«Certaines organisations parlent trop fort, mais d’autres font des choses extraordinaires et doivent le dire plus haut et fort. C’est un équilibre à trouver», estime Vincent Fortin, PDG à Republik.
PHILANTHROPIE. Avec la prévalence de la responsabilité sociétale en entreprise (RSE) et les demandes pour que les entreprises rendent des comptes à la société, la philanthropie comme vecteur d’image positive est amenée à jouer un rôle clé. Toutefois, les entreprises qui souhaitent mettre en valeur leurs actions doivent le faire dans un esprit d’intentionnalité, disent les experts.
« Historiquement, on voyait la philanthropie comme quelque chose d’indépendant des activités de l’entreprise. Cette notion a beaucoup évolué », dit Michele Musci, stratège d’impact à Republik, une agence qui combine des services en marketing et en communications à une démarche axée sur l’impact social. Ses équipes conseillent leurs clients afin que « le marketing devienne une force qui aide et non une force qui nuit », explique Vincent Fortin, PDG, qui a acquis l’agence en 2018. Republik a développé, en 2023, un indice de « capital social », un outil qui comptabilise sur 100 les répercussions sociales et environnementales réelles d’une firme, afin que celle-ci puisse mieux connaître ses points forts et ses points faibles.
« Anciennement, la logique philanthropique des entreprises, c’était “je suis un patron, je fais rouler mon entreprise, j’obtiens des profits — peu importe la manière — et à la fin de mon trimestre ou de mon année, je redonne une partie de ces profits à une fondation”, précise Michele Musci. Dans le monde actuel, la philanthropie est vraiment en train d’évoluer et elle est amenée à changer de fonction. On parle beaucoup plus de philanthropie stratégique. »
Besoin de sens
Avec la montée du concept de capitalisme des parties prenantes (aussi connu sous le nom anglais stakeholder capitalism), qui vise à répondre aux besoins de toutes les parties prenantes plutôt que les seuls actionnaires, la philanthropie doit en effet être réfléchie et encadrée pour bien livrer ses messages. Et ce, à toutes les étapes du processus, dit le stratège.
« Les dirigeants et les responsables des campagnes doivent se poser des questions qu’ils ne se posaient pas auparavant : “quels sont les impacts que je veux avoir avec ce don ? Est-ce que je peux faire des liens avec mes activités d’entreprise ? Est-ce que j’ai l’appui des employés ?” Certains vont penser que c’est la base, mais ce n’est pas le cas pour tous. Ça montre à quel point nous sommes au cœur d’une évolution en philanthropie d’entreprise. »
Selon Vincent Fortin, la question primordiale que les entreprises souhaitant mieux valoriser leurs actions, leurs activités de bénévolat ou toute autre activité philanthropique doivent se poser est celle de l’intentionnalité. « Elles doivent vraiment se demander “pourquoi je n’applique pas la même rigueur à la stratégie philanthropique qu’aux activités de l’entreprise ?” Si on veut que nos dons bénéficient à notre marque, il faut que les gens puissent saisir le lien, le sens, qui relie la cause à la mission de l’entreprise. Je dirais que c’est l’effort que plusieurs entreprises doivent fournir actuellement. S’assurer que l’on en comprend le sens. »
Les deux professionnels insistent sur l’importance d’une démarche authentique et transparente. « Si tu veux que ton entreprise s’associe, par exemple, à la cause de la lutte aux troubles en santé mentale, mais qu’elle n’a pas un historique derrière pour appuyer pourquoi la santé mentale est une question importante pour ton entreprise, ça peut heurter ta marque. Donc, il y a un alignement des valeurs qu’on doit démontrer », précise Michele Musci. D’où l’importance d’incorporer les raisons qui lient l’entreprise à la cause sélectionnée dans la stratégie philanthropique.
Une démarche sérieuse
Commencer par se poser les bonnes questions permettra de sortir avec le temps d’une démarche « confettis » et d’entrer dans une démarche plus stratégique. « Beaucoup trop d’organisations sont guidées par des choix relationnels, dit Vincent Fortin. Par exemple, un partenaire s’implique dans une fondation et propose de participer au souper-bénéfice, on achète un billet, et voilà. Il faut être capable de se regarder et de dire “ça, ce n’est pas nous, même si la cause est noble.” »
Il s’agit d’une mission qui peut paraître éreintante, mais qui est nécessaire pour bien communiquer les efforts de l’organisation, croient Vincent Fortin et Michele Musci. « Ça demande de grandes réflexions, c’est du travail, c’est certain, dit Vincent Fortin. Mais si tu es capable, comme organisation, de t’approprier une thématique, une cause, et que c’est sincère, c’est beaucoup plus fort. Si tu y repenses cinq ans plus tard en te disant par exemple “wow, on a réussi à faire évoluer la cause de la santé mentale”, c’est génial. »
Valoriser son action
Ce qui peut se mesurer peut être amélioré, disent les deux professionnels de Republik. « La mesure de l’impact, c’est un facteur de réussite indéniable. Si on connaît mieux son impact, on voit plus clairement à quels besoins on vient répondre », dit Michele Musci. Les deux professionnels recommandent donc aux organisations de faire une étude d’impact, par elles-mêmes ou en faisant appel à une firme spécialisée.
Un autre point important : célébrer ses réussites. Certaines organisations ressentent un malaise à mettre de l’avant leurs efforts de bienfaisance. Une erreur, selon Vincent Fortin. Non seulement publiciser la stratégie donne une image positive à l’organisation, mais cela permet également d’attirer l’attention du public sur la cause que l’on veut défendre. « Certaines organisations parlent trop fort, dit-il, mais d’autres font des choses extraordinaires et doivent le dire plus haut et fort. C’est un équilibre à trouver. »