Une étude britannique publiée en 2023 par l’Institution of Occupational Safety and Health a révélé que 51 % des employés pensaient que leur employeur était coupable de wellbeing washing. (Photo: 123RF)
EXPERTE INVITÉE. À l’heure où l’on parle d’écoblanchiment, on ne parle pas assez de wellbeing washing. Le bien-être de façade est un terme récent utilisé lorsque les employés se voient présenter un faux sentiment de soutien. Semblable à l’écoblanchiment (l’engagement déclaré d’un employeur à être respectueux de l’environnement qui n’est pas réellement vrai), le bien-être de façade se produit lorsqu’une entreprise affirme se préoccuper de la santé mentale et du bien-être de ses employés, mais sans réelle intention ni conviction d’en faire sa priorité.
Une étude britannique publiée en 2023 par l’Institution of Occupational Safety and Health a révélé que 51 % des employés pensaient que leur employeur était coupable de wellbeing washing. Malgré les fruits gratuits au bureau, des premiers répondants en santé mentale ou des marches de bien-être, ils faisaient face à des charges de travail parfois irréalistes, des délais ultracourts à répondre aux demandes et à certaines formes de harcèlement : « Prenez du temps pour vous, mais… remettez votre rapport avant demain soir » ; « La santé mentale de nos employés est notre priorité, mais nous ne remboursons pas les antidépresseurs » ; « Prends ta semaine de vacances, mais… tu seras valorisé si tu participes aux réunions à partir de ton lieu de congé. »
Les employés sont conscients de la nécessité pour leur entreprise d’être productive et compétitive et de générer des profits. Mais ils réclament de la transparence et de la cohérence, sans faux semblants. L’épanouissement au travail ne peut être seulement affiché sur les murs. Il doit se matérialiser en actions concrètes au quotidien. Les leaders et les gestionnaires doivent aussi donner l’exemple.
Le brouillard de Martine
Martine est une dirigeante d’une grande organisation. Elle m’appelle un matin, désemparée. Elle vient de recevoir un diagnostic de « trouble de l’adaptation ».
Dans l’anonymat d’une clinique médicale, elle consulte pour des insomnies, une grosse fatigue et une boule au creux de l’estomac qui perdure depuis trop longtemps à son goût.
Martine raconte au médecin ses frustrations, son anxiété, le sentiment de se sentir inutile, sans compter le brouillard dans son cerveau (il paraît que c’est la ménopause qui en est responsable). Lorsque son employeur a annoncé des changements organisationnels majeurs, Martine s’est trouvée démunie, sans réponse sur l’avenir de sa division et le sien.
Le médecin l’écoute calmement raconter son histoire, puis lui demande doucement : « Comment vous sentez-vous dans tout ça ? » Martine a les yeux pleins d’eau. Elle sent une boule lui remonter dans la gorge. Après une heure de discussion, le couperet tombe. « Vous souffrez d’un “trouble de l’adaptation”. Je vous prescris des antidépresseurs et deux mois d’arrêt de travail. »
Martine lève les yeux comme une biche effarouchée. De quoi parle-t-on ? Ce n’est pas une incapacité à s’adapter dont il s’agit ici ! Elle veut juste qu’on lui donne de quoi « survivre aux prochaines semaines ». Le médecin lui sourit : « Rassurez-vous, le trouble d’adaptation, c’est le nouveau terme officiel pour nommer l’épuisement professionnel ou le burn-out. » C’est plus « politiquement correct » et ça paraît mieux dans les rapports.
Piquée au vif, Martine se reprend et ravale ses larmes. Au cours de sa carrière, elle en a vu de toutes les couleurs et elle est plus forte que ça. « Merci docteur, je veux juste enlever le poids qui m’étouffe et dormir un peu mieux. Pas besoin de m’arrêter. De toute façon, je ne peux pas, je prends l’avion demain matin. J’ai des réunions, des dossiers à gérer et des employés qui comptent sur moi », rétorque Martine. « Vous êtes sûre ? Moi, je vois une personne en détresse. Êtes-vous bien entourée à la maison ? » lui demande le médecin. Martine fond en larmes. Elle est saisie de vertige. Elle se sent moche, faible. Pire… Elle a honte. Cette cadre vient de manger toute une claque. Personne n’est infaillible, et ce n’est pas facile d’accepter sa vulnérabilité. Elle s’est fait ronger par un environnement de travail qui lui est devenu toxique à force d’être en décalage entre le discours qu’on lui demandait de livrer et la réalité.
On n’achète pas les talents exceptionnels. Au mieux, on les loue pour un temps, mais rarement à long terme. Les leaders ne sont pas des machines. Les meilleurs sont ceux qui acceptent qu’à un moment donné, livrer bataille est inutile et qu’il vaut mieux battre en retraite. Prendre du recul est essentiel pour se retrouver et redonner du sens à sa carrière.
À toutes les Martines et tous les Martins que j’ai rencontrés et accompagnés, je salue votre courage de résister à l’enlisement dans l’entreprise. Vous êtes des leaders inspirants qui guideront les futures générations de patrons.
Si vous vous sentez comme Martine, allez consulter avant que les « valeurs » de l’entreprise pour laquelle vous donnez votre 200 % vous « rentrent dedans ». Les professionnels de la santé sont là pour vous aider.