Rien de mieux que le contact humain lors d'une réunion. (Photo: Redd pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Ma nouvelle réalité au travail me paraît absurde. Nous devons maintenant être trois jours au bureau, et deux en télétravail. Quand on se réunit, il y en a toujours un ou deux chez eux, si bien que l’on continue de tous se réunir… par visioconférence. Autant rester tout le temps chez moi, à ce compte-là!» – Ariane
R. — Chère Ariane, l’organisation des réunions de travail est bel et bien devenue une chose complexe depuis le début de la pandémie. J’en veux pour preuve quelques chiffres révélateurs tirés d’une récente étude à ce sujet.
— La durée moyenne des réunions a diminué en général de 20% depuis le début de la pandémie.
— Mais le nombre des réunions a, lui, bondi de 13,5%.
— Les participants aux réunions trouvent que 70% d’entre elles sont superfétatoires, car elles les empêchent de «faire [leur] travail» et d’«accomplir toutes [leurs] tâches».
Autrement dit, nos réunions sont aujourd’hui plus des pertes de temps qu’autre chose.
Comment expliquer ce phénomène? Une autre étude récente apporte un éclairage intéressant sur ce point. Signée par quatre professeurs de leadership — Ben Laker, de l’Université de Reading (Grande-Bretagne) ; Vijay Pereira, de l’École de commerce Neoma (France) ; Ashish Malik, de l’Université de Newcastle (Australie) ; et Lebene Soga, de l’Université de Reading —, elle s’est penchée sur la façon dont on se réunissait dans 76 PME différentes et, surtout, sur les conséquences que cela avait sur les employés lorsque le nombre de réunions allait en diminuant.
Premier constat, qui corrobore ce que vous vivez, Ariane, la «fatigue Zoom» perdure malgré l’adoption du travail hybride. Le réflexe dans un bon nombre de PME est de tous se réunir par visioconférence, même si les deux tiers des participants sont physiquement présents au bureau. Résultat? Ce sont pas moins de 92% des employés de ces PME qui disent qu’ils n’en peuvent plus de continuer de se voir par écrans interposés, que cela leur semble «coûteux en temps, en énergie» et en productivité.
Second constat: il semble que ce réflexe de continuer les visioconférences lorsqu’on est en travail hybride provient surtout des nouveaux gestionnaires. L’étude indique en effet que les gestionnaires nouvellement promus tiennent un tiers (29%) de réunions de plus que leurs homologues chevronnés, et en particulier des visioconférences.
Pourquoi ça? Parce que cela les rassure de «voir» les autres et d’être «vus» d’eux. Ce qui les pousse à organiser beaucoup plus de visioconférences individuelles que les autres gestionnaires. Mais ce faisant, ils ne réalisent pas qu’en vérité ils sabotent involontairement le travail des membres de leur équipe.
Comme je vous le disais, l’étude des quatre professeurs de leadership a regardé ce qui se produisait lorsqu’une équipe diminuait le nombre de ses réunions. Les résultats ne laissent aucune place au doute concernant les bienfaits d’une telle approche. Au bout de 14 mois, une fois le nombre de réunions définitivement diminué de 20%:
— le sentiment d’autonomie a bondi de 62% ;
— la communication au sein de l’équipe s’est améliorée de 45% ;
— la coopération a progressé de 15% ;
— le niveau d’engagement a progressé de 28% ;
— le micromanagement a fondu de 33% ;
— la productivité s’est appréciée de 35% ;
— le niveau de satisfaction au travail a été propulsé de 48% ;
— et le niveau de stress a reculé de 26%.
Ceux qui ont réussi à diminuer de 20% le nombre de leurs réunions y sont parvenus grâce aux conseils pratiques des quatre chercheurs. Ces conseils tenaient en trois points principaux.
1. Se montrer hyper sélectif
L’objectif est d’identifier une réunion régulière qui, au fond, n’est pas si nécessaire que ça. Et ce, en consultant son agenda en se posant, pour chaque réunion, la question suivante: cette réunion-là figure-t-elle parmi les plus utiles de toutes celles qu’a notre équipe?
Selon les quatre chercheurs, les réunions «absolument» utiles visent à remplir l’une de ces trois missions:
— Post-mortem. Il s’agit de passer en revue le travail récemment effectué, de voir ce qui a bien fonctionné et moins bien fonctionné, et par la suite d’identifier les points à améliorer dans un avenir rapproché.
— Clarification et validation. Dans le cadre d’un projet en cours, il peut être nécessaire de clarifier et de valider certains points prévus, pour s’assurer que chacun soit efficace dans son travail.
— Répartition. Toujours dans le cadre d’un projet en cours, il peut être crucial de répartir autrement la charge de travail entre les uns et les autres.
Si l’une de vos réunions ne comporte pas l’un de ces trois points, alors il convient de reconnaître qu’elle n’est pas impérative. Et qu’il peut donc être envisagé de s’en passer.
2. Alléger le nombre de participants
Tout le monde doit-il obligatoirement participer à la réunion envisagée? Pour le savoir, il suffit de se demander une chose simple avant d’envoyer les invitations: si untel n’ouvre pas la bouche de toute la réunion, cela va-t-il empêcher la réunion d’atteindre ses objectifs? Dès lors que la réponse est «non», voire «peut-être bien que non», il convient de ne pas lui envoyer d’invitation. L’important est en effet de ne réunir que des participants actifs. Personne d’autre. C’est aussi simple que ça.
Bien entendu, le gestionnaire doit expliquer cette nouvelle démarche. Il ne faut surtout pas que certains se sentent rejetés. La clé est d’inviter chacun à réfléchir quant à la pertinence de sa propre participation à la réunion et d’encourager la défection volontaire. Comme cela, le sentiment de perdre son temps en réunion devrait grandement s’estomper.
Enfin, pour que l’information circule bien malgré tout, il peut être bon de demander à l’un des participants de faire un résumé des trois points principaux qui sont ressortis de la réunion, puis de les envoyer à tous.
3. Créer un canal Slack ou Teams
L’étude montre également que la réunion jugée la moins utile est souvent celle qui démarre la journée, la fameuse mini-réunion de 9h où chacun doit, à tour de rôle, communiquer aux autres ses priorités de la journée. Les quatre chercheurs préconisent de la remplacer par la création d’un canal Slack, Teams ou autre en programmant l’envoi quotidien, à 9h, du message suivant: «@Tous, qu’avez-vous dans votre assiette aujourd’hui?»
Chacun se doit dès lors d’y répondre dans l’heure qui suit, si bien que tous les membres de l’équipe pourront consulter les réponses dans la foulée, d’un rapide coup d’œil. Et au besoin, l’un pourra aussitôt contacter l’un de ses collègues, en fonction des besoins (par exemple, pour lui donner le numéro de téléphone d’un client qu’il serait bon de joindre).
Ce truc semble efficace: 83% des employés qui y ont recouru ont dit préférer l’utilisation du canal Slack ou Teams à la classique mini-réunion du matin. Car cela leur faisait «gagner du temps».
Voilà, ma chère Ariane. Notre façon de travailler est en pleine mutation, il est logique de voir ici et là des tâtonnements, pour ne pas dire des ratages. La bonne nouvelle est que de meilleures façons de travailler ensemble sont en train de voir le jour. À nous de nous inspirer en fonction de nos réalités propres.
En passant, un dernier petit truc pour éviter que vos réunions ne se déroulent toujours en visioconférence consiste tout bonnement à imposer à tout le monde une même journée de présence au bureau. Et de fixer votre réunion hebdomadaire en personne à ce moment-là. Le contact humain, si précieux, pourra dès lors enfin s’y produire.