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Anges et démons

Anne Marcotte|Publié le 18 août 2021

Anges et démons

En annonçant publiquement sa décision de se concentrer sur sa santé mentale, Simone Biles a été plus inspirante que le nombre de médailles supplémentaires qu’elle aurait pu gagner aux Jeux de Tokyo. (Photo: Getty images)

BLOGUE INVITÉ. Des pertes de repères et des démons dans la tête, comme l’a expliqué la gymnaste américaine multimédaillée Simone Biles en annonçant son retrait de quatre finales aux Jeux olympiques de Tokyo, ça peut aussi se manifester dans un parcours entrepreneurial. Je le sais, je l’ai vécu.

 

Des sauts dans l’inconnu

Moi, avant, j’étais comme une athlète de haut niveau. Une vraie machine de guerre. Cela a duré une bonne quinzaine d’années. À ce moment-là, j’étais capable de faire des sauts dans le vide et dans l’inconnu sans même me demander où et comment j’allais atterrir… sur la tête, les mains, le dos, les pieds? Telle une grande gymnaste, je n’avais pas peur d’inventer des figures risquées. Je voulais sortir du cadre, me faire remarquer et me tailler une place dans le monde des affaires.

Lorsqu’on est propulsé par l’instinct de survie et le désir absolu de réussir, l’audace, la créativité et l’acharnement deviennent nos meilleurs entraîneurs et nos paiements à la fin du mois, un repère extrêmement fiable et toujours fidèle au poste.

Quand on n’a rien à perdre dans la vie, on a juste tout à gagner.

 

Une place sur le podium

Puis un jour, après un parcours intense, j’ai réussi à monter sur la dernière marche du podium. Mon histoire a fait la une des journaux avec un titre d’article digne d’un conte de fées. Puis curieusement, au lieu d’être aux anges, j’ai commencé à entendre mes tout premiers démons. Les miens et ceux des autres.

Si le phénomène complexe et insidieux des «twisties» ressenti par la gymnaste Simone Biles lui enlevait tous ses repères durant ses sauts dans les airs, j’avais perdu les miens depuis que je n’avais plus de carte professionnelle à la suite de la vente de mon entreprise. Je ne savais même plus à quelle heure me lever, me doucher, m’habiller et déjeuner ! J’étais dans le noir total.

Selon certains, j’étais devenue une «has been», une personne qui n’existe que grâce à ses réalisations passées. Pour d’autres, c’était fou d’imaginer que je puisse espérer bâtir un autre succès, les statistiques ayant démontré que peu d’entrepreneurs réussissaient cet exploit.

 

Voir grand

J’ai finalement décidé de voir grand à nouveau et de viser le prochain championnat. J’ai donc refait un saut dans le monde de l’entrepreneuriat en démarrant une entreprise dans un secteur qui m’était complètement inconnu, la production télévisée.

Rien ne s’est passé comme je l’avais espéré. Ce fut beaucoup plus difficile que prévu. Je me souviens, entre autres, de cette nuit glaciale où, à deux heures du matin, souffrant d’insomnie, je parcourais les rues de mon voisinage espérant ainsi diminuer mon niveau d’anxiété. Pour dire vrai, j’avais peur que mon carrosse ne se change en citrouille.

Si Simone Biles a expliqué être devenue plus nerveuse lorsqu’elle faisait son sport, je peux dire que j’ai ressenti exactement le même sentiment lors de cette seconde aventure entrepreneuriale. Lorsqu’on a quelque chose à perdre dans la vie, on ne gère plus le risque de la même façon. On devient beaucoup plus fébrile. Et comme je savais pertinemment qu’il n’y avait pas de réussite possible sans prise de risques, la peur de l’échec était devenue alors mon principal démon, entraînant ainsi un niveau de stress plus élevé et une perte de plaisir.

Au bout de quelques années, j’ai finalement réussi à me tailler une place respectable dans l’industrie. Malgré les efforts soutenus et répétitifs que je me suis imposés, je n’ai jamais regretté l’expérience qui fut tout de même enrichissante à plusieurs niveaux. Mais avec le recul, j’ai réalisé que j’aurais pu être un bien meilleur ange gardien pour ma santé psychologique.

 

Voir clair

Il arrive un moment où on réalise qu’à force de voir grand en affaires, on peut finir par oublier de voir clair. La réussite, ce n’est pas juste être riche ou célèbre. La réussite, c’est aussi d’être bien. Bien en dedans. La réussite, c’est d’éviter la chute de trop, la blessure de trop.

En annonçant publiquement sa décision de se concentrer sur sa santé mentale, Simone Biles a été plus inspirante que le nombre de médailles supplémentaires qu’elle aurait pu gagner aux Jeux de Tokyo.

Elle a démontré au monde entier que tout l’or du monde ne vaut rien si on ne se sent pas bien.