Fondée il y a 70 ans, Harry Rosen est dans un cycle de réinvention
La Presse Canadienne|Publié le 23 septembre 2024Le président de Harry Rosen, Ian Rosen, petit-fils du regretté magnat de la mode, pose pour une photo dans l'un des magasins Harry Rosen à Toronto, le mardi 17 septembre 2024. (Photo: Nathan Denette / La Presse Canadienne)
Toronto — L’entreprise familiale Harry Rosen, installée à Toronto, cherche à devenir «moderne» et «accessible» alors qu’elle célèbre ses 70 ans.
Fondée par Harry Rosen, décédé en décembre à l’âge de 92 ans, et son frère Lou, l’entreprise était à l’origine une petite boutique de vêtements pour hommes sur mesure à Cabbagetown, à Toronto, avec un acompte de 500$.
L’entreprise de luxe s’est depuis forgé une réputation d’incarnation de la mercerie, mais aujourd’hui, le président et chef de l’exploitation Ian Rosen, petit-fils de Harry Rosen, affirme qu’elle est sur le point de se réinventer.
L’entreprise investit 50M$ dans des rénovations destinées à moderniser ses 14 magasins et ses cinq magasins d’usine. Elle déménagera également le magasin phare de Bloor Street West vers l’avenue Cumberland, où les clients pourront profiter d’une terrasse surplombant Yorkville, d’un salon client, d’un bar à expresso et d’un service de voiturier la fin de semaine.
Les changements physiques vont rafraîchir l’empreinte de la marque, améliorer son service client et, plus important encore, aider Harry Rosen à relever un défi plus vaste: l’évolution du style masculin.
«L’ancienne garde-robe se composait de deux costumes bleus, de deux costumes gris, de plusieurs chemises, de plusieurs cravates, et on pouvait en faire une infinité de tenues, c’était la garde-robe de travail. Ensuite, on avait une garde-robe de fin de semaine, dans laquelle on n’investissait pas vraiment beaucoup», se souvient Ian Rosen, vêtu d’un polo beige et d’un blazer bleu marine.
«La garde-robe de l’homme d’aujourd’hui consiste vraiment à s’habiller pour la journée. Il s’agit de se préparer de manière très différente pour le travail.»
Cette évolution — remarquée il y a des années par Ian Rosen, mais accélérée en partie par la pandémie de COVID-19 — signifie que les hommes jouent avec le denim, les gilets, les vêtements d’extérieur et les vestes aux épaules «souples» ou non structurées.
Ils n’ont pas peur de mélanger des pièces plus sophistiquées avec des basiques plus décontractés pour créer un look «décontracté et habillé», a-t-il affirmé.
Si Harry Rosen reste une référence pour les costumes élégants, les nœuds papillon et les chaussures de luxe, un mannequin qui porte une veste de sport et un jean délavé clair n’est pas déplacé aujourd’hui. Il en va de même pour les portants de chemises Brunello Cucinelli à 1195 $ avec une coupe «easy fit» ou un rayon Canada Goose vendant des sacs-ceintures, des pantalons de jogging et des chandails à capuchon.
La refonte de l’assortiment de produits est un aveu de l’évolution des temps, mais pour que cela fonctionne, Harry Rosen doit trouver un équilibre, a indiqué Lanita Layton, consultante en luxe et en vente au détail qui était autrefois vice-présidente chez Holt Renfrew.
«Ils ne veulent pas perdre leurs clients plus âgés, mais ils ont reconnu qu’ils devaient maintenant attirer les jeunes hommes», a-t-elle dit.
On pourrait penser que le fondateur de l’entreprise se serait moqué de ce changement, mais Ian Rosen a déclaré que son grand-père «n’a jamais tourné le dos au changement».
«Il était impressionné par la façon dont les gens introduisaient ce qu’il appelait des « éléments vestimentaires » dans les vêtements décontractés», se souvient-il.
Chaque semaine, lui et son grand-père se promenaient dans au moins un magasin, discutant des tendances de la mode masculine et des habitudes de consommation, mais il n’était jamais évident qu’Ian rejoigne son grand-père et son père, Larry, dans l’entreprise familiale pour l’aider à naviguer dans l’évolution actuelle de la mode masculine.
«Je voulais trouver mon propre truc.»
L’importance du commerce électronique
Pendant une grande partie de sa carrière, Ian a travaillé dans le domaine des conseils en gestion, aidant principalement les entreprises d’épicerie, de vêtements et de biens de consommation dans leurs stratégies de commerce électronique.
Les entreprises avaient de nombreux parallèles avec Harry Rosen, qui, selon Ian, avait fait beaucoup «d’investissements de base» dans le commerce électronique, mais «ne s’y était pas vraiment lancé».
Reconnaissant les synergies entre le travail de son fils et sa propre entreprise, Larry a invité Ian à élaborer un plan de commerce électronique pour Harry Rosen.
«J’ai rejoint l’entreprise en 2018, et j’ai l’impression que mon pied est sur l’accélérateur depuis», a déclaré Ian.
Jusqu’à présent, il a dû faire face à la pandémie de COVID-19, qui a fait chuter la demande pour le type de vêtements dans lequel Harry Rosen se spécialise. Ian a fait savoir que la crise est arrivée «au pire moment», car la période de mars à juillet comprend la saison des mariages.
Malgré la crise sanitaire, le cabinet de conseil McKinsey a conclu que le marché du luxe a progressé, mais qu’il n’est pas indemne. Le grand magasin (et rival de Harry Rosen) Nordstrom, par exemple, a quitté le Canada l’été dernier en raison de problèmes de rentabilité.
McKinsey a prédit que la croissance sur l’ensemble du marché du luxe ralentirait, car même les acheteurs les plus riches ressentaient les effets d’un ralentissement économique.
«Entre les taux d’intérêt et les taux hypothécaires et le prix d’autres choses, cela rend certainement le client plus exigeant avec son argent», a dit Ian.
Pourtant, de nombreux clients sont toujours prêts à dépenser, en particulier via les canaux de commerce électronique de Harry Rosen, qui ont tellement grandi qu’Ian Rosen dit que «le commerce en ligne est notre plus grand magasin».
Il a constaté que les clients commandent une paire de chaussures ou une chemise qu’ils ont déjà dans une autre couleur depuis leur canapé, mais adoptent une approche informée mais exploratoire lorsqu’ils visitent les magasins. Ils arrivent armés d’informations glanées lors de recherches en ligne, mais cherchent de l’inspiration ou des achats pour une saison entière en une seule fois.
Les marchandises parmi lesquelles ils peuvent choisir aujourd’hui vont bien au-delà des vêtements. Harry Rosen propose désormais des produits de soins tels que des huiles à barbe, du dentifrice et du déodorant, ainsi que des articles de décoration, de papeterie, des livres et des ustensiles de cuisine.
Ian considère ces ajouts comme une extension logique de la force principale d’Harry Rosen – la sélection – que son grand-père a développée en parcourant le monde à la recherche «du meilleur du meilleur» pour les acheteurs.
«Nous ne cherchons pas à nous lancer dans le secteur de l’ameublement, a dit Ian. Nous ne cherchons pas à offrir aux gens quelque chose qu’ils pourraient obtenir plus tard.»
La logique de l’entreprise est bonne, mais plus elle se diversifie, plus elle risque de se heurter à de nouveaux concurrents, selon Mme Layton.
«Harry Rosen dira que tout le monde est son concurrent, et je lui ferais probablement écho, a affirmé Mme Layton. Ils regardent le monde. Ils ne regardent jamais seulement le Canada.»
Bien que la planification de la relève soit probablement loin d’être la priorité absolue de Harry Rosen avec Larry à la barre, Ian comme second et son frère Graham à la tête des magasins d’usine, on peut déjà entrevoir l’avenir.
À son décès, Harry Rosen avait neuf petits-enfants et six arrière-petits-enfants, dont quatre filles d’Ian, qui ont toutes moins de cinq ans.
«J’essayais d’expliquer à ma fille ce que j’avais fait ce matin. Elle n’avait pas tout à fait compris, a dit Ian. Mais mes enfants adorent les mannequins.»
Par Tara Deschamps