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Daniel Lafrenière

De kessé l'expérience client

Daniel Lafrenière

Expert(e) invité(e)

Pas d’expérience employé, pas d’expérience client

Daniel Lafrenière|Publié le 16 novembre 2022

Pas d’expérience employé, pas d’expérience client

Voici les besoins des travailleurs québécois que vous devez combler: (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Je l’ai déjà écrit, mais je le répète. Une entreprise sans clients n’existe pas. Une entreprise sans employés n’existe pas. Une entreprise sans produits ou services de qualité n’existe pas. Ces trois éléments, clients, employés et produits/services forment un écosystème où chacune des composantes est interreliée.

Négliger l’une au détriment d’une autre peut avoir des conséquences fâcheuses, allant même jusqu’à la fermeture d’une entreprise ou d’un commerce. Mais alors, que faire pour attirer des candidats et garder les employés actuels? Voici quelques pistes de réflexion et de réponse.

 

Une tempête parfaite pour amplifier le problème de pénurie de main-d’oeuvre

D’emblée, acceptons que la pénurie de main-d’oeuvre ne date pas d’hier et qu’elle n’est pas près de se résorber. Depuis plusieurs années, les médias rapportent les doléances, justifiées, de restaurateurs, gérants de boutiques, entrepreneurs, etc. qui peinent à recruter du personnel pour assurer la bonne marche et la croissance de leurs entreprises. La décroissance démographique combinée à la complexité de recrutement de personnel à l’étranger explique en grande partie le problème actuel.

La situation s’est toutefois empirée à cause de la pandémie. Des entreprises, des commerces ont dû mettre à pied temporairement des employés, ou réduire leurs heures de travail, ce qui a incité des individus à changer de carrière. On les comprend. D’autres entreprises ont dû se rabattre sur une mesure jusqu’alors réservée à une minorité: le télétravail. Certains travailleurs, pour ne pas dire une grande majorité, y ont pris goût!

Tout cela a provoqué une réflexion, allant jusqu’à une remise en question de la place qu’occupe le travail dans la vie de plusieurs personnes. Par exemple, qui veut être pris dans la circulation deux à trois heures par jour alors qu’on peut très bien effectuer son travail à distance? Le temps de déplacement est un enjeu majeur si je me fie à l’importante couverture médiatique des problèmes de circulation engendrés par les travaux de réfection du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Certaines personnes ont même démissionné pour ne pas subir ce stress et cette perte de temps quotidienne. Vous imaginez les conséquences pour une entreprise de perdre un employé? Cela coûte une fortune en recrutement et en formation. D’autant plus qu’il faut parfois plusieurs mois ou années avant qu’une recrue soit totalement autonome.

 

Garder les employés avant tout

Avant même de s’attarder au problème de recrutement de nouveaux employés, il faudrait peut-être trouver des façons de conserver ceux que l’on a. Si l’on est incapable de garder ses employés, à quoi bon en recruter de nouveaux?

Mais comment peut-on garder nos employés? La réponse courte est: en s’intéressant à la personne et en répondant à ses besoins. Les employés sont plus que des bras ou des têtes interchangeables, quoi qu’en pensent les Elon Musk de ce monde. Ceux qui voient leurs employés comme des robots s’en mordront les doigts tôt ou tard. Ce ne sont pas des «ressources». J’ai d’ailleurs toujours éprouvé un malaise avec cette expression, «ressources humaines», qui donne l’impression de mettre dans le même panier les humains, les équipements et l’argent dont une entreprise peut disposer à sa guise. Je sais, j’exagère un peu, mais le choix des mots est important.

Mais quels sont les besoins des employés du Québec? Un plus gros salaire? Une autre table de soccer de table? Une cafétéria offrant des mets cuisinés par un chef réputé? Qu’est-ce qui fait qu’un employé aime son travail et demeure en poste? Qu’est-ce qui fait qu’un employé, au contraire, n’apprécie pas son travail au point de vouloir démissionner? C’est à ces questions qu’une étude SOM-Lafrenière réalisée en septembre dernier a voulu répondre en sondant 1 107 travailleurs âgés de 18 ans et plus oeuvrant dans des commerces de détail, des restaurants, des entreprises de services et des organismes gouvernementaux.

En nous inspirant du cercle des besoins des employés que j’ai élaboré, nous avons demandé aux répondants de prioriser les éléments qui font qu’ils apprécient leur travail et ceux qui font qu’ils l’aiment moins. Voici les grands constats. Vous remarquerez qu’on est loin des artifices utilisés par certains employeurs pour attirer des candidats.

1. Le contact avec le public/la clientèle, la bonne ambiance de travail, la flexibilité dans les horaires, l’autonomie et le sentiment d’accomplissement (d’être utile) sont les principales raisons qu’une personne aime son emploi. En passant, le salaire arrive en dernier (sur une liste de 10 raisons).

2. Le salaire insuffisant, la surcharge de travail, la microgestion du gestionnaire, le stress, l’horaire imposé, la mauvaise ambiance de travail et l’impossibilité de travailler à distance sont les principales raisons qui font qu’une personne n’aime pas son emploi.

3. Le salaire n’est pas la raison pour laquelle un employé aime son travail. Mais s’il ne répond pas aux attentes de l’employé ou ne suit pas la hausse de prix des biens de nécessité, le salaire deviendra rapidement l’irritant principal. En cette période inflationniste, cela peut inciter certaines personnes à démissionner.

4. En plus du salaire insuffisant, la microgestion, la nature des tâches (que l’on n’apprécie pas) et le manque de reconnaissance sont les éléments les plus susceptibles de pousser un employé vers la porte.

5. Les employés en contact avec la clientèle – préposés aux renseignements, commis, vendeurs, caissiers, etc. – ont le sentiment que leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Le manque de reconnaissance les affecte tout particulièrement.

D’autres éléments entrent bien entendu en ligne de compte. Notons aussi que certains besoins peuvent être plus importants, ou moins importants, selon le type d’emploi, de la situation personnelle de l’employé, de son âge, ou de ses préoccupations personnelles. Le défi pour un employeur est de bien saisir ce qui est important pour l’employé et d’y répondre. Les employés ne forment pas toujours un bloc homogène ayant les mêmes besoins. Il se peut par exemple que les représentants commerciaux d’une entreprise aient des besoins différents des gens qui manufacturent les produits ou de ceux qui réalisent des tâches administratives.

Je tiens aussi à préciser qu’un bel aménagement de bureau tel qu’on en retrouve chez LG2 ou Google à Montréal contribue à procurer une belle expérience employé. Un environnement de travail bien conçu, bien pensé fait qu’on s’y sent bien et qu’on est plus productif pour réaliser certaines activités. Cela dit, ces avantages à eux seuls ne suffiront pas à fidéliser des employés sur le long terme.

 

La réputation de l’entreprise pour attirer des candidats

Dans une entrevue que m’a accordée cet été l’un des propriétaires du Café du Temps perdu à Québec, la bonne réputation dont jouit l’établissement auprès de ses employés et de sa clientèle attire naturellement des candidats. Le restaurateur estime même s’en sortir mieux que la moyenne pour recruter du nouveau personnel. Précisons que les employés sont composés principalement d’étudiants universitaires qui inévitablement quitteront leur emploi de serveur ou de cuisinier après trois ans pour exercer leur profession. D’où l’importance du pouvoir d’attraction de nouvelles candidatures une fois les trois années d’études terminées.

À l’inverse, je crois que le niveau d’attrait de Twitter a considérablement chuté depuis qu’Elon Musk a pris récemment les rênes de l’entreprise. On apprenait qu’il aurait menacé de congédier des ingénieurs en informatique s’ils n’implantaient pas une fonctionnalité dans un délai pour le moins irréaliste. L’homme d’affaires s’attendrait d’ailleurs à ce qu’ils travaillent 84 heures par semaine pour y parvenir selon ce texte de Business Insider. Vous avez bien lu, 84 heures par semaine! Je sais que l’entreprise à l’oiseau bleu est américaine et que dans la culture de nos voisins du sud, travailler 50-60 heures par semaine dans le domaine de la technologie est chose courante, mais demander cet effort est simplement inhumain et intenable. Je crois que plusieurs employés doivent être en train de mettre à jour leur CV et de soumettre leur candidature dans des milieux où ils seront considérés comme des êtres humains et non des citrons que l’on peut presser à volonté.

 

Employés heureux = clients heureux

Certains employeurs pourraient se demander «à quoi bon prendre soin des employés?» Outre le fait que c’est la chose sensée à faire si l’on veut les garder – on n’est plus en 1950! –, il y a aussi des arguments économiques comme l’accroissement des ventes causé par une bonne expérience client.

Une étude publiée dans le Harvard Business Review, a mesuré un lien fort entre le bien-être des employés d’une entreprise et la satisfaction de ses clients : « Une main-d’œuvre plus heureuse est clairement associée à la capacité des entreprises à offrir une meilleure satisfaction client, en particulier dans les secteurs où les contacts entre les travailleurs et les clients sont les plus étroits, notamment le commerce de détail, le tourisme, la restauration, les soins de santé et les services financiers. » Intéressant n’est-ce pas?

Que doit-on retenir? Il faut s’intéresser à chaque employé, personnellement et professionnellement. Il faut non seulement le traiter comme un employé, il faut le traiter comme un humain.