(Photo: 123RF)
Le Québec a rattrapé une partie du retard qu’il accusait en matière de diplomation par rapport au reste du Canada ou de certains États américains, mais il ne faut pas crier victoire : la valorisation d’emplois requérants peu de qualification pourrait bien avoir augmenté le décrochage scolaire. C’est un phénomène que le monde des affaires ne doit pas prendre à la légère, prévient l’Institut du Québec (IDQ) dans son rapport paru en marge de la rentrée scolaire.
D’après des données préliminaires, il semblerait que le taux de décrochage scolaire ait augmenté depuis la fin de la pandémie, lui qui faisait du surplace depuis 2016, rapporte Emna Braham la présidente-directrice générale de l’organisation.
Elle rappelle qu’il est encore tôt pour édicter avec certitude les raisons qui expliquent ce phénomène. Les fermetures d’école, les parcours académiques plus difficiles à suivre et la valorisation des emplois requérant peu de qualification sont néanmoins des hypothèses plausibles, dit-elle.
En effet, entre 2017 et 2023, la demande pour des travailleurs peu qualifiés a augmenté de 7%, alors que ce bassin a diminué de 3% au cours de cette période, indique-t-on dans «Étudier, est-ce encore payant? Évolution de l’avantage salarial à poursuivre des études». Ce faisant, le salaire qui leur était offert a bondi de 10%, tandis que celui accordé aux détenteurs d’un diplôme d’étude postsecondaire a stagné, voire a légèrement diminué.
Fruit du phénomène de l’offre et la demande, on a donc observé une diminution de l’écart de salaire entre les personnes qui ont étudié à l’université et celles qui ont accompli ou pas leur secondaire. Chez les adultes âgés de 40 à 49 ans, il est passé de 81% à 60% si on gomme l’effet de l’inflation de l’équation.
Leur rémunération globale moyenne a donc respectivement atteint en 2023 45,99 dollars de l’heure ($/h), et 28,67 $/h. Celle des personnes qui ont obtenu un diplôme d’études collégiales ou professionnelles avoisine plutôt les 34,05 $/h.
«On étudie cette tranche d’âge, car ils sont habituellement au même moment de leur carrière. Normalement on a fini les études, quelle que soit leur durée. Ça représente aussi une part importante du marché du travail québécois», précise Emna Braham.
L’autre facteur qui a contribué à augmenter davantage la rémunération de ces travailleurs, c’est que certains campent désormais des postes autrefois réservés à ceux qui détenaient des diplômes d’études postsecondaires. Entre 2017 et 2023, la part de personnes peu scolarisées dans une telle situation est passée de 28% à 33%, est-il indiqué dans le rapport.
C’est à la fois causé par une révision des critères de sélection des candidats, mais aussi une meilleure disposition à reconnaitre leurs compétences acquises grâce à l’expérience, ajoute Anthony Migneault, économiste principal à l’IDQ et coauteur de l’étude.
«Comprendre si ça valait encore le coup d’entreprendre des études postsecondaires nous taraudait à l’Institut de la statistique, confie Emna Braham. La réponse est oui, autant au niveau individuel que collectif.»
Les études valent encore le coup
Au-delà d’une meilleure progression de carrière et un plus important salaire à long terme, les personnes plus scolarisées sont surtout «mieux outillées pour faire face aux aléas et aux transformations de l’économie. […] Ils peuvent surtout propulser la productivité, l’innovation et stimuler la création de richesse», rappellent les auteurs du rapport de 32 pages.
De plus, la demande pour des travailleurs qui ont un diplôme universitaire a augmenté de 24% entre 2017 et 2023, et elle n’a pas fléchi pendant le ralentissement économique récent, contrairement à celle pour les travailleurs peu qualifiés.
Elle promet même de s’accélérer, indique l’IDQ. Le ministère de l’Emploi et de la Solidarité du Québec a laissé entendre que d’ici 2031, 93% des emplois créés requerront au moins une certification collégiale.
Au-delà de répondre aux besoins du marché du travail, ces travailleurs s’adapteront plus facilement aux perturbations, comme la démocratisation de l’intelligence artificielle. Les experts cités dans l’étude s’attendent à ce que les compétences analytiques, liées à la technologie, et interpersonnelles soient les plus recherchées dans les prochaines années. Celles-ci sont pour la plupart acquises au cours des études postsecondaires, ajoutent les auteurs.
La responsabilité partagée de la formation
Qu’importe la raison qui explique la hausse du décrochage scolaire, l’IDQ tire la sonnette d’alarme, et appelle les employeurs à s’assurer que leur main-d’œuvre puisse continuer de se former tout au long de leur passage sur le marché du travail.
«On veut que davantage de jeunes obtiennent un diplôme, mais aussi qu’ils aient la capacité de se reformer, de se recycler et de retourner aux études s’ils en ont besoin, explique-t-elle. Peut-être était-il facile, du moins jusqu’en 2023, de se trouver un emploi bien rémunéré avec peu de scolarité. Le marché de l’emploi change.»
Les travailleurs qui n’ont pas acquis un niveau suffisant de littératie et de numératie sur les bancs d’école devraient tout particulièrement profiter d’occasions de formation et être encouragés à les saisir, ajoute-t-elle. La littérature scientifique démontre qu’ils sont moins susceptibles de le faire que leurs collègues plus scolarisés.
La responsabilité est certes partagée, reconnait Emna Braham, mais les entreprises doivent «les offrir et les promouvoir. Ce n’est pas toujours évident de trouver le temps et l’argent de se former quand on occupe un emploi.»