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L’art subtil de dire non

Olivier Schmouker|Publié le 26 novembre 2024

L’art subtil de dire non

Une étude montre qu'un refus est, en général, mieux vécu que ce qu'on imagine. (Photo: Erwan Hersy pour Unsplash)

Q. — «Dans un sens, je suis chanceux. Plusieurs membres de mon équipe n’arrêtent pas d’avoir des idées neuves et de proposer des projets inédits. Mais je me retrouve dans la position de devoir dire non plus souvent qu’autrement, car il est impossible de dire oui à tout. Ma crainte est donc la suivante: mes refus à répétition ne risquent-ils pas, à la longue, de les démotiver?» – Dieudonné

R. — Cher Dieudonné, il est courant de se sentir mal lorsqu’on dit non à quelqu’un de proche, en particulier à un collègue que l’on côtoie quotidiennement. On sait que celui-ci a beaucoup réfléchi à son idée avant de nous la présenter. Qu’il est convaincu de la pertinence de celle-ci. Et pourtant, pour une raison x ou y (mauvais timing, manque de ressources, etc.), il nous faut la rejeter. On a dès lors la triste sensation d’être dans une situation perdant-perdant.

Bon. Prenons un pas de recul par rapport à ce que je viens de présenter. Et demandons-nous si nous sommes alors vraiment dans une situation perdant-perdant. D’où vient, en vérité, cette impression?

Julian Givi est professeur de marketing au John Chambers College of Business and Economics, à Morgantown (États-Unis). Coleen Kirk est également professeure de marketing, au New York Institute of Technology. Ensemble, les deux chercheurs ont procédé à cinq expériences complémentaires auprès de plusieurs centaines de personnes volontaires afin de voir qu’elles étaient les conséquences psychologiques réelles pour ceux qui disent non ainsi que pour ceux qui essuient le refus. Dans l’une de ces expériences, il s’agissait d’une invitation à aller au restaurant. Dans une autre, d’une proposition à aller visiter un musée. Etc.

Résultat? «Il est souvent difficile de dire non parce que nous avons la fâcheuse tendance de surestimer les conséquences négatives du refus», notent les deux chercheurs dans leur étude. Nous sommes alors prompts à croire que celui qui se fait dire non va être en colère, va considérer qu’on ne l’estime pas à sa juste valeur, ou encore va réagir en ne faisant plus de telles propositions à l’avenir. Or, il n’en est rien, en général. Se faire dire non n’est pas si dramatique que ça, ce n’est pas pris si personnel que ça, ce n’est pas considéré comme une rebuffade infamante. Non, ce n’est pas la fin du monde.

Mieux, les deux chercheurs ont mis au jour une astuce permettant de bien formuler un refus, en ce sens que les impacts négatifs potentiellement ressentis par celui qui se fait dire non en sont atténués de manière significative. Le truc est simple: avant de formuler le refus, il convient de se mettre mentalement à la place de celui qui fait la proposition et de se demander quel type de réponse négative il vivrait le mieux. Il s’agit donc de faire preuve d’empathie. 

Cela peut se résumer en quatre étapes à suivre pour bien formuler un refus:

  1. Identifiez la ou les raisons indiscutables du refus.
  2. Imaginez les différentes réactions possibles que pourrait avoir celui qui a fait la proposition en fonction des différentes façons dont vous pouvez formuler votre refus. 
  3. Retenez la formulation la plus appropriée, celle qui est la plus claire et la plus intelligible pour votre interlocuteur.
  4. Au moment de la présentation du refus, soyez ferme et honnête. Le cas échéant, montrez-vous ouvert aux questions et autres nouvelles suggestions constructives de la part de votre interlocuteur. Ne les rejetez pas d’emblée, acceptez de les considérer et d’y réfléchir soigneusement. 

Voilà, Dieudonné. Bien présenté, un non peut se révéler non pas démotivant, mais stimulant. Celui qui vient d’essuyer un refus peut être amené à se dire que sa proposition initiale n’était pas assez peaufinée, qu’il lui faut se remettre à l’ouvrage pour enfin obtenir un oui. Ou bien, il peut aussitôt rebondir sur une autre idée, encore meilleure, et aura davantage de chances de se faire dire oui la prochaine fois, connaissant maintenant les raisons du non de sa première proposition. 

En passant, le philosophe français Alain disait: «Penser, c’est dire non».