Les trois associés de 71 Legal, Judith Séguin, Philippe-Olivier Daniel et Mehdi Hanahem (Photo: Nicolas Debrosse Photographie)
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RHÉVEIL-MATIN. Après plus d’un an et demi sans bosser les lundis, et ce sans nuire à leur prestation de service, 71 Legal, un cabinet de droit des affaires et du travail, clame haut et fort que les avocats peuvent avoir un équilibre entre boulot et vie personnelle.
Inspirés par ce qui se faisait dans d’autres secteurs d’activité, les deux associés et cofondateurs de la petite entreprise, Philippe-Olivier Daniel et Mehdi Hanahem ont fait le pari qu’ils pouvaient, eux aussi, tenter de réduire leurs heures facturables.
«On suivait les tests faits en Angleterre, où des centaines d’organisations l’essayaient, raconte ce dernier en entrevue avec Les Affaires. Ce qui nous a attirés au départ, c’est de voir si on pouvait garder la même productivité, voire l’augmenter, en travaillant que quatre jours par semaine dans notre milieu.»
Revoir l’ensemble de ses procédures
Sans être accompagnée dans leur démarche, l’équipe de 71 Legal s’est donné le droit à l’erreur, tentant en cours de route d’adapter ses méthodes de travail pour gagner en productivité et en efficacité. Les associés se soucient par exemple davantage dorénavant de communiquer clairement autant avec leurs collègues que leurs clients.
Le cabinet s’est aussi doté d’un outil de gestion qui lui permet de méticuleusement planifier ses rencontres, afin qu’elles soient moins chronophages. Chaque temps de parole est mesuré, et s’ajuste si jamais des points sont ajoutés à l’ordre du jour. De plus, les convives doivent être fins prêts au moment d’échanger.
«On était en mode bêta, illustre Philippe-Olivier Daniel. Si ça n’avait pas fonctionné, on l’aurait cessé. Maintenant, on constate que ça marche, et qu’il n’y a pas de retour en arrière possible.»
À l’occasion, certes, les associés sont contraints de répondre à des urgences les lundis. La clé pour qu’une telle situation se produise rarement, c’est de cerner ce qui les distingue d’une requête qui peut être reportée au jour suivant, et d’éduquer ses clients, indique Judith Séguin, associée du cabinet montréalais.
Ainsi, si une entreprise appelle plusieurs fois le lundi – ou même le week-end lorsqu’une crise survient- l’avocat sollicité prendra la balle au bond.
Toutefois, il ne s’en vantera pas, tentant du même coup de briser ce culte voué dans le milieu à cette image de l’avocat qui ne s’arrête jamais. «Ce n’est pas le modèle que l’on veut valoriser auprès de nos jeunes collègues», indique l’avocate spécialisée en droit du travail pour les employeurs.
Au contraire, les associés ont revu leur modèle de croissance afin d’assurer que l’augmentation de la demande entraîne une embauche, et non des heures supplémentaires.
Et les retombées sont bien là. Depuis son implantation, le chiffre d’affaires bondit d’environ 25% par employé chaque année.
Appel à un changement de mentalité
Les trois associés en conviennent: une telle approche n’est pas pour tous les cabinets d’avocats.
Pour que la semaine de quatre jours fonctionne, il faut que la haute direction de l’organisation croit en ses vertus, montre l’exemple, l’assume, et ça, ce n’est pas gagné d’avance dans le milieu. Il en va des valeurs de l’entreprise. Philippe-Olivier Daniel voit mal comment un avocat pourrait s’affranchir de ce modèle si les dirigeants n’y adhèrent pas.
«On l’a tous déjà fait, de rester au bureau tard juste pour que le patron nous voie, mais si l’on joue au Solitaire, est-ce plus efficace pour tout le monde qu’on soit là? C’est facile à réfuter ce genre d’idées préconçues. Je ne pense pas qu’il soit possible d’être productif pendant douze heures de travail», estime Mehdi Hanahem.
D’ailleurs, perdre en crédibilité aux yeux des collègues ou des clients en adoptant un tel modèle a longtemps rebuté les associés à dire qu’ils avaient mis une croix les lundis, allant à l’encontre du mythe de l’avocat toujours disponible.
Judith Séguin, qui s’est jointe à l’équipe de moins de 10 employés en mars 2023, reconnait qu’elle a eu besoin d’une période d’adaptation. Quelques mois lui ont été nécessaires pour que la culpabilité ressentie à l’idée de ne bosser que 32 heures par semaine se dissipe.
«Dans les grands cabinets, la gratification tu la reçois selon tes heures facturables, rapporte-t-elle. Au début j’étais incrédule, je me posais beaucoup de questions sur ma capacité à ne travailler que quatre jours. Tout réside dans la gestion des priorités.»
En faisant leur «coming-out», les trois associés espèrent sans prétention susciter chez leurs comparses assez de curiosité pour qu’ils envisagent de trouver un meilleur équilibre de vie, eux aussi, dans ce milieu où la santé mentale en prend pour son rhume.
Rigoureux, «on voulait s’assurer que ça fonctionne avant d’en parler. On n’était pas dupe, on voyait bien que peu de cabinets songent à [faire ce virage]. J’ai des amis avocats qui sont exténués. Quand je leur raconte notre expérience, ça a l’effet d’une bouffée d’air frais», rapporte Philippe-Olivier Daniel.
Force est de constater que pour eux, c’est une formule qui leur sourit, hors de tout doute raisonnable.
Télétravailler ou ne pas télétravailler, telle est la question qui cause des émois dans bien des entreprises.
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