Avant, 42% se disaient anxieux au travail; après, ils n’étaient plus que 27%. (Photo: 123RF)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. — «Arrêtez de nous tanner avec la semaine de quatre jours! C’est juste une mode qui vient des start-ups. Ça ne peut en aucun cas donner de bons résultats: pour gagner plus, il faut forcément travailler plus.» — Michel
R. — Cher Michel, je vous remercie de votre courriel, car il me donne une nouvelle occasion de parler de la semaine de quatre jours. S’agit-il bel et bien d’une mode, et donc d’une toquade managériale éphémère? D’un mode de gestion qui ne peut s’appliquer qu’aux start-ups, et donc qu’à une infime partie des entreprises? De surcroît, d’une façon de travailler néfaste pour les résultats financiers de l’entreprise? Vous soulevez là des points on ne peut plus intéressants. Regardons ça ensemble, si vous le voulez bien.
Cet été, j’ai pris quelques jours de congé à Porto, au Portugal. Une ville douce à vivre, où il fait bon se promener sur les quais de Vila Nova de Gaia, en dégustant au passage différents portos dans les chais de Sandeman, Porto Cruz et autres Calem, savourer une dorade grillée dans un restaurant familial d’Afurada, ou encore piquer une tête dans les vagues de Matosinhos, après avoir pris un espresso accompagné d’un pastel de nata.
Bien entendu, je n’ai pas pu m’empêcher de regarder les journaux télévisés du soir, même si je ne comprenais pas un traitre mot du portugais. Rien que les images et un mot par-ci par-là, ça m’a permis de me faire une idée de ce qui préoccupe les Portugais, ces temps-ci. Je trouve l’exercice toujours enrichissant, partout où je vais.
Eh bien, c’est comme ça que je suis tombé, un beau soir, sur un reportage fascinant sur… la semaine de quatre jours. Selon toute vraisemblance, une expérience pilote avait été récemment menée au pays et elle s’était révélée concluante. Information prise en ligne par la suite, elle avait été menée par deux chercheurs, Pedro Gomes, professeur d’économie à l’école de commerce Birbeck, à Londres, et Rita Fontinha, professeure de management à l’école de commerce Henley, à Reading, sous la houlette de l’organisme 4 Day Week Global.
En 2023, 41 PME portugaises ont essayé la semaine de quatre jours pendant six mois. Principalement situées à Lisbonne et Porto, elles œuvraient dans différents secteurs (conseils, communication, éducation, commerce de détail, etc.) et comptaient chacune moins de 320 employés (8 entreprises participantes avaient entre 1 et 5 employés; 14, entre 6 et 10; 6, entre 11 et 20; et ainsi de suite, sachant que les deux PME les plus importantes en comptaient entre 161 et 320).
Les formules de semaine de quatre jours variaient grandement. Auparavant, toutes ces PME travaillaient 40 heures par semaine, et là certaines sont passées à 36, 34 ou même 32 heures, sans aucune baisse de salaire. Certaines ont opté pour les vendredis libres, d’autres pour des jours de congé rotatifs, d’autres encore pour des équipes en miroir, une partie des employés ayant par exemple les lundis libres, et l’autre, les vendredis libres.
Résultats? Ils sont carrément renversants, aussi bien pour les employés que pour les entreprises.
Concernant les employés:
– Moins fatigués. Avant l’expérience, 71% des employés se sentaient fatigués en fin de journée; le pourcentage a chuté à 47% à la fin de celle-ci. Idem, 44% trouvaient que leur travail était émotionnellement éprouvant; après six mois de semaine de quatre jours, ils n’étaient plus que 33% à le trouver.
– Une meilleure santé mentale. Avant, 42% se disaient anxieux au travail; après, ils n’étaient plus que 27%. Avant, 39% se sentaient sous pression, après, 25%. Avant, 37% avaient des problèmes de sommeil; après, ils n’étaient plus que 30%. Avant, 27% se sentaient déprimés; après, 16%. Avant, 13% se sentaient seuls; après, 7%.
– Une meilleure performance au travail. À l’issue de l’expérience pilote, près de 80% des employés disent avoir gagné en attention, pour ne pas dire en bienveillance, envers les autres (collègues, clients, partenaires d’affaires, etc.). Plus de 70% d’entre eux disent s’être montrés plus créatifs dans leur quotidien au travail. Plus de 40%, avoir mieux mené à bien leurs projets. Près de 40%, avoir mieux servi la clientèle. 30%, avoir rencontré leurs échéances plus aisément. 25%, avoir fait moins d’erreurs. Enfin 22%, avoir mieux trouvé de nouveaux clients.
– Un meilleur équilibre de vie. Avant la semaine de quatre jours, 46% des employés avaient de la difficulté à équilibrer vie professionnelle et vie personnelle; après, le pourcentage est tombé à seulement 17%. Idem, 50% estimaient avoir du mal à avoir une vie personnelle épanouie; après l’expérience, le pourcentage n’était plus que de 16%.
Maintenant, concernant les PME:
– Zéro coût supplémentaire. Pour 95% des PME, l’adoption de la semaine de quatre jours n’a entraîné aucun coût supplémentaire. Pour les autres 5%, cela leur a permis de réaliser qu’ils manquaient de personnel pour avoir un fonctionnement optimal, si bien qu’ils ont procédé à des embauches.
– Économies. Les lieux de travail étant moins occupés qu’auparavant, cela a permis d’effectuer des économies non négligeables. Par exemple, 21% des PME ont dépensé moins en énergie ainsi qu’en outils et accessoires. Et 10% ont dépensé moins en heures supplémentaires et en absentéisme.
– Davantage de revenus et de profits. 86% des PME ont enregistré une hausse inhabituelle de leurs revenus durant les six mois de l’expérience pilote, de l’ordre d’en moyenne 14%. Et 72% d’entre elles ont enregistré une hausse inhabituelle de leurs profits, de l’ordre d’en moyenne 12%.
Comment expliquer de tels gains? Tout bonnement par le fait que passer à la semaine de quatre jours nécessite de revoir la façon dont les équipes travaillent. Et donc, offre la possibilité d’améliorer l’organisation du travail.
Ainsi, 16 PME en ont profité pour diminuer le nombre et la durée des réunions. Dix, pour adopter des logiciels plus performants. Neuf, pour supprimer certains processus, sinon pour les automatiser. Neuf, pour créer des blocs de travail. Six, pour réorganiser les quarts de travail. Et cinq, pour revoir la façon dont on communique à l’interne.
Finalement, cela s’est traduit pour 70% des PME par l’adoption de meilleurs processus. Pour plus de 60% d’entre elles, par un gain en efficacité des équipes. Pour 60%, par une amélioration dans l’utilisation des outils technologiques. Pour 50%, par de meilleures relations interpersonnelles. Et pour près de 30%, par une diminution significative des erreurs.
«La clé du succès dans l’adoption de la semaine de quatre jours, c’est avant tout la réorganisation du travail», résument les deux chercheurs dans leur étude, en soulignant que «ceux qui prennent le temps de bien le faire se donnent dès lors toutes les chances de réussir».
Bref, 4 PME qui ont participé à l’expérience pilote sur 5 (81%) se disent séduites: elles vont définitivement adopter la semaine de quatre jours!
Voilà, Michel. La semaine de quatre jours n’est pas réservée qu’aux seules start-ups. Elle donne des résultats concrets qui dépassent tout ce qu’on peut imaginer. Et elle n’est peut-être pas une mode vu que l’essayer, c’est l’adopter. J’espère que tout cela vous amènera à revenir sur vos idées reçues, et pourquoi pas à tenter vous-même l’expérience au sein de votre propre entreprise.
Oh, en passant, je me permets d’anticiper une éventuelle critique qui vous a peut-être effleuré l’esprit, Michel: non, les PME portugaises ne sont pas un cas à part. Sachez, pour votre gouverne, que l’organisme 4 Day Week Global est en train de mener des expériences similaires en Allemagne, au Brésil, en Afrique du Sud, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Irlande. Et les résultats préliminaires semblent tout aussi prometteurs que ceux du Portugal.