va y avoir une chasse aux talents pour certains postes et plus vous serez accommodant et flexible en tant qu’employeur, plus vous aurez des chances de gagner.»
Le travailleur en technologie de la région d’Halifax Ian McGrath est d’ailleurs parfaitement conscient du faible taux de chômage et de la concurrence pour les employés talentueux dans de nombreuses industries, y compris la sienne. «Je sais que je pourrais quitter mon emploi pour aller ailleurs et gagner plus d’argent», a-t-il dit.