AGENT DE CHANGEMENT. Vancouver abrite une école d'entrepreneuriat qui se distingue. Elle accueille les ...
AGENT DE CHANGEMENT – Vancouver abrite une école d’entrepreneuriat qui se distingue. Elle accueille les entrepreneurs accidentels, ceux qui ne se voient pas dans ce rôle, mais qui en ont la flamme. L’une des cofondatrices, Paola Qualizza, raconte comment Groundswell, qui en est à 140 diplômés, change la vie de ces hommes et de ces femmes… et la sienne.
Diane Bérard – Groundswell n’est pas une école d’entrepreneuriat comme les autres. À qui s’adresse-t-elle ?
Paola Qualizza – Nos élèves entretiennent une idée négative de l’entreprise. Ils veulent implanter un changement social ou environnemental et ne considèrent que les ONG ou les OBNL. Ils pensent, à tort, que pour changer le monde, il faut souffrir et faire des sacrifices financiers. Ou bien, ce sont des gens que le marché du travail a laissé tomber. Ils combinent plusieurs petits boulots pour gagner un revenu à peine suffisant pour leur subsistance. Les deux groupes présentent des caractéristiques entrepreneuriales. Ils pourraient utiliser l’entreprise comme levier pour une meilleure qualité de vie.
D.B. – Vos élèves sont des entrepreneurs accidentels…
P. Q. – Oui, ils sont débrouillards et créatifs, pour compenser un marché qui offre de moins en moins de travail salarié régulier. Mais leurs efforts ne sont pas récompensés comme ils le devraient, et leurs talents sont sous-exploités. Ils ne se voient pas comme des entrepreneurs. La société non plus. Groundswell tente de corriger ces préjugés. Nous apprenons à nos élèves qu’ils peuvent accéder à une vie meilleure tout en respectant leurs valeurs.
D.B. – Cette école est le fruit des expertises variées de ses cofondateurs. Présentez-nous vos collègues.
P. Q. – Gilad Babchuk est spécialiste de l’éducation citoyenne et des accélérateurs. Matt Hern a travaillé avec les jeunes. Il est spécialiste de la création d’espaces de rencontre pour ceux qui se sentent marginalisés. Jim Barker a travaillé avec le chef britannique Jamie Oliver à la création de restaurants qui recrutaient et formaient des ex-prisonniers pour ensuite leur en confier la gestion. Quant à moi, je suis spécialiste du développement économique local. J’ai cocréé une monnaie locale, Seedstock. Et j’ai beaucoup travaillé avec les PME et les solopreneurs.
D.B. – Quel est le modèle de revenu de Groundswell ?
P. Q. – La moitié de nos fonds proviennent de subventions et de dons, principalement de fondations. L’autre, des frais de scolarité et de nos honoraires de consultation.
D.B. – Quels services offrez-vous ?
P. Q. – D’abord, le programme Explore, qui se déroule sur une période d’un mois, à temps partiel. Tous nos programmes sont à temps partiel, pour permettre aux participants de continuer à travailler. Le programme Explore traite de développement personnel. Au lieu de déceler les espaces vides à combler dans le marché, on aide les participants à mettre le doigt sur les espaces vides en eux et dans leur vie. Quelle est leur mission de vie ? Avec qui veulent-ils l’accomplir ? L’entrepreneuriat est un geste personnel, il faut se comprendre soi-même avant de décider si c’est la bonne voie pour nous. Le programme Bâtir (Build), lui, dure cinq mois. On aborde les aspects classiques de l’entreprise : finance, marketing, développement de produit, etc. On s’appuie sur la méthode lean start-up pour permettre aux participants de créer un produit ou un service rapidement et efficacement. Le troisième programme est le test de marché qui se déroule l’été sur Granville Island, où se trouve un énorme marché public. Nos diplômés peuvent soumettre leur produit au test de la réalité. Le prix est-il juste ? La proposition de vente attirante et distinctive ? Parfois, les leçons sont dures. Personne n’achète votre produit. Il est préférable de l’apprendre à ce moment, alors que notre équipe de mentors peut intervenir.
D.B. – Votre programme aborde peu la croissance et pas du tout la stratégie de sortie…
P. Q. – Notre mission n’est pas de découvrir le prochain Zuckerberg ni de bâtir des jeunes pousses qu’on revendra 10 fois le prix dans un an. Notre indicateur de succès est le nombre d’années que l’entreprise demeure en affaires avec le propriétaire fondateur. Certains de nos diplômés seront des solopreneurs, ils n’auront pas d’employés. Notre indicateur de succès sera alors le revenu décent et régulier qu’ils tirent de leurs activités.
D.B. – De quoi êtes-vous le plus fière ?
P. Q. – De la diversité de nos mentors. On attire autant des gens d’affaires traditionnels que des activistes en justice sociale. Et chacun sort un peu transformé de son passage. Les premiers réalisent qu’en affaires, il y a plus que le rendement financier. Les seconds, que l’argent n’est pas toujours mauvais.
D.B. – Peut-on reproduire le modèle Groundswell ?
P. Q. – Il faut un partenaire financier qui partage ses valeurs. Nous comptons sur la coopérative Vancity. Elle accorde, entre autres, du microcrédit à nos élèves, la plupart ne se qualifiant pas pour un prêt traditionnel.
D.B. – Groudswell vous a changé. Comment ?
P. Q. – Je suis moins radicale. J’ai longtemps milité pour une solution de rechange au capitalisme. C’était idéologique. Groundswell a développé mon côté pratique. On regarde comment le capitalisme fait souffrir certains groupes et comment le modifier pour qu’ils accèdent à une bonne vie. Chaque élève qui passe nos portes devient mon affaire personnelle. Je suis prête à faire des compromis pour qu’il s’en tire.
CONSULTEZ LE BLOGUE DE DIANE BÉRARD