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Les hommes: un sujet (ou pas) dans votre entreprise?

Le courrier des lecteurs|Publié le 19 octobre 2023

Les hommes: un sujet (ou pas) dans votre entreprise?

Les hommes sont passablement absents des réflexions et des actions EDI. (Photo: 123RF)

Un texte de Mickaël Carlier, Fondateur de la plateforme de masculinité positive Des hommes qui changent


COURRIER DES LECTEURS. Avez-vous vu comment, ces dernières années, plusieurs organisations ont fait les manchettes à cause de scandales liés à des comportements masculins répréhensibles? Pensons à l’éditeur de jeux vidéo Ubisoft, à la Ligue de hockey junior majeur… La question des hommes, de la masculinité, des comportements attendus de ces hommes, était-elle en haut des priorités et préoccupations de ces organisations? On peut supposer que non – à ce moment-là en tout cas. Ce sont les scandales qui les ont mis au pied du mur et, éventuellement, forcées à y accorder temps et ressources.

Peut-être grâce à ces contre-exemples, les temps semblent en train de changer. J’ai parlé ces derniers mois à plusieurs entreprises pour lesquelles la question «des hommes» suscite une grande attention. Car elles y perçoivent un point névralgique.

Je pense notamment à cette entreprise industrielle, en région, dont 90% des employés sont des hommes, et qui cherche depuis longtemps à recruter des femmes – pour «innover» sur le plan de l’équité, de la diversité et de l’inclusion (EDI), mais aussi parce que lorsqu’on est en situation de pénurie de main-d’oeuvre, il faut bien élargir son bassin de candidat·es potentiel·les. L’entreprise n’a pas le choix: elle doit recruter davantage de femmes.

Mais celles-ci ne restent pas: au bout de six mois, d’un an, elles quittent. Non, elles fuient. La culture de l’organisation est fortement masculine, macho, voire fréquemment misogyne. Ceux qui travaillent ici, ce sont des gars, des «vrais», forts et invulnérables (c’est ainsi qu’on me les a décrits). L’entreprise ne parvient donc pas à recruter et à retenir les femmes dans ses équipes ; son problème de main-d’oeuvre reste entier.

En plus, elle doit, à l’égard de ces «vrais gars», faire face à un autre défi, majeur: les suicides. On ne m’a pas communiqué de chiffres, mais la conversation était claire: le problème est important. On se rappellera qu’au Canada, 80% des suicides sont le fait d’hommes. D’autres entreprises embauchant de «vrais gars» sont certainement confrontées à cet enjeu dramatique. 

Autre contexte, autre enjeu lorsque je parle à des entreprises aux cultures contemporaines, modernes, voire «progressistes», qui investissent dans des politiques favorisant l’équité hommes-femmes, une meilleure inclusion des personnes issues des groupes sous-représentés, etc. Des politiques dans lesquelles toutefois les hommes (blancs, hétéros, cis) constituent aujourd’hui un angle-mort.

Ce que j’entends, c’est que les hommes (hormis une poignée d’«alliés») sont en effet passablement absents des réflexions et actions EDI : ils ne se sentent pas concernés. Pire, ces démarches génèrent des contre effets négatifs, tels que incompréhension et frustration, conduisant certains hommes à se désengager de leur carrière. «À quoi bon m’investir, se disent-ils, je n’aurai jamais cette promotion qui sera donnée à une femme/ une personne racisée, etc.» Le défi de l’entreprise consiste alors à tout de même faire avancer sa vision EDI, sans obtenir l’adhésion d’une grande partie de son personnel. Pas facile.

Le sujet des hommes est extrêmement sensible. C’est un jeu d’équilibriste : il faut d’un côté parvenir à les mobiliser autour de réflexions délicates, de comportements à revoir, d’attentes qui bousculent, de références identitaires à déconstuire ou, a minima, remettre en question. Il faut accompagner, et donc investir dans ces changements.

Et de l’autre côté, ces efforts ne doivent évidemment pas altérer ni compromettre ceux qui visent à redonner l’espace, le pouvoir, la parole à toutes les personnes issues de groupes sous-représentés qui pourraient penser: «Nous avions enfin une part du budget et du pouvoir, et voilà qu’il la redonne déjà aux hommes.»

C’est un jeu d’équilibriste donc, mais qui apparaît aujourd’hui incontournable et… qui en vaut la peine : pour que les milieux de travail soient sécuritaires et inclusifs, les hommes doivent faire partie de la conversation. Au bénéfice de tous·tes.

Et plusieurs des entreprises à qui j’ai parlé ces derniers mois saisissent qu’il en va du bien-être de leurs employé·es, tout autant que de la qualité de leur culture organisationnelle, de leur réputation, voire de leurs succès corporatifs. C’est encourageant. Les autres, qui ne prennent pas la mesure de la situation, feront peut-être parler d’elles dans les médias un de ces jours.

Et vous, qu’en est-il de votre milieu de travail: l’«homme» est-il un sujet dont on se préoccupe ou dans l’angle-mort par lequel la crise risque d’éclater ?

 

 

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